Cr de Laurent Gayme, professeur d’Histoire-Géographie au Lycée St Exupéry de Mantes la Jolie (78)
En 2007, l’ONU a annoncé que, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, il y a sur Terre autant d’urbains (3,3 milliards) que de ruraux. Presque un tiers de ces urbains (un milliard) vit dans des bidonvilles (2 milliards prévus en 2030). C’est à cette « urbanisation de la pauvreté » (p. 63) que Diana Bernaola-Regout et Philippe Godard consacrent un petit ouvrage dans la collection « J’accuse !», destinée à la jeunesse.
Diana Bernaola-Regout est une ethnologue et photographe péruvienne, qui a travaillé sur les bidonvilles de Lima, sur les communautés indiennes du Pérou, mais aussi sur les graffitis à Barcelone. Philippe Godard, qui a beaucoup voyagé en Amérique latine et en Inde, a dirigé plusieurs collections Jeunesse chez Autrement et La Martinière. Auteur de La vie des enfants travailleurs pendant la révolution industrielle (Sorbier, 2001) et Contre le travail des enfants (Desmaret, 2001), il a participé à l’ouvrage Le Siècle rebelle, dictionnaire de la contestation au XXe siècle (Collectif, Larousse, 1999). Il a repris en 2006 la direction de la collection « J’accuse ! » qui milite pour la défense des droits de l’Homme, avec la double ambition de continuer à traiter des sujets sociaux et politiques français et étrangers, et de dépasser Internet en offrant, sur un thème donné, dans un même ouvrage, des sources d’informations et des pistes d’analyse et de réflexion. C’est pourquoi les ouvrages de cette collection s’ouvrent sur des témoignages, complétés par un dossier documentaire les remettant en perspective et des interviews permettant d’élargir la réflexion. Il s’agit donc d’une collection engagée, soutenue par un certain nombre d’associations comme Amnesty International, l’Unicef ou le Groupement pour l’abolition des mutilations sexuelles par exemple.
Bidonplanète s’ouvre sur deux témoignages. Le premier, recueilli par Diana Bernaola-Regout en 2004-2005, est celui d’Hipolito Rojas, un Péruvien venu des campagnes et contraint d’habiter seul avec ses deux filles dans l’asentamiento humano (le bidonville) de La Ensenada del Chillon, dans la périphérie nord de Lima. On y découvre son histoire depuis ses premières tentatives d’installation dans la capitale péruvienne en 1989 et surtout à partir de 1993, date de son arrivée dans le bidonville, ainsi que les difficultés de sa vie quotidienne (en particulier les problèmes professionnels et familiaux que lui pose l’éloignement du centre). Est décrit aussi le rôle des associations d’entraide communautaire (cantine populaire par exemple) tenues par des femmes du bidonville, et de la paroisse catholique tenue par des Français. On pourra accompagner utilement la lecture par la consultation des photos de cette famille, prises par Diana Bernaola-Regout.
Le second témoignage (publié en 2003 en anglais par la revue Habitat Debate des Nations Unies) est celui de Reeva Sood, habitante d’un bidonville de Delhi qui a créé en 1989 l’ONG Indcare. Cette association a travaillé sur la question des droits de propriété pour les habitants des bidonvilles et sur l’appauvrissement spécifique des femmes, dans une problématique du « genre », en incitant à la création de groupes féminins d’entraide et au développement de programmes de microcrédit. Reeva Sood retrace ainsi le combat du mouvement Mahila Chetna (« Le réveil des femmes », devenu forum et organisme de prêt), auprès des autorités et du gouvernement,contre les expulsions et pour le droit au logement.
La deuxième partie de l’ouvrage propose deux documents qui remettent les témoignages en perspective. Le premier est une « petite histoire des bidonvilles » en insistant sur la spécificité des bidonvilles modernes par rapport aux habitats précaires : ils sont à la fois la conséquence de la pauvreté et d’un déplacement des individus. L’histoire des slums anglais nés de la révolution industrielle puis des bidonvilles dans les pays riches après 1945 (dus aux destructions de la guerre et à la reconstruction) est rapidement retracée (peut-être trop rapidement). Avec force statistiques est ensuite abordé, par continent, le cas des bidonvilles des pays pauvres, nés globalement (même si l’auteur différencie les causes selon les continents) des déséquilibres démographiques (explosion démographique) et économiques (appauvrissement dû à la réduction des budgets sociaux dans le cadre des politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI, mais aussi à des problèmes climatiques et à des guerres) qui aboutissent à un exode rural massif.
Le second document s’intitule « Le mythe de la ville riche : l’urbanisation de la pauvreté ». Soulignant que l’essor des bidonvilles traduit un déplacement de la pauvreté des zones rurales en déclin économique vers les villes qui ne sont plus, sauf dans l’imaginaire des migrants, synonymes de richesse, les auteurs s’attachent à montrer les enjeux du phénomène (dépeuplement des campagnes, développement d’une agriculture commerciale et industrielle polluante et destructrice de l’environnement, travail des enfants, montée des violences urbaines, etc.). Ils proposent aussi quelques solutions, essentiellement le soutien aux initiatives « internes » des habitants et des associations des bidonvilles, et la réforme agraire pour stopper, voire inverser l’exode rural.
Enfin la troisième partie du livre est constituée de deux entretiens. Le premier, avec Diana Bernaola-Regout, permet de contextualiser le témoignage d’Hipolito Rojas en décrivant la situation du Pérou du point de vue de l’urbanisation et des bidonvilles, de la structuration de la population et de la pauvreté, de l’intégration des migrants et de la pauvreté. Le second est une interview de Bruno Bachmann, co-auteur avec Mike Davis de Planète bidonvilles (Ab irato, 2005 ). Il revient sur les causes de l’apparition des bidonvilles (avec cette remarque intéressante p. 93 : « On le voit, la composition sociologique d’un bidonville dans un pays dit « émergent » peut ressembler à celle d’une de nos cités de banlieue. »), mais aussi sur les politiques menées pour résoudre cette question, sur les activités militantes dans les bidonvilles ainsi que sur les phénomènes de violence qui peuvent s’y développer.
L’ouvrage se termine par une partie « Ressources » : une courte filmographie (étrangement, sur quatre films cités, trois concernent des bidonvilles de pays riches des années 1960-1970), une bibliographie limitée à l’Inde, à la France et aux ouvrages de Mike Davis, et une courte liste de sites internet concernant surtout l’Inde et le Pérou.
En gardant à l’esprit qu’il s’agit d’un ouvrage et d’une collection destinés à la jeunesse, on peut d’abord souligner la grande lisibilité du texte et l’intérêt de la démarche pédagogique mise en œuvre, qui part du témoignage pour aller vers une remise en perspective plus scientifique puis vers l’élargissement des problématiques. L’intérêt des témoignages est de donner ce « vécu » qui transparaît souvent avec peine dans les photos de nos manuels scolaires, d’envisager de l’intérieur la question des bidonvilles, dans ses dimensions quotidiennes, en mettant l’accent sur la somme d’énergies déployée par leurs habitants, avant toute aide extérieure. La partie documentaire ne prétend pas à l’exhaustivité scientifique et s’attache plutôt à quelques explications simples, qui nécessiteraient des précisions et des compléments. Les entretiens complètent bien l’ensemble. La partie « Ressources » gagnerait à être plus diversifiée. Reste qu’il s’agit, dans une collection à suivre, d’un livre informé et sérieux, pas trop cher (7,50€) ni trop long, qu’on pourrait donc conseiller en Seconde par exemple (comme en Terminale, voire en 3e aussi mais de façon plus restreinte), comme ouvrage à utiliser en classe au cours de l’année (un peu à la façon de nos collègues de Lettres, le professeur de géographie complétant la 2e partie et les ressources), tant il recoupe un certain nombre de thèmes du programme. Il constituerait, pour des élèves qui sortent du collège, une bonne première approche de la lecture d’ouvrages géographiques et économiques sur des problèmes contemporains.
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