Laurent Joly, spécialiste de la déportation et de l’extrême-droite présente cette série de dessins méconnus de Cabu. Il est notamment l’auteur de La rafle du Vel d’Hiv – Paris, juillet 1942, de La falsification de l’Histoire, d’Eric Zemmour, l’extrême-droite, Vichy et les juifs, de Naissance de l’ Action française. Les collabos et de L’Etat contre les juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite.  Il a aussi écrit des biographies comme Maurice Barrès, ou Charles Maurras l’extrême- droite nationaliste au tournant du XXe siècle.

Cabu a réalisé cette série de 16 dessins pour illustrer, en 1967, à la demande du journal Le Nouveau Candide, l’ouvrage de Claude Lévy et Paul Tillard, La Grande Rafle du Vel d’Hiv. Le livre retrace des parcours individuels et familiaux de personnes raflées les 16 et 17 juillet 1942. Le journal reproduit des extraits de l’ouvrage dans une série de 4 publications. L’introduction rappelle le caractère fondateur du travail de C. Lévy et de P. Tillard, qui participe à l’inscription de l’événement dans la mémoire collective, alors que le site a été détruits une dizaine d’années auparavant. Résistant et déporté, les auteurs s’appuient sur des témoignages. En effet, les archives sont alors fermées.

Une rafle inédite

Laurent Joly replace d’abord la rafle du Vel d’Hiv dans son contexte. Le récit du déroulement de l’opération, menée par la préfecture de police de Paris, insiste en particulier sur le cas épineux des enfants. Les Allemands souhaitent les confier à l’Assistance publique alors que les fonctionnaires français privilégient une déportation afin de gonfler les chiffres de Juifs arrêtés. En effet, 27 000 fiches d’arrestation de Juifs de plus de 16 ans avaient été établies. Le bilan est en deçà des objectifs puisque 12 884 personnes (dont environ 4 000 enfants) sont arrêtées et entassées au Vel d’Hiv et dans le camp de Drancy.

A partir du 19 juillet, les départs s’organisent vers les camps de Pithiviers, Beaune-la-Rolande et Drancy. Les familles sont séparées alors que les premiers convois partent pour Auschwitz. Le cas des enfants pose toujours problème : Sont-ils déportables ? Les enfants français sont-ils concernés ? Berlin finit par donner son accord pour la déportation des enfants le 13 août. Ils sont alors transportés avec des adultes qu’ils ne connaissent pas et systématiquement exécutés à leur arrivée. Ces convois d’enfants sont sans équivalent en Europe. La séparation des familles marque l’opinion publique. Mgr Saliège dénonce la déportation des Juifs en août 1942. La polémique incite Pierre Laval à ralentir le rythme des déportations en septembre 1942. 45 % des Juifs déportés depuis la France le sont à l’été 1942.

Le contexte de publication

Si une plaque commémorative est apposée sur le Vel d’Hiv dès 1946, elle n’évoque cependant pas la responsabilité du régime de Vichy ni de la préfecture de police de Paris. La publication du livre de Claude Lévy et de Paul Tillard est un succès. Cela incite Candide, hebdomadaire de droite aux unes parfois racoleuses, a en acheter les droits.

Les dessins de Cabu

Chaque dessin est commenté, mettant en lien les dessins avec des éléments issus du livre de C. Lévy et de P. Tillard, les corrigeant si nécessaire. Cabu récrée l’ambiance angoissante de la rafle. La menace des policiers qui arrêtent les Juifs dans la rue ou chez eux est renforcée par leurs ombres agrandies sur le sol ainsi que par des jeux de contrastes entre ombre et lumière, soulignés par le choix du noir et blanc. Les forces de l’ordre sont de dos ou dans l’ombre, alors que les juifs arrêtés ont un visage distinct soigneusement esquissé. Les formes de résistance sont mise en avant : fuites, refus d’ouvrir, tentatives de suicide. Le regroupement dans des conditions difficiles au Vel d’Hiv’ est évoqué, mis en relation avec des témoignages mais aussi des documents couvrant d’autres arrestations au Vel d’Hiv. Les éléments non attestés sont mentionnés.

Les dernières planches évoquent l’évacuation vers des camps français. Les dessins mettent en évidence l’entassement des déportés, évacués par bus puis par wagons à bestiaux. Une masse d’enfants remplissent le quai et le train, certains pleurent. Le dessin est mis en parallèle avec des témoignages de l’époque, les témoins sont marqués par cette foule de femmes et d’enfants emmenés vers une destination inconnue. Cabu représente aussi le départ des hommes de Drancy, avec les femmes aux fenêtres. Elles leur jettent leurs propres rations de pain pour le voyage et leur adressent leurs adieux. Le recueil s’achève sur une image terrible, un convoi de femmes, souvent des mères séparées de leurs enfants, de Pithiviers vers Auschwitz.

Des documents annexes facilitent l’analyse : note de la Préfecture de police de Paris, portraits de juifs arrêtés dont s’est inspiré Cabu, rares photographies des événements. Une seule photographie du Vel d’Hiv a été retrouvée, grâce aux recherches de Serge Klarsfeld, mais d’autres photographies de Juifs internés à cet endroit datent d’août 1944 et ont pu être utilisées.

L’épilogue évoque la difficile reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français jusqu’au discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995.

Les 80 ans de la rafle du Vel d’Hiv sur le site du Mémorial de la Shoah

Jennifer Ghislain