Au menu de La Revue dessinée ce trimestre, le quartier européen de Bruxelles, le compteur Linky ou bien encore l’illectronisme, sans oublier évidemment les traditionnelles rubriques. L’édito s’interroge sur le progrès à marche forcée et pose également la question des liens entre les gens aujourd’hui et demain pour inventer un monde commun.

Procès d’intention

Grégory Mardon a enquêté sur les rapports entre la justice et les gilets jaunes. Il s’appuie notamment sur le cas de Gwenaël, 31 ans, qui a participé à la manifestation du 1er décembre 2018 et qui a été interpellé. Il est revenu à Paris en mai et a été une nouvelle fois arrêté. Il est resté incarcéré pendant 28 jours avant d’être libéré. On suit donc ce qui se passe dans le cas d’une procédure de comparution immédiate. Généralement, les peines prononcées sont plus lourdes. Le reportage se poursuit en évoquant d’autres manifestants comme Maxime ou Alexandre. Dans la partie «  En savoir plus »,  Grégory Mardon pose de façon ironique la question de savoir ce qui peut être une « arme par destination » ou ce qui ne l’est pas. Un pot de rillettes peut entrer dans cette catégorie s’il est lancé contre les forces de l’ordre comme en 2019 à Marseille et c’est le cas aussi de la pomme de terre dans des circonstances comparables.

De briques et de broc

L’architecture du quartier européen de Bruxelles est pilonné par Ludovic Lamant et Vincent Sorel. Dans ce quartier travaillent 27 000 fonctionnaires européens, et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas une franche réussite en terme de construction. On découvre aussi que, longtemps effacée, Bruxelles a bâti en douce pour abriter les institutions européennes. Jusqu’en 1992, les incertitudes sur la localisation de certaines institutions a conduit à une politique de court terme. A partir de cette date, la Commission a pu acheter officiellement des terrains. Le Berlaymont, siège de la Commission, a été surnommé Berlaymonster par Jean-Claude Juncker. La parole est donnée à des associations qui tentent de lutter contre une politique qui s’est caractérisée par de nombreuses destructions. On a même forgé le terme de bruxellisation pour désigner cette façon de livrer le tissu urbain aux intérêts des promoteurs.

Déforestation, chansons et jurons

La rubrique «  L’effet domino » s’intéresse à la déforestation de l’Amazonie et pose de façon plus générale la question du lien entre destruction des milieux naturels et développement des épidémies. « Face B » évolue à la demande des lecteurs en se tournant vers des chanteurs plus connus comme ici Joan Baez. Sa carrière a été marquée par ses engagements humanistes et plusieurs faits remarquables. Un de ses albums a été ainsi  classé numéro 1 pendant 140 semaines et, après son histoire d’amour avec Bob Dylan, elle a su évoluer et se renouveler artistiquement. La rubrique sur la sémantique permet de savoir distinguer juron, insultes et injures. Il faut noter la subjectivité éventuelle de l’insulte qui est parfois un code entre personnes. Le juron a lui pour vocation première le défoulement. Topo parle aussi de «  Planète rap », l’émission culte de Skyrock qui continue de donner le tempo malgré le développement du streaming.

Linky

Le reportage intitulé « Sous tension » donne immédiatement le ton sur le compteur Linky. Il retrace le combat de certains contre l’installation de ce compteur. Pour ses opposants, plusieurs points sont à revoir : le prix, l’impact éventuel sur la santé notamment. Ils s’inquiètent aussi de la collecte des données qui pourrait nourrir le Big data mais aussi permettre de déduire des éléments sur la vie quotidienne de chacun. Le problème pour les opposants est donc plus large car c’est toute la question des objets connectés qui est posée. Après avoir agi en essayant de convaincre les réticents,  le groupe Enedis qui porte le déploiement des compteurs ne fait plus aujourd’hui dans la diplomatie comme le montrent plusieurs témoignages. La lutte s’organise parfois au niveau des communes.

Ni vus, ni connus

Taina Tervonen et Jeff Pourquié posent la question des sans-papiers, de leur invisibilité dans la société et pourtant de leur indéniable utilité économique. Les auteurs rappellent d’abord la complexité de la circulaire Valls consacrée à leur régularisation. Il faut remplir plusieurs conditions pour espérer obtenir le fameux sésame. A travers plusieurs exemples, on mesure les difficultés quotidiennes de ces travailleurs. Leur rôle est souvent essentiel comme dans cette entreprise qui emploie pas moins de 36 sans-papiers. Ceux-ci se retrouvent particulièrement exposés en cas d’accident de travail. Le reportage choisit également de parler de celles et ceux  qui sont arrivés au bout du parcours, ce qui change leur vie, notamment en terme de soins. Les itinéraires montrent aussi le déclassement de ceux qui ont quitté leur pays. Ainsi, Karima, qui était coach de judo en Algérie, est femme de ménage en France. Il y aurait entre 300 000 et 400 000 personnes en situation irrégulière en France et peut-être près de 4,5 millions dans toute l’Europe.

L’illectronisme

Le terme peut sembler barbare et pourtant il désigne une réalité importante aujourd’hui en France. L’ exemple d’une vieille dame qui cherche à changer son billet de train permet de comprendre les difficultés de la vie quotidienne quand on ne maitrise pas la technologie. Il faut savoir que, par exemple, 90 % des billets de TGV sont réservés sur Internet. La dématérialisation concerne surtout de nombreuses procédures administratives. Commencée en 1998, elle ne fait que se développer dans les caisses d’allocations familiales ou aux impôts. Pourtant, on estime  aujourd’hui que 12 millions de personnes sont dans l’incapacité d’utiliser le numérique dans leur vie courante, ce qui est donc une source de nombreux problèmes et tracas. Une démarche réalisée de manière électronique coûte indéniablement moins chère à l’Etat. Face à une situation qu’ils n’arrivent pas à résoudre, certains renoncent à effectuer des démarches. Le phénomène est loin d’être marginal puisqu’on estime que le non recours au RSA atteint 36 % des personnes qui pourraient y prétendre.

En refermant ce numéro, on a comme toujours cette sensation bien agréable d’en savoir plus. Pour le mois de mars, « La Revue Dessinée » annonce une enquête sur les fake news, un reportage sur les gens du voyage ainsi qu’un autre sur la vidéosurveillance.

Jean-Pierre Costille pour les Clionautes