Ce roman graphique revient sur un épisode phare qui s’est déroulé il y a un peu plus de cinquante ans et qui a marqué une étape décisive. Le procès de Bobigny est en effet aujourd’hui considéré comme le procès qui a rendu possible la légalisation de l’avortement en France.
Les choix des autrices
Marie Bardiaux-Vaïente est scénariste de bande dessinée depuis 2011. Militante et féministe, elle témoigne de l’ensemble de ses diverses préoccupations dans son activité d’autrice. Elle a ainsi publié « La guillotine » ou encore la collection « Les reines de sang ». Carole Maurel est dessinatrice, graphiste et animatrice. En 2013, elle a dessiné et écrit « Comme chez toi » et en 2021 elle réalise le dessin de « Coming in ». On la retrouve également au dessin de « Nelly Bly ». Les autrices insistent pour dire que cet ouvrage n’a pas vocation à être une étude historique même s’il est basé sur des faits réels. Elles se sont néanmoins appuyées sur les sources d’époque. Dans ce roman, elles font parfois le choix d’avoir très peu de dialogues mais la force des images suffit à faire passer le message.
Le contexte du début des années 70 en France
En juin 1971, 343 femmes publient un manifeste appelant à la légalisation de l’avortement mais il passe alors relativement inaperçu. Lors de discussions, plusieurs d’entre elles en arrivent à l’idée que, pour porter leur message, il faut le médiatiser encore davantage. Peu après, une affaire d’avortement éclate. La mère de la victime rencontre l’avocate Gisèle Halimi qui fait partie du comité des 343. Après quelques discussions, l’avocate annonce à la mère : « nous allons faire de votre histoire un exemple pour faire changer la loi ».
L’histoire de Marie-Claire
En novembre 1971, Daniel est arrêté pour un délit et, pour se disculper, il propose aux policiers de dénoncer une femme qui a avorté. Très rapidement, la police débarque chez elle, à six heures du matin, pour arrêter la jeune fille appelée Marie-Claire. Mère et fille sont embarquées au commissariat devant les yeux médusés du reste de la famille. Marie-Claire avait eu pour seul tort de croire à son histoire d’amour avec Daniel mais celui-ci n’a pas hésité à la violer.
Le combat de Gisèle Halimi
Les autrices soulignent le rôle de Gisèle Halimi dans ce combat de longue haleine. Elles proposent un rapide flash back sur sa jeunesse en Tunisie pour montrer que celle-ci a voulu, très tôt, s’émanciper de toute domination masculine. On trouve également plusieurs extraits de ses répliques tranchantes lors du procès. Elle-même a été victime d’un curetage à vif alors qu’elle n’avait que 19 ans. Le médecin a alors tout fait pour qu’elle souffre lors de cette opération.
Un procès médiatique
La jeune Marie-Claire raconte son histoire jusqu’au viol. De façon pudique, mais claire, l’album montre cet épisode. Utilisant les variations de couleurs, il distingue les moments de la vie de Marie-Claire. Plusieurs personnalités viennent à la barre contribuant à médiatiser le procès. On croise ainsi Delphine Seyrig, membre de la même association que Gisèle Halimi, et qui raconte qu’elle-même a avorté. Elle va même plus loin en disant qu’elle est complice d’avortement quotidiennement, par exemple en donnant de l’argent ou en prêtant sa maison pour que soient pratiqués des avortements. A ce procès, défilent aussi le professeur Jacques Monod, prix Nobel de médecine, qui dit « qu’avorter n’est pas tuer ». Il y a aussi le député Michel Rocard alors en train de préparer une loi pour la soumettre à l’Assemblée nationale. Le professeur Milliez, gynécologue, bien que catholique pratiquant, confesse avoir souvent aidé des femmes qui souhaitaient avorter. Il déclare : « ce n’est pas l’avortement qui tue, c’est l’absence de loi ».
L’avortement
Le moment et les conditions de l’avortement sont exposés. Micheline Bambuck raconte en détails ce qui s’est passé. Lorsque la mère de Marie-Claire apprend ce qui est arrivé à sa fille, elle fait tout pour l’aider. Elle rassemble avec difficulté de quoi payer l’avortement. On apprend, peu à peu, qu’elle ne veut surtout pas que sa fille revive ce qu’elle-même a vécu en étant « fille mère ». Lors de son témoignage, Michel Rocard avance le chiffre de 500 000 à un million d’avortements clandestins par an.
Le verdict
Gisèle Halimi met en évidence le fait que toutes les femmes qui ont avorté ne sont pas traitées de la même manière. Elle parle à ce propos d’une véritable « justice de classe ». Madame Claude Servan-Schreiber dit à la barre qu’elle aussi a avorté. Seulement, comme elle est de la haute société, elle n’a nullement été inquiétée. Si on a de l’argent, on peut alors aller avorter en toute discrétion à l’étranger. La cour rend son jugement et relaxe Marie-Claire ainsi que sa mère. L’album se conclut avec Simone Veil défendant son projet de loi à l’Assemblée nationale devant un parterre de députés presque exclusivement masculins.
En conclusion, ce roman graphique permet de rendre compte d’un procès exemplaire. Il restitue en même temps le climat de cette époque. Ce « récit fictionné d’une histoire vraie » se révèle particulièrement réussi.
Pour en découvrir quelques pages, c’est ici.