La rentrée charrie toujours son lot de livres sur l’éducation avec, avouons-le, souvent davantage de livres qui tirent à boulets rouges sur l’école que d’ouvrages qui mettent en avant ses réussites. Alors, si vous en avez assez de ce déséquilibre, si vous avez envie d’une bonne dose d’optimisme et d’air frais, ce livre est fait pour vous. Ecrit par Emmanuel Vaillant, journaliste qui a été rédacteur en chef délégué de l’Etudiant, il s’adresse plutôt au grand public comme le laisse entendre le sous-titre.

Paysage avant la bataille … idéologique

Pendant un an et demi Emmanuel Vaillant a sillonné la France pour enquêter. Il précise dans son introduction quelques repères sur sa méthode et sur ce qu’il a constaté. Il y aurait 10 à 15 % de professeurs innovants et son projet est de décrire ce qu’ils font. Néanmoins, pour éviter la simple collection de témoignages, il regroupe son approche en sept chapitres. Emmanuel Vaillant dresse d’abord un état des lieux qui veut au maximum mettre à distance les affects et l’idéologie pour livrer quelques « faits tangibles ». Il revient d’abord sur cette activité éditoriale frénétique concernant l’école, en taclant quelques uns qui ont un avis définitif sur l’école …tout en ayant quitté ses bancs depuis un demi siècle. Il donne aussi quelques informations sur la massification en concluant que l’école n’amplifie pas les inégalités mais qu’elle ne les comble pas, ou pas assez. L’école est en perpétuelle transformation et il souligne que, depuis 2005, l’article 34 du Code de l’éducation autorise le droit à l’expérimentation. Emmanuel Vaillant assume le fait d’avoir rencontré les professeurs de terrain et peu les cadres ou les penseurs de l’éducation, tout en les ayant lu évidemment. Il a choisi également d’exclure de son enquête les écoles modèles ou trop atypiques. Il s’est appuyé sur Expérithèque et Viaeduc pour choisir ses rencontres. Il souligne aussi la modestie de toutes celles et ceux qu’il a rencontrés et, quand il croit repérer chez eux telle ou telle influence intellectuelle, tous lui opposent le terrain et le fait qu’ils ont bricolé individuellement. Son credo est clair : « ces projets sont autant de révolutions minuscules qui pourraient apporter bien plus de bouleversements que l’espoir d’un grand soir » .

Indisciplinés

L’enquête commence en racontant une expérience de micro lycée qui s’est ensuite étendue à tout un établissement. Emmanuel Vaillant développe des techniques pédagogiques comme la cartographie des controverses. Les sujets doivent être actuels, dans le débat public, en évolution et couvrir plusieurs champs disciplinaires : à titre d’exemple : doit-on autoriser l’exploitation du gaz de schiste ? Il parle donc de cette interdisciplinarité qui fait parfois frémir certains collègues au nom d’un risque de dilution des savoirs. Pour l’école primaire, il revient sur la logique de cycles et ses avantages, donne des exemples comme l’arbre des connaissances pour suivre l’acquisition des compétences des élèves. On croise ainsi au fil des pages des auteurs de référence sur la pédagogie et pas forcément les plus récents car il cite par exemple d’Edouard Claparède. A la fin de son chapitre, Emmanuel Vaillant conclut que le cadre éducatif n’impose pas tout.

Ces écoles ne manquent pas de méthodes

A présent, l’auteur se confronte à la redoutable question des méthodes. Il avance le fait que certaines découvertes scientifiques autour des neurosciences commencent à essaimer dans le monde éducatif. Ce n’est pas forcément ce terme qui est mis en avant par les enseignants mais plutôt celui de pédagogies actives. Pour l’auteur, « le métier de professeur ne consiste pas à enseigner mais à apprendre ». Il cite donc quelques techniques utilisées au quotidien par les enseignants comme celle du coup de pouce ou les cartes mentales, histoire de diversifier les moyens d’apprendre. Il ne tranche pas les débats théoriques sur les intelligences multiples mais en retient que, partant de là, des enseignants tentent autre chose. Certains reconnaitront des initiatives qu’ils connaissent peut-être déjà comme les twictées à destination des élèves du primaire. On a aussi une approche des classes inversées avec le cas d’Olivier Quinet ou de Mickaël Bertrand. A chaque fois le propos est nuancé et Olivier Quinet insiste sur le fait qu’il y a encore parfois du frontal avec les élèves mais que sa rareté crée sa valeur. Néanmoins, ce qui frappe tout de même, c’est un certain isolement de ces enseignants au sein de leur établissement. Au-delà de cette collection d’exemples, Emmanuel Vaillant met en avant trois idées : mettre les élèves en situation de chercher, développer les exercices d’entrainement et de mémorisation et enfin proposer des cours qui ne soient pas que du frontal.

La bienveillance n’est plus une option

L’auteur s’attache ensuite à cette transformation inscrite dans les textes officiels depuis 2013. Il montre également que, pendant longtemps, l’école a fait comme si les corps n’existaient pas. Pourtant, des professeurs choisissent de faire avec et pas sans le corps. Des élèves de CM1 CM2 sont invités à se déplacer avec des étiquettes pour mieux leur faire comprendre les règles de la syntaxe. Il s’intéresse aussi à ce qu’on désigne sous le terme de climat scolaire en s’attachant à des pratiques de régulation des conflits à l’ école primaire ou au cas du collège Vauban à Belfort. Il insiste donc sur l’idée de l’éducabilité : « Admettre que le principe d’éducabilité soit constamment mis en échec sans pour autant y renoncer ». L’auteur insiste également pour dire qu’éduquer devient l’affaire de tous. Les parents sont évidemment un des acteurs de l’école qui les a pendant longtemps maintenus à distance. Là encore un rapide détour par l’histoire permet de comprendre pourquoi. La volonté de les intégrer est encore loin d’être une réalité. On peut aussi changer l’image avec des initiatives où les parents entrent dans l’école. Il est bon qu’une famille ne vienne pas seulement à l’école pour être convoquée lors d’un problème.

Evaluer n’est pas noter

Cela fait partie des autres sujets brûlants et sur lesquels la polémique peut toujours ressurgir. Emmanuel Vaillant se livre d’abord à une tentative d’état des lieux de la question entre les partisans d’une suppression des notes et ceux qui souhaitent les maintenir. Reconnaissons un tour d’horizon équilibré qui ne dissimule pas les éventuels problèmes comme lorsqu’il montre que certains élèves ont reconstitué une échelle de notes à partir des codes couleurs. Il dit aussi combien la question est clivante en salle des professeurs. Il dévoile les premiers enseignements d’une enquête sur l’évaluation par compétences : les effets seraient sensibles en mathématiques, indétectables en français. L’affaire est à suivre. En tout cas, « c’est lorsque les équipes se questionnent sur la façon de faire cours et sur la manière de mieux faire réussir les élèves qu’elles en arrivent tout naturellement à réfléchir sur la forme de l’évaluation ».

Des espaces tellement classes !

Parmi les autres questions qui sont encore trop souvent des angles morts, celle du matériel et des locaux. Emmanuel Vaillant rappelle qu’avant tout s’imposent des normes de construction, des coûts. Mais, en même temps, « peut-on enseigner au XXIème siècle dans des établissements scolaires hérités du XIXème siècle ? ». La question est, comme il le dit, « faussement naïve », mais elle doit néanmoins être posée. Là encore l’auteur fournit quelques éléments pour aider à penser la question : entre 1966 et 1975 près de 3500 collèges ont été bâtis, soit un par jour ! Il y eut ensuite le temps de la décentralisation. L’auteur avoue que sur la question de l’aménagement des classes, il a eu moins d’exemples à disposition. Il s’attache au cas de l’école de Tébédan qui a su refaire de l’école un lieu de vie et de partage entre les générations. Sans tout changer, on peut aussi procéder par petites touches pour changer les choses comme le démontre l’équipe de designers de Saint-Etienne qui réfléchit par exemple à des matériaux qui absorbent le son. Emmanuel Vaillant conclut que les enseignants bricolent avec les espaces à défaut de les rénover.

Quand les innovations font école

Il passe en revue quelques lieux ou initiatives comme « Les cahiers pédagogiques » ou Ludovia. Ce chapitre est aussi l’occasion pour l’auteur de dresser une liste de toutes les autres réalisations qu’il aurait pu développer. Mais il se pose alors la question qui fâche : peut-on étendre, répandre toutes ces belles initiatives ? Comment passer de l’innovation à la transformation ? Fort justement, Emmanuel Vaillant montre qu’il n’y a pas un profil de l’enseignant innovant : « les critères d’âge, d’ancienneté ou de parcours ne sont d’aucun recours ».  Il montre également qu’il ne faut pas forcément innover pour mieux faire apprendre et rappelle quelques grands pédagogues anciens qui avaient déjà souvent dit l’essentiel. L’auteur tente tout de même d’esquisser ce portrait de l’enseignant innovant : « il est celui qui applique les textes en vigueur mais en sachant les interpréter, qui adopte une pratique déjà utilisée ailleurs pour la mettre à sa façon et qui sait utiliser les interstices en se dotant de quelques marges de manoeuvre pour naviguer dans une technostructure parfois sclérosante ». Il met en avant une formule de François Taddei selon laquelle il importe avant tout d’enseigner l’art de la question, autrement dit apprendre à apprendre.

Au terme de ces 250 pages, le lecteur a donc rencontré des exemples stimulants et variés. Emmanuel Vaillant dresse un état des lieux qui me semble équilibré, sachant montrer ce et ceux qui changent tout en rappelant l’apport de quelques penseurs précurseurs. Une lecture qui peut inciter à l’optimisme. Il n’y a pas de mal à se faire du bien au moral !

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes