Cette biographie vient compléter aujourd’hui la réédition d’un ouvrage de Léon Aufrère, «Le cercle d’Abbeville, Paléontologie et préhistoire dans la France romantique » Edition établie par Aufrère M-F, Liège, Brepols, 2007.(2007), la parution du livre de Marie-Françoise Aufrère, «L’Homme antédiluvien selon Boucher de Perthes (1788-1868) : divagations théoriques et vraies découvertes scientifiques» « L’Homme antédiluvien selon Boucher de Perthes (1788-1868) : divagations théoriques et vraies découvertes scientifiques » travaux du Comité Français d’Histoire de la Géologie, Troisième série, T. XXI, 2007. (2007) et le «Boucher de Perthes, écrivain raté, scientifique réussi ?» in «Les ratés de la littérature», Paris, Ed. Du Lérot, 2000. de Claudine Cohen (2000).
A lire les deux titres précédents, on ne peut qu’être intrigué par un personnage aux intérêts multiples et aux réussites plus que contrastées.
Claudine Cohen, philosophe et historienne des sciences françaises, spécialiste de l’histoire de la paléontologie et des représentations de la préhistoire est directrice d’études de la chaire «Biologie et société» à l’École pratique des hautes études (Sciences de la vie et de la Terre), et directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, ainsi que Jean-Jacques Hublin, préhistorien, enseignant à l’université de Californie à Berkeley en 1992, à l’université Harvard en 1997 et à l’université Stanford en 1999 et 2011, à l’Institut Max-Planck de Leipzig depuis 2004 (anthropologie évolutionniste) et au Collège de France depuis 2014 en tant que professeur titulaire de la chaire internationale de paléoanthropologie, nous invitent à le redécouvrir.
«Ce livre est extraordinaire». Voilà ce que déclare Yves Coppens au début de sa préface à propos de cet ouvrage couronné par l’Académie française. Et en effet, c’est une véritable fresque d’une formidable richesse que nous avons découverte. Il faut dire que la vie de Boucher de Perthes a véritablement été romanesque, passionnante. On y côtoie la politique de l’époque, les arts et les lettres d’Italie et de France, les réceptions mondaines de Gênes et de Paris, ses aventures amoureuses, parfois rocambolesques, notamment avec Pauline Bonaparte, la propre sœur de l’empereur. Faite de voyages au cœur de l’Europe romantique («Un bohème de la science»), de passions, parfois de trahisons et de combats scientifiques («le temps de l’adversité»; «l’affaire du Moulin Quignon»), la vie de Boucher de Perthes aurait pu faire l’objet d’un film.
Né un peu avant la révolution le 10 décembre 1788, il aura traversé les grands évènements de cette époque, rencontré deux empereurs, traversa assez habilement au cours de sa carrière professionnelle les différents régimes politiques que connaît la France. Tour à tour administrateur impérial en Italie, homme de lettres parisien puis officier des Douanes à Abbeville, sa carrière professionnelle ne sera pas pour lui un but mais il trouvera toujours dans les lettres puis dans les sciences, sa véritable vocation.
Boucher de Perthes, le douanier romantique.
Il s’est fait metteur en scène, compositeur, écrivit des opéras, musique et paroles, dirigea un orchestre mais pris aussi le temps de s’intéresser aux coutumes locales lors de ses nombreux voyages et séjours en Europe et en France. «Douanier libre-échangiste», critiquant le blocus continental qu’il a été chargé de mettre en place en Italie, douanier poète, dramaturge, nouvelliste «au goût espagnol, oriental moyenâgeux», romancier et autobiographe («Sous dix Rois» Autobiographie romancée, 1791-1860), il écrivit également en 1835 un petit chef-d’œuvre d’ironie, «Petit glossaire de quelques mots financiers, esquisses de mœurs administratives», dont les quelques extraits présentés dans ce livre sont savoureux. Voilà l’homme de lettres, le romantique dans tous ses essais (excès?), ses réussites comme ses échecs.
Boucher de Perthes, le préhistorien.
Si un tiers de l’ouvrage nous montre un enfant du siècle, le reste nous présente le scientifique, l’homme de convictions, de combats… toujours dans son siècle.
Même s’il côtoya dès son plus jeune âge de nombreux scientifiques, ce n’est qu’à l’age de 50 ans qu’il commença sa «deuxième carrière». Il s’investit d’abord dans la botanique mais se passionna par la suite dans les «études celtiques» très à la mode à cette époque. Il devint en 1830 le président de la Société d’émulation d’Abbeville où il se lia d’amitié avec le préhistorien Casimir Picard Casimir Picard a laissé un héritage scientifique notable. Il est en effet le premier à faire la distinction entre haches de pierre polie et haches de pierre éclatée. Il est aussi le premier à tenter d’appliquer la méthode stratigraphique des paléontologues à la recherche archéologique. qui siégeait au conseil et, c’est à partir des gisements de cette région qu’il réussira à faire admettre, beaucoup plus tard, après maints combats, l’existence de ce qu’il dénommait «l’Homme antédiluvien» et ce, en jetant les bases de la science préhistorique.
Les premiers pas : L’évolutionnisme spiritualiste de Boucher de Perthes.
De 1838 à 1841, il publiea les cinq volumes de «La Création», exposé philosophique, «quatre kilos de métaphysique un peu brumeuse diront certains»(p.121), rencontrant les idées de Georges Cuvier, Lamarck, Geoffroy de Saint-Hilaire… mais dans lesquels l’ancienneté de l’Homme ne fut pas discutée.
En effet, au 19e siècle, deux idéologies sur l’évolution des êtres vivants s’affrontent : L’évolutionnisme considère que les êtres vivants se transforment au fil des âges. Le fixisme quant à lui, refuse la notion d’évolution des espèces et met la disparition des espèces animales préhistoriques sur le compte du Déluge. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer la pensée de Boucher de Perthes.
Mais, «La Création» est aussi le premier pas vers l’idée d’un homme pré-historique. «C’est le cadre conceptuel dans lequel s’insérera sa recherche de «L’Homme antédiluvien et de ses œuvres» (p.123) : Il tenta d’y justifier la notion d’un devenir des êtres vivants par la réincarnation (!)…réincarnation qu’on retrouve d’ailleurs dans l’œuvre majeure de Shopenhauer «Le monde comme volonté et comme représentation», 1819 tout en maintenant les cadres fixistes de la pensée de Cuvier et de de maintenir l’idée d’un dieu créateur même si ce dernier ne ressemble pas à celui de l’Église (comme Lamarck et son être suprême).
1847- 1863 : Le temps de l’adversité, la reconnaissance et l’affaire du Moulin-Quignon.
Entre 1846 et 1864, Il rédigea plusieurs ouvrages notamment son œuvre majeure «Antiquités celtiques et antédiluviennes, mémoire sur l’industrie primitive et les arts à leur origine». C’est dans celui-ci qu’il prouvera l’existence de l’Homme d’avant le Déluge, au moyen de l’industrie lithique trouvée sur le même plan stratigraphique que les fossiles d’animaux disparus.
L’académie des Sciences n’a hélas pas reconnu ses travaux et le retard de publication du premier tome (imprimé en 1847 mais publié en 1849) en fut bien la raison. Ce n’est qu’à partir de 1857 que les soutiens de Lartet et Geoffroy de saint-Hilaire ont véritablement été un pas vers la reconnaissance. Ils précèdent de deux ans le retournement de l’opinion du monde scientifique grâce aux renforts des scientifiques britanniques de la Royal Society notamment Hugh Falconnet, Prestwich et Evans. 1860 fut ainsi l’année de la victoire, enfin, … à 72 ans.
Et pourtant, après toutes ces épreuves, ce ne fut pas la fin : la trahison s’ajouta à l’adversité à partir de mars 1863 lorsque ses alliés d’hier devinrent ses adversaires, prenant position contre lui à propos de la «datation» antédiluvienne de la mandibule trouvée au Moulin-Quignon. Entre nationalistes scientifiques, faussaire, rôle de l’opinion publique, l’affaire fut enfin résolue après maintes vérifications scientifiques quelques mois plus tard. Boucher de Perthes devint alors «une gloire nationale, un champion de la science française» (p.302) et fut nommé Officier de la légion d’honneur dans la foulée le 14 août.
Ainsi, si Nathalie Richard disait avec justesse que les auteurs avaient réussi à « [replacer] Boucher de Perthes parmi ses contemporains plus illustres, Victor Hugo, Chateaubriand ou Lamartine (…) », et «évité une facile condamnation des aspects fantaisistes de l’œuvre scientifique», elle constatait aussi «l’absence d’une réelle analyse conceptuelle des œuvres du préhistorien (… ), [des] bases théoriques sur lesquelles s’est élaborée la préhistoire à ses débuts»In: Revue d’histoire des sciences, tome 44, n°3-4, 1991. pp. 496-497 [http://www.persee.fr/->http://www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1991_num_44_3_4206_t1_0496_0000_2] mais tel n’était peut-être pas le but d’une biographie qui se dévore comme un romanPour découvir les apports de Boucher de Perthes, voir http://www.archeologiesenchantier.ens.fr/ .
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