La domination masculine est un fait quasi universel. Cette affirmation est bien présente dans la dédicace
« A ma mère, Christine Augereau, qui fut l’esclave d’un homme si doux, Claude, mon père » p. 5
de l’ouvrage qu’Anne Augereau consacre aux femmes néolithiques. L’autrice est archéologue et fonde un solide raisonnement sur les connaissances qu’apportent les fouilles dont elle montre l’apport mais aussi les limites.
A la recherche des origines de la domination masculine, l’introduction propose un rapide tableau de la domination à partir des écrits de Simone de Beauvoir ou Nicole-Claude Mathieu. Cette réalité généralisée est pourtant protéiforme selon les cultures, les époques ou les régions du monde. Anne Augereau place son travail dans le cadre des « gender studies » et voit dans l’étude des sépultures un champ de recherche fécond. Son étude porte sur l’organisation des rapports entre les deux sexes au moment où se met en place la culture sédentaire du Rubané.
Le genre et l’archéologie du genre, un état des lieux
Ce premier chapitre propose une définition et un rappel des « gender studies » : « Autrement dit, les études de genre s’intéressent à la manière dont sont construites les catégories d’identité sexuées propres à un groupe social et comment elles interagissent entre elles. »Citation p. 22.
L’autrice montre le rôle, en France, de Françoise Héritier pour qui ce n’est pas le sexe qui fait la différence mais la fécondité. En matière d’archéologie, dans le monde anglo-saxon où ces études sont plus développées, elle cite plusieurs exemples dont les travaux de Margaret Conkey qui a travaillé sur le Magdalénien ou de Marie-Louise Stig Sorensen.
Quels sont les indicateurs qui montrent une répartition sexuée des tâches ? A partir d’exemples l’autrice montre quelques raisonnements mais aussi leurs limites : atelier de taille du silex, occupation de l’espace, alimentation, pratiques funéraires et quelques données sur le pouvoir et l’expression artistique.
Le Rubané, un peuple de migrants
Ce peuple dit du « Rubané » est arrivé par petits groupes depuis le Proche-Orient en deux millénaires. L’autrice décrit cette migration et ce qui caractérise cette culture (poteries, architecture, économie, outillage et pratiques funéraires) répartie sur un vaste territoire de l’Ukraine actuelle au Bassin parisien. Elle met en lumière les continuités et ruptures avec le Mésolithique. Les études paléogénétiques confirment l’arrivée d’un nouveau peuple d’éleveurs-agriculteurs sans réels rapprochements avec les populations antérieures de chasseurs-cueilleurs.
Des controverses se sont développées à propos de l’existence de hiérarchies sociales ou d’une situation d’égalité.
Après ce portrait collectif l’autrice présente sa méthodologie pour une étude du genre : sites funéraires étudiésCarte p. 96-97, données à partir de l’étude des ossements (âge et sexe) mais aussi du mobilier funéraire.
Au Rubané : le genre dans tous ses états
Que nous apprennent les 378 sépultures analysées ?
Des constats : plus d’objets dans les tombes masculines et de catégories plus variées. Pour les 2/3 des femmes ce sont des parures et des vêtements alors que les hommes sont associés aux outils. Les parures et ornements sont étudiés dans leur diversité selon les sites, par exemple les détails des parures des femmes (70 et 91) de Bucy-le-long dans l’Aisne, ou la sépulture 14 de Mulhouse Est. On peut regretter que les documents présentés, photographies et croquis de fouilles soient petits et peu lisibles.
Le second lot de mobilier funéraire regroupe les armes, les outils (herminettes, haches, outils de broyage, briquets à percussion). Herminettes et haches polies sont des marqueurs du genre masculin, on ne les trouve que dans les tombes masculines. Chaque élément est analysé en détail : flèches, dont l’étude pourrait être approfondie par l’étude de signes d’usage et l’étude de pathologies éventuelles sur les ossements ; briquets à percussion, présents dans les tombes riches et peut-être associés à la maîtrise de l’énergie et à une division genrée du travail. L’absence d’outils tranchants dans les tombes féminines semble confirmer cette hypothèse Tableau de synthèse p. 158.
L’autrice propose une synthèse des connaissances pour chaque activité. Elle interroge l’acquisition du genre à partir des tombes d’enfants et d’adolescents : statut, équipement riche ou non, état de santé (carences alimentaires, traces de violence). Les conclusions sont difficiles à établir.
En ce qui concerne la mobilité géographique et le régime alimentaire, tout en faisant preuve de prudence, l’autrice montre que les femmes néolithiques étaient plus mobiles et semble avoir eu une alimentation plus végétale. Les femmes furent-elles victimes de rapts guerriers ?
Un dernier paragraphe est consacré à la forme des sépultures, individuelles ou collectives, proches ou non des habitats, formes de préparation de de dépôt des corps. Les concentrations funéraires semblent se structurer autour d’une tombe masculine riche, avec herminette et autre mobilier. Pourtant dans le Bassin parisien certaines tombes féminines structurent la nécropole. Il demeure difficile de conclure sur des degrés d’inégalité homme/femme ou sociales.
Reprenant les conclusions de plusieurs auteurs, Anne Augereau affirme l’existence, au Ruibané, d’une société patriarcale tout en insistant sur les variations régionales du Caucase au Bassin parisien, les évolutions temporelles et les possibles influences mésolithiques.
En guise de conclusion : et les femmes dans tout ça ?
L’identité masculine est fortement marquée, acquise dès l’enfance, vers 6 ans, mais dans le Bassin parisien l’identité féminine est plus marquée mais inégale.
Un certain nombre de questions demeurent à retravailler comme la répartition des tâches, la place des femmes dans l’artisanat et surtout, sont-elles des subordonnées ?
Le système semble reposer sur l’échange des femmes alors que les porteurs d’herminette incarnent le lien au territoire. Certaines femmes néolithiques ont-elles joué un rôle social central ?
Pour finir je laisse la parole à l’autrice : « Mais il est trop tôt pour conclure : l’étude de la condition des femmes de la fin de la préhistoire et du début du Néolithique en Europe ne fait que commencer. »Citation p. 241. Pour la période préhistorique on pourra se reporter à l’ouvrage de Claudine Cohen, Femmes de la préhistoire, Belin, 2016 ou à la conférence de Marylène Patou-Mathis, L’homme préhistorique est aussi une femme, RVH – Conférence – Carte blanche aux éditions Allary – Chateau de Blois , – Dimanche 11 octobre 2020.
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