Boulogne-sur-Mer antique, entre terre et mer. Gesoriacum-Bononia, le port et son arrière-pays regroupe, en dix-huit articles, les contributions à une table ronde organisée à Boulogne-sur-Mer, les 24 et 25 septembre 2015 et intitulée « Gesoriacum-Bononia, entre terre et mer ».
Note de l’éditeur : « Aux confins septentrionaux de l’Empire romain se trouve, selon Virgile (L’Enéide VIII, 727), la terre des extremi hominum Morini, « les hommes qui habitent l’extrémité du monde connu ». Si cette formule a connu une prospérité certaine, l’archéologie donne aujourd’hui à ce territoire un tout autre visage, celui d’une terre de rencontre et d’échanges, au carrefour des voies terrestres et maritimes qui relient la Bretagne romaine (Grande-Bretagne actuelle) au continent. Ainsi la ville antique de Boulogne est le carrefour de la circulation des marchandises et des hommes entre les deux rives du détroit, lieu privilégié pour appréhender les échanges entre le continent, l’espace méditerranéen, l’espace rhénan et la province de Britannia. Les contributions rassemblées dans ce volume dressent un état des lieux des connaissances sur le rôle du port antique de Boulogne-sur-Mer et de ses liens avec son arrière-pays ».
Le volume prend la forme générale d’un diptyque avec une première partie portant le titre d’« Aux portes de la Britannia : le port de Boulogne-sur-Mer » et regardant plus spécifiquement « vers la mer et la Grande-Bretagne actuelle (p.22) » et une seconde, « Boulogne et son arrière-pays : les Morins et la Morinie », orientée vers « l’intérieur des terres (ibidem) ».
Dans une première contribution (« Introduction. Gesoriacum-Bononia : un port commercial et militaire aux portes de la Britannia »), O.Blamangin et A.Demon précisent que « la topographie de l’embouchure de la Liane, naturellement protégée par les falaises de Châtillon au sud et de Saint-Pierre au nord, est (…) déterminante dans l’implantation à Boulogne d’un port militaire et commercial (p.29-30) ».
Le noyau initial de l’agglomération serait à chercher dans le quartier de Bréquerecque, celui-ci étant occupé dès la première moitié du Ier siècle.
Port militaire, avec un camp de la flotte de Bretagne (la classis Britannica), Boulogne est également un site connaissant activités halieutique et commerciale.
Les casernements, les problématiques liées aux enceintes du Haut-Empire et de l’Empire tardif, les fonctions civiles et religieuses ainsi que le développement du christianisme sont évoqués ensuite par les deux auteurs.
B.Delacroix (« La Tour de Caligula/La Tour d’Odre : un trophée-amer, marqueur de l’évolution des fonctions du port antique de Boulogne-sur-Mer ») s’interroge sur la Tour de Caligula, monument connu par les textes et qui a été souvent identifié à la Tour d’Odre sur la falaise de Boulogne-sur-Mer. La Tour de Caligula assumait de multiples fonctions, à la fois trophée, phare et élément de vigie. Boulogne aurait pu être dotée d’un deuxième phare. L’auteur s’intéresse ensuite aux fonctions portuaires de Boulogne à travers une analyse textuelle. Elle écrit que « Boulogne, portus Morinorum Britannicus (Pline, HN IV, 122) et épinéion, était une plaque tournante du grand commerce septentrional, articulant le trafic maritime entre la Bretagne et les bouches du Rhin (p.56) ».
R.Hanoune (« Les horrea du port de Boulogne : une interrogation ») se penche sur la présence d’horrea (entrepôts) importants à Boulogne-sur-Mer.
S.Esmonde Cleary (« Les liaisons transmanche à l’époque antique, une perspective depuis les falaises blanches de Douvres »), après un large rappel historiographique, indique que le port de Boulogne « était (…) un point de transit « impérial » vers la Bretagne (p.70) ». Après avoir souligné l’importance de l’axe Boulogne-Douvres, l’auteur montre qu’il ne s’agissait pas de la seule route maritime entre l’actuelle Grande-Bretagne et le continent, avec un développement consacré à une voie majeure, l’axe Rhin-Tamise. Le propos se termine par un développement sur la situation de la zone étudiée durant l’Empire romain tardif.
A.Richardson (« The View from the Bay : échanges, productions et occupations humaines sur le site d’East Wear Bay (Folkestone), de la fin de l’âge du Fer à la période romaine ») entend démontrer l’importance du site d’East Wear Bay situé à l’est de la ville de Folkestone et en présente les différentes phases d’occupation ainsi que le matériel qui en provient.
S.Lelarge (« La vaisselle britannique en alliage étain-plomb en Gaule du Nord : un témoignage des échanges transmanche de l’Antiquité tardive. Premier bilan ») s’intéresse à la vaisselle métallique en pewter, c’est-à-dire réalisée dans un alliage de plomb et d’étain et principalement originaire du sud-ouest de la Grande-Bretagne actuelle. Les différents types d’artefacts retrouvés et la distribution de ce matériel sur le continent sont ensuite mentionnés. L’auteur estime que « le nombre élevé de découvertes dans l’environnement de Gesoriacum-Bononia induit l’existence d’un commerce organisé, en mesure de répondre à une demande locale relativement soutenue. Il suppose également la présence, dans un environnement proche, d’un point d’entrée des marchandises. Bien que l’importance du port de Boulogne-sur-Mer soit étonnamment discutée pour la période tardo-antique, la répartition du mobilier sous-entend la pérennité de ses activités marchandes (p.120) ».
W.Dhaeze et P.Monsieur (« Le faciès céramique de la base de la classis Britannica à Boulogne-sur-Mer : présentation de deux ensembles et synthèse de données ») offrent une étude circonstanciée des productions céramiques retrouvées dans le camp de la classis Britannica.
Un article de J.Flahaut (« Consommation et échanges céramiques à Boulogne-sur-Mer du IIe au Ve siècle : l’exemple du site de la rue Saint-Martin ») conclut la première partie de l’ouvrage. La céramologue écrit (p.195) que « le mobilier céramique de Boulogne-sur-Mer témoigne (…), sans surprise, de relations très privilégiées avec la Bretagne insulaire, bien plus que les sites de la vallée de la Canche qui ont pourtant la même proximité géographique avec l’Angleterre ».
Le second volet s’ouvre sur le travail de C.Hoët-van Cauwenberghe («Introduction. Les Morins et la Morinie antique : les espaces et les hommes ») qui propose une synthèse sur le peuple des Morins, leur territoire (avec un focus des plus intéressants sur le chef-lieu de la civitas, Thérouanne) ainsi que sur leurs richesses économique et culturelle.
J.-M.Doyen et J.-P. Duchemin (« Boulogne-sur-Mer et la Morinie occidentale : premières approches de la circulation monétaire d’un centre urbain et de sa périphérie ») étudient la circulation monétaire à Boulogne durant l’antiquité. Le propos contient un développement sur un médaillon en bronze commémorant la traversée de la Manche par Constant et sur lequel figure ce qui est peut-être « la plus ancienne image authentique du phare de Gesoriacum-Bononia (p.239) ».
P.Picavet (« Les meules rotatives en Pays morin. Un nouvel axe pour l’approche des systèmes économiques antiques ») dresse un inventaire des meules retrouvées en Morinie et L.Pastor (« Les échanges céramiques en plaine septentrionale morine à l’époque romaine : première approche ») s’intéresse aux céramiques retrouvées sur les sites de la plaine septentrionale morine.
D.Labarre et J.-C Routier (« Attin et Beutin : deux sites balnéaires gallo-romains dans la vallée de la Canche (Pas-de-Calais) ») présentent deux villae et leur évolution. Elles sont situées à Attin et Beutin, à environ 1 km de distance l’une de l’autre, dans la vallée de la Canche et ont la particularité d’être toutes deux dotées de structures thermales, « aménagements peu attestés en Morinie (p.281) ».
S.Lelarge (« L’établissement tardo-antique de Nempont-Saint-Firmin (Pas-de-Calais). Bilan et perspectives de recherche en baie d’Authie ») se penche sur le cas de l’établissement tardo-antique de Nempont-Saint-Firmin situé à une cinquantaine de kilomètres au sud de Boulogne. Les vestiges du site sont d’abord présentés puis son importance économique et son « statut pour partie d’ordre militaire (p.309) » , le propos s’élargissant ensuite à l’occupation de la baie d’Authie durant l’Empire romain tardif.
J.Maniez et V.Merkenbreack (« Apports de l’archéologie préventive à la connaissance du littoral morin : le cas de Marquise ») offre un article stimulant relatif au site de Marquise, avec un rappel des découvertes effectuées en ce lieu, la question de sa place dans l’hinterland boulonnais durant le Haut-Empire puis au sein du Litus Saxonicum durant le Bas-Empire. Les deux auteurs évoquent également l’existence d’un possible mithraeum durant l’Empire tardif.
A.Dananai et S.Oudry (« Mourir chez les Morins ») analysent les pratiques funéraires des Morins à partir d’un corpus constitué de 125 structures funéraires réparties sur 19 sites pour le Haut-Empire et de 51 structures funéraires sur 7 sites pour le Bas-Empire. Depuis l’âge du Fer jusqu’à la fin du Haut-Empire, la crémation est largement pratiquée ; au cours du IIIe siècle, c’est l’inhumation.
C.Mériaux (« La Morinie et les Morins dans les sources du haut Moyen Âge ») choisit de revenir sur « l’histoire de la Morinie après les Morins ou, pour être plus explicite, de l’usage de ces noms dans les sources de la première partie du Moyen Âge » selon ses propres termes (p.363).
Le volume se termine par des réflexions pertinentes de M.Reddé.
L’ouvrage est une somme de grande importance pour la connaissance de Boulogne-sur-Mer antique et de son hinterland. Les articles sont dans l’ensemble de bonne facture et de grande qualité scientifique. De multiples index font de ce volume un outil aisément utilisable.
Le livre s’adresse plus volontiers à des chercheurs antiquisants ou des amateurs d’histoire locale qui y trouveront, sans nul doute, un réel intérêt.
Grégoire Masson