Comment la Bible et les Anciens ont inventé le vice ? Un sous-titre qui dit toute l’ambition de cet ouvrage de Christian-Georges SchwentzelProfesseur d’histoire ancienne à l’Université de Lorraine. Il a déjà publié aux Editions Vendémiaire, La fabrique des chefs – D’Akhenaton à Donald Trump (2017), Les quatre saisons du Christ, un parcours politique dans la Judée romaine (2018) et en 2021 le Manuel du parfait dictateur – Jules César et les « hommes forts » du XXIe siècle..

Dans le prologue, l’auteur fait un tour d’horizon des textes antiques religieux ou non qui traite de la débauche, un ensemble plutôt misogyne. Il définit le terme, notion universelle qui s’oppose à vertu et donc à la promotion de la norme.

En neuf chapitres, Christian-Georges Schwentzel décline le thème, d’abord, dans la Bible, puis chez les Grecs, les Romains et les premiers Chrétiens.

Prostitution et crimes sexuels dans la Bible

Eve, la première femme est aussi la première débauchée, contrevenant à l’interdit par curiosité et soif de connaissance, responsable de la condition humaine.

L’auteur propose une lecture attentive de la Genèse. Pour lui, la Bible sert les intérêts du groupe dominant et de l’homme contre la femme. Il analyse plusieurs épisodes : Abraham livrant Sarah à la prostitution, Loth face aux Sodomites, la polygamie de Lamek, ou la nécessité de la procréation dans l’histoire de Jacob.

Funestes femmes bibliques

Si les plaisirs charnels licites à fin de reproduction sont vantés dans la Bible, notamment dans le Cantique des cantiques, le Livre des Prophètes et le Livre de Jérémie mettent en garde contre les étrangères au peuple d’Israël et vantent l’endogamie.

D’autres passages désignent ces femmes à éviter : les filles de Moab ou les Madianites, car elles sont adoratrices d’autres dieux. Elles peuvent, par contre être prisonnières de guerre et, si elles sont vierges, servir d’esclaves sexuelles.

L’auteur note que la Bible, en dénonçant la débauche des familles régnantes sert la caste des religieux.

Les Excès gréco-romains

Comme dans la Bible, les auteurs antiques décrivent les conduites qui conduisent à des catastrophes. D’Homère à Flavius Josephe, en passant par Hérodote ou Plutarque, la débauche est le fait des barbares et des femmes qui sont souvent présentées comme dangereuses quand elles dominent les hommes.

Les expériences sexuelles du citoyen

Ce chapitre montre en quoi la littérature antique chante les louanges de la phallocratie de l’Olympe aux simples mortels. Zeus-Jupiter incarne le pouvoir sexuel absolu.

Pour le citoyen, l’interdit ne concerne que la femme ou la fille d’un autre citoyen, tandis que l’épouse doit être fidèle. Les vestales doivent demeurer vierges.

Les relations homosexuelles, comme la pédérastie, courante chez les Grecs, sont licites. Suétone est précis sur ce sujet.

La morale romaine est plus restrictive, si on lit Plutarque, les relations homosexuelles ne sont admises qu’avec un homme socialement inférieur.

La liberté sexuelle masculine est très éloignée du contrôle de la sexualité féminine, faite de virginité puis de fidélité.

L’auteur convie le lecteur dans les bas-fonds, le monde de la prostitution acceptée, et même soutenue par Solon. Pour la Grèce, il évoque les orgies d’Alcibiade ; pour Rome, le témoignage d’Ovide et les fresques de Pompéi. Les philosophes, eux-mêmes, ont justifié les plaisirs masculins.

Les expressions pornographiques livresques ou picturales retiennent l’attention de l’auteur.

Sous le signe de Dionysos

Il est impossible de ne pas évoquer le dieu, incarnation de la débauche, Bacchus-Dionysos. L’auteur rappelle le mythe de sa naissance et explique les rites des bacchanales.

C’est un dieu ambigu, célébré par Alexandre et Marc-Antoine. Mais divers auteurs décrivent de scandaleuses bacchanales comme Tite Live. C’est la Rome fantasmée de Fellini dans le Satyricon.

A Rome, ce qui faisait horreur, c’était la débauche de nourriture.

Sexualité tyrannique et turpitudes impériales

Christian-Georges Schwentzel aborde la question des tyrans grecs, décrits comme déviants par rapport à l’idéal démocratique.

Il étudie les injures sexuelles proférées contre un adversaire politique, par exemple chez Suétone, et notamment dans La vie des douze César, véritable diatribe contre les empereurs romains.

Sexe féminin à Rome : entre interdits et fantasmes

La matrone romaine incarne un modèle de vertu « une « épouse incolore et inodore »(p. 191), chaste, fidèle et féconde.

La rupture de chasteté des vestales est un crime puni de mort : elle est enterrée vivante, hors de la ville, pour apaiser la colère des dieux.

Les textes antiques relatent quelques adultères, d’autant plus scandaleux qu’il concerne la haute société romaine et donc la politique : Pompéia, la femme de César ou l’affaire Paulina relatée par Flavius Josephe.

Les femmes retrouvaient, semble-t-il, un peu de liberté, pour des relations avec des esclaves, quand elles éraient orphelines et veuves. L’empereur Claude promulgua un décret qui rappelait aux femmes leur devoir de chasteté.

Un paragraphe est consacré à l’homosexualité féminine, le « tribadisme », qui est une attirance considérée comme hors norme.

Quelques personnages littéraires ou réels incarnent la figure de la débauchée comme Faustine, la mère de l’empereur Commode, Cléopâtre ou Messaline. L’auteur ajoute que la mythologie antique montre une zoophilie féminine que les poètes ont mise en scène pour s’en moquer. Ovide fut, selon les mots de l’auteur, « l’inventeur de l’érotisme subversif » (p. 218).

Magie, sorcellerie et empoisonnements

Très présente dans la littérature antique, la magicienne incarne le danger. Sa baguette magique est comparée à un phallus. Cet attribut masculin est très souvent utilisé, dans les mosaïques ou peintures, pour protéger la maison contre le mauvais sort.

Si des personnages comme Circé ou Médée incarnent le péril maléfique, les Anciens ont, aussi, eut recours aux philtres d’amours et autres remèdes contre l’impuissance.
Au-delà de la littérature, divers procès attestent de la lutte contre la sorcellerie et le poison est souvent associé à la femme.

Épilogue : de saint Paul à # metoo

Les chrétiens ont repris la critique des relations sexuelles. Dans leur rêve de spiritualiser l’humain, le refus va jusqu’à la condamnation de l’érotisme : « Si vous vivez de façon charnelle, vous mourrez ; mais si, par l’Esprit, vous faites mourir votre comportement charnel, vous vivrez » (saint Paul, cité p. 242). La chair est donc associée à la mort, en découle un idéal de chasteté masculine, inconnue dans l’Antiquité.

Saint Paul invente le crime d’homosexualité et la méfiance envers les femmes demeure.

Et aujourd’hui s’interroge l’auteur !

Un ouvrage très documenté à réserver aux enseignants. Il vaut mieux éviter de le mettre au CDI, vu les descriptions des turpitudes antiques qui pourraient passer pour des écrits pornographiques.

 

Prsentation sur le site de The Conversation