Historien et byzantinologue chypriote (grec), Charalambos Petinos présente ici une série de chapitres sur les mutations de l’Empire romain entre 330 (pour faire simple, car la date est symbolique puisque Constantinople devient cette année là la capitale de l’Empire, consacrant son hellénisation) et 529 (publication du code justinien qui compile les évolutions du droit).
Soit deux cent ans de mutations qui donneront naissance à l’Empire byzantin grec et orthodoxe.
Pour illustrer son propos, Petinos aborde six points d’étude :
- L’évolution du droit
- Le commerce maritime
- Les intérêts commerciaux de l’aristocratie sénatoriale et équestre
- Le service postal
- Le christianisme
- Les impôts
Une grande partie de l’ouvrage est consacré aux sources, avec de larges et abondants extraits du code théodosien et du code justinien. Les parties à proprement rédigées ne sont finalement pas très longues. Il est d’ailleurs surprenant de voir la différence de taille des chapitres : celui sur les naviculaires et le commerce maritime est très fourni alors que celui sur le service postal impérial est drastiquement réduit. Les liens entre les chapitres sont difficiles à faire. Le lecteur aura plus l’impression d’avoir en face de lui une juxtaposition de travaux universitaires plutôt qu’un ouvrage de fond avec une ligne de force, comme la biographie de Constantin parue l’année dernière est signée Pierre Maraval (recensée sur le site par votre serviteur).
La partie sur le commerce maritime et les naviculaires est la plus intéressante de l’ouvrage, les autres chapitres étant plus classiques, et ne surprendront que le néophyte. Les naviculaires sont des propriétaires de navires qui assurent « le service public du transport de l’annone selon fortune et l’importance de leurs propriétés terriennes ». Par annone on entend ici l’approvisionnement des villes, et notamment de Constantinople, en blé et en grains, aux dépends croissant de Rome. Le naviculaire se distingue du maître de navire qui est le capitaine de l’esquif, responsable de la cargaison et particulièrement exposé en cas de perte ou de fraude. Ce dernier navigue à la bonne saison, même si certains peuvent se louer contre de fortes sommes à des privés pendant l’hiver. Petinos nous fait entrevoir tout un monde maritime et commercial fait d’obligations, de contraintes, de privilèges mais aussi de dissimulation, de fraudes et d’escroqueries visant l’Empire. On y découvre aussi les métiers annexes du commerce maritime : les gardiens des rivages (garde côtes), les propriétaires des engins de levage du port, les débardeurs (dockers, dirait-on aujourd’hui) qui s’assurent l’exclusivité des chargements et déchargements manuels , les patrons des greniers du port (qui ne restaient pas en poste plus de deux ans pour éviter les fraudes), et enfin les mensores responsables de la quantité de blé livrée et embarquée.
On devine ici tout un monde sous pression, d’autant plus que les invasions des vandales en Afrique du nord (429-439) modifient les circuits classiques. Il est fréquent que le maître de navire soit soumis, avec ses marins, à la torture pour vérifier s’il n’y a pas collusion avec le naviculaire dans le but d’escroquer l’État impérial. Le naviculaire, bien que soumis à une obligation de résultat dont il répond sur ses fonds propres, n’était pas inquiété physiquement, de part la fortune dont il disposait.
Le monde romano-grec du bas-empire est un endroit où les privilèges anciens subsistent et se maintiennent en s’adaptant aux nouvelles législations, aux nouvelles institutions et à la nouvelle donne religieuse. Rupture et continuité, pourra-t-on dire, en reprenant ici les thèmes favoris des TPE. Il est intéressant de voir le glissement vers un empire « pré-médiéval » où le commerce maritime, autrefois honni car n’ étant pas lié à l’exploitation agricole « noble », finit par être pratiqué par les Chevaliers et les Sénateurs (via ce qu’on pourrait aujourd’hui appeler des passe-droits ou des sociétés-écran). Un monde où le « petit » souffre de plus en plus (il ne peut, par exemple, utiliser le service postal impérial) dans un servage de plus en plus affirmé tandis que le pouvoir de l’aristocratie se maintien et même se renforce avec l’aide structurante et bienveillante de l’Église orthodoxe (au sens premier du mot, c’est à dire celle issue du concile de Nicée et adoubée par Constantin).
Au final, on n’oubliera pas de négliger la partie « sources » de cet ouvrage, où se trouvent des anecdotes très « vivantes » sur ce monde en mutation. Plus qu’un travail de fond, qu’une « somme » sur le bas-empire, le livre de Charalambos Petinos doit se voir comme un ouvrage qui permet un approfondissement des connaissances pour les spécialistes de la période qui voit la naissance de l’Empire byzantin.
Mathieu Souyris, Plum, Mont-Dore, Nouvelle-Calédonie.