C’est avec le plus grand intérêt que nous avons parcouru cet ouvrage paru au début des vacances 2012. Il se présente comme un manuel d’accompagnement de ce nouveau programme des classes de terminale L et ES. 15 spécialistes présentent les différentes parties de ce programme, les textes qui sont proposés sont incontestablement importants du point de vue de la richesse des informations et de leur mise à jour.

Cet ouvrage est associé au manuel élève, qui semble avoir été largement préconisé, en tout cas dans les académies où la Cliothèque ne manque pas de relais d’information.

Le programme de classe terminale est incontestablement très intéressant du point de vue de ses intitulés, et même de ses ambitions. Le seul problème est bien entendu la réalité du terrain, avec des élèves de première qui sont censés avoir des bases chronologiques notamment suffisamment solides pour que l’on puisse travailler efficacement sur des thèmes transversaux.

La question la plus difficile à mon sens est celle qui traite de la lecture historique du patrimoine, et peu importe que l’on choisisse Paris, Rome ou Jérusalem, parce que cela suppose à la fois une analyse des espaces urbains et en même temps des références historiques solides sur la construction, on dirait même la mise en scène, de ces espaces urbains à vocation patrimoniale. Effectivement, la présentation qui est faite à propos de Paris, entre patrimoines et démolitions ordinaires, par Florence Bourillon, mérite assurément le détour. Toutefois, et bien que l’on puisse disposer, du moins en théorie pour ce qui concerne les classes réelles, d’outils numériques comme les vues en 3D, pour permettre d’appréhender ces espaces, il n’en reste pas moins que les notions de passage entre patrimoine et paysage ne sont pas spécialement faciles à transmettre.

La deuxième partie est consacrée aux lectures historiques des mémoires. Le choix qui a été fait est très clairement franco-français, avait le mémoire de la seconde guerre mondiale et la guerre d’Algérie. Il s’agit peut-être de questions socialement vives, mais qui ne devraient pas trop désorienter les enseignants, et peut-être les élèves.

Mais cela suppose que les deux questions, la France pendant la seconde guerre mondiale et la guerre d’Algérie comme exemple de décolonisation aient été effectivement traitées de façon suffisamment détaillées pour que les élèves puissent en tirer profit en termes de réflexion citoyenne. Car c’est bien de cela qu’il s’agit ! Mais cette réflexion citoyenne sur les enjeux de mémoire, comme école de la reconnaissance d’autrui et de la tolérance, puisque l’on parle actuellement de morale laïque, introduite dans nos enseignements, ne peut s’appuyer sur du vent ou sur de grands principes. Ils doivent être sous-tendus par des repères préalables. Et le programme de première que les élèves ont subi l’année d’avant, favorisant l’apprentissage par cœur, pour des raisons de temps, liées à l’étendue chronologique de ce programme qui réunit les premières et terminales des années antérieures, ne permet pas ces prérequis essentiels.

En d’autres termes, les élèves de première qui ont « bachoté » se sont empressées d’oublier pendant les vacances les cadres qu’ils ont appris pendant l’année, et risquent de se retrouver à peu près « vierges » en terminale.

Dans le choix qui a été fait d’intégrer en question obligatoire le socialisme, le communisme et le syndicalisme en Allemagne depuis 1875, tout comme religion et société aux États-Unis depuis les années 1890, on ne peut que s’interroger sur sa pertinence même. Non pas que ces questions ne soient pas intéressantes, en tant que telles, mais on ne comprend pas pourquoi, cette question du syndicalisme en Allemagne qui suppose une maturité suffisante, notamment en référence à l’actualité sociale dans laquelle baignent les élèves, ait été considérée comme essentielle à la compréhension du monde contemporain.

Pour faire bonne mesure, la question sur la religion et la société aux États-Unis depuis les années 1890, peut trouver un certain écho en référence à la personnalité du candidat républicain aux élections présidentielles aux États-Unis en 2012, mais on ne voit pas trop en quoi cette question, si elle n’est pas reliée à une analyse même du concept de laïcité, peut apporter quelque chose.

Cela n’enlève rien à l’intérêt majeur des articles qui traitent de cette question dans l’ouvrage, notamment la présentation faite par Adrien L’Herm, qui était d’ailleurs parfaitement adaptée à la préparation de l’épreuve écrite du concours commun des instituts d’études politiques, dont une des questions était la religion. On est très loin ici des préoccupations du baccalauréat.

La Chine et le monde depuis le mouvement du 4 mai 1919 fait également partie de ces questions absolument passionnantes, présentée il y a dans l’ouvrage par Hugues Tertrais , directeur du centre d’histoire de l’Asie contemporaine. Cette question est, n’ayons pas peur des mots, absolument fondamentale pour la compréhension du monde contemporain. Mais encore faut-il que l’on dispose d’un minimum de temps, pour permettre aux élèves de comprendre, avec la maturité de leur âge, et de leur culture politique, les subtilités de l’évolution de la Chine, passant des seigneurs de la guerre et de l’union entre les communistes et les nationalistes, à la rupture de 1927, à l’union pendant la guerre sino-japonaise, la guerre civile, et les différentes convulsions que le communisme chinois au pouvoir a pu connaître. De la campagne des 100 fleurs en 1956, au grand bond en avant, à la révolution culturelle, sans parler de la campagne Pi Lin Pi Gong, de 1975, derniers soubresauts de la bande des quatre, avant la mort du Grand timonier en 1976, et l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping.

Mais la question est bien plus complexe encore, avec la partie « et le monde », associée à la Chine. Les subtilités de l’explication de la rupture sino soviétique, après la déstalinisation, conduisant à une sorte de guerre froide jusqu’en 1989, ne seront pas évidentes à faire partager à des élèves.

Paradoxalement, la question peut être la moins complexe à traiter, serait celle du Proche-Orient depuis 1918 qui se prête tout particulièrement à une présentation cartographiée, à partir du démantèlement de l’empire ottoman, des zones d’influence des grandes puissances, et de l’affrontement des nationalismes sur fond de décolonisation, à partir de 1945. De ce point de vue, l’article de Leïla Dakhli est particulièrement intéressant, d’autant plus que en termes de volume, il s’agit d’apporter des informations pertinentes en une vingtaine de pages.

Du point de vue de l’ouvrage, il s’agit incontestablement d’une réussite. Il apporte des informations précises et à jour sur les questions de ce programme, il est associé à un manuel qui présente incontestablement des qualités en termes d’outils cartographiques, de choix de textes, et de contenu du cours lui-même, mais c’est bien la question de ce programme même, adossé au calamiteux programme de première, qui pose problème.

Hélas, on ne peut que s’interroger sur la construction de ce programme, et sans vouloir reprendre le marronnier habituel du « on est en train de casser l’histoire de France », qui permet à des journalistes en mal de copie de sortir leurs 10 000 signes, et à quelques autres auteurs de faire le tour des plateaux de télévision dans le cadre de leur autopromotion, nous sommes contraints de faire preuve d’esprit d’opposition.

En partant du présupposé que l’histoire la géographie seront réintroduites comme matière d’examen terminal dans toutes les séries du baccalauréat, et notamment la série S, il est temps que l’on procède à une remise à plat de ce programme. Si l’on peut conserver des études thématiques, et pourquoi pas la Chine depuis 1919, où le Proche-Orient depuis 1918, car il s’agit de socle de la compréhension du monde actuel, il est nécessaire également de donner du temps au temps, en permettant l’assimilation de repères chronologiques, et de façon générale de cadres spatio-temporels, pendant les années antérieures, seconde et première.

C’est à ce prix que des élèves ayant atteint un âge et une maturité suffisant pourront assimiler les éléments pertinents qui composent ce programme et que les auteurs de ces « regards historiques sur le monde actuel » ont très largement pu éclairer pour le plus grand profit des enseignants qui feront l’effort et la démarche de découvrir (d’acheter ? ) cet ouvrage.
Il devrait assurément figurer en bonne place dans les « cabinets d’histoire » tant qu’ils existent encore !

Bruno Modica