Le destin d’un opérateur cinématographique et aventurier en Asie
En sillonnant l’extrémité orientale du globe, la compagnie Pathé frères donne à son activité la prestigieuse aura du plus grand empire cinématographique au monde. Une de ses forces est d’ouvrir dans ces lointaines contrées un nombre croissant de points de vente afin qu’appareils, pellicules (négatifs et positifs) et divers accessoires fournis par les usines de la firme circulent plus facilement et plus rapidement. En 1909, on en compte six : Calcutta, Singapour, Melbourne, Shanghai, Saïgon et Batavia. Sans aucun doute, nous assistons à l’âge d’or des vues de plein air exotiques et la société de production ne lésine pas sur les moyens pour satisfaire la demande. La proportion de scènes de plein air, de sport, d’acrobatie, d’art, d’industrie et d’actualité croît de manière exponentielle, même si les scènes comiques et dramatiques continent de dominer le catalogue.
Camille Legrand – Un opérateur Pathé sur la Route des Indes (1895-1920) par Jitka de Préval, Riveneuve, 2021, page 288-289
A la fin du XXe siècle, le cinéma devient rapidement populaire auprès du public européen. La demande d’images filmées devient donc plus forte. Pour y répondre, l’entreprise de Charles et Emile Pathé envoie des opérateurs à travers le monde pour tourner des images, les monter, puis les revendre.
C’est ainsi que Camille Legrand, né dans une famille de tisserands originaire de la Somme en 1872, va parcourir l’Europe (Roumanie, Ecosse, Irlande, Espagne, Italie, Suisse), l’Amérique du Nord (Los Angeles, New York) et surtout l’Asie. De Calcutta à Angkor, en passant par Pondichéry, Singapour, Yokohama, Lahore, Pékin, Colombo, Manille et Rangoon, Camille Legrand multiplie les tournages et les mises en scène. La caméra à la main, il devient alors l’un des opérateurs les plus appréciés de la part de l’entreprise.
Cette biographie permet d’apprécier le parcours et l’impact d’un opérateur resté longtemps méconnu. Elle a été écrite par Jitka de Préval, auteur d’une thèse de doctorat sur le réalisateur indien Raj Kapoor (1924-1988). Spécialiste des débuts du cinéma, notamment en Inde, elle a travaillé comme directrice artistique du Centre culturel tchèque à Paris.
En 1897, l’entreprise Pathé frères devient une société anonyme sous le nom de « la Compagnie générale de Cinématographes, Phonographes et Pellicules ». D’abord pigiste, Camille Legrand « apprend différents métiers, en particulier la photographie et le maniement du cinématographe » (page 59). L’une de ses premières missions est de filmer le voyage du président Emile Loubet à Saint-Pétersbourg en mai 1902. Trois mois plus tard, l’opérateur part à Londres pour assister au couronnement d’Edouard VII. Les négatifs ramenés par Camille Legrand plaisent à la compagnie et les projets s’enchaînent.
La demande de films d’actualités augmente dans les années 1900 et l’entreprise des frères Pathé souhaite trouver de nouveaux débouchés à l’étranger. A l’instar du banquier Albert Kahn quelques années plus tôt, Camille Legrand parcourt l’Asie et popularise cette nouvelle technologie. La firme vend des appareils, mais également des projecteurs, du papier photographique et des plaques de verre sensible. La firme Pathé se lance petit à petit à la « conquête du monde », pour reprendre une expression mise en avant sur une affiche d’Adrien Barrère datant du début du siècle (page 176).
Parmi les nombreux voyages mentionnés dans sa biographie, Camille Legrand effectue un long voyage en 1909-1910. Il traverse les Indes du Sud au Nord en passant par Bombay, Bénarès, Agra, Delhi, Calcutta et Darjeeling. Après Rangoon, son voyage se poursuit en Indochine, notamment au Cambodge. Ses prises de vue des temples d’Angkor près de Siem Reap sortiront en France en 1912 et 1913. Les fêtes, les danses et les temples sont désormais visibles par le public.
Dans cet ouvrage très dense, une simple coquille dans le tableau de la page 21 a été repérée à propos du voyage de Camille Legrand en Roumanie lors de l’année 1897.
En conclusion, un portrait d’une très grande richesse, minutieusement construit au fil des pages dans une approche microhistorique, pour mettre à l’honneur un intermédiaire longtemps resté dans l’ombre, et qui a permis au grand public de découvrir l’Asie en images.
Pour aller plus loin :
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Antoine BARONNET @ Clionautes