Ce très bel album propose de suivre cinq histoires entre le milieu du XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale. Leur point commun : la rencontre (toujours difficile) avec l’autre, l’exploitation des êtres humains et le racisme.
Sur les pas de Darwin
Le premier récit, sous une forme épistolaire, nous entraîne sur les pas d’une expédition scientifique comme il en fleurissait à l’époque, cette fois « au pays des Niams-Niams ». L’auteur rêve de devenir un naturaliste respecté en ramenant un mystérieux spécimen d’une hypothétique tribu vivant en Afrique. Rien ne se passe comme prévu et le style très graphique de la narration reproduit les angoisses et les appréhensions du savant britannique égaré dans ces contrées qu’il ne comprend pas. Les planches font la part belle aux stéréotypes de l’époque sur les populations d’Afrique (on apprend l’histoire par les lettres que le personnage écrit à sa femme restée en Angleterre) sans pour autant embellir les relations entre Européens (jalousie, avidité etc…).
« Eliott King’s Greatest Monster Show »
Un saut dans le temps nous amène en Pennsylvanie en 1925. Athéna, 15 ans, découvre dans les affaires de sa mère la photographie d’une jeune femme afro-américaine, mise en scène dans une cage. La ressemblance entre les deux jeunes filles est troublantes : qui est donc Scylla et que lui est-il arrivé ? L’esthétique choisie (beaucoup de noir et blanc) fait indéniablement penser au Freaks de Todd Browning, sorti en 1932, avec ses impressionnants phénomènes de foire.
Un demi-siècle avant l’Exposition coloniale de 1931
Avec « Kaliñas », un monde de portraits et silhouettes reproduit la bonne société européenne du XIXe siècle et sa confrontation avec une tribu guyanaise, ramenée à grand frais pour être « exposée » au jardin d’acclimatation de Paris en 1882. La triste réalité de populations arrachées à leur terre pour être enfermées comme des animaux dans des enclos, dans des conditions humiliantes, se mêle dans ce récit à un monde onirique, où la frontière entre le réel et le rêve est de moins en moins tangible.
Paris, 1900 : une Belle-Epoque difficile à vivre
Les sœurs Mawu et Lisa sont au cœur de la quatrième histoire. Obligées de quitter le royaume d’Abomey (Dahomey) déchiré par les conflits liés à la colonisation française, elles choisissent de partir vers la France, dont elles parlent un peu la langue. Paris en 1900 accueille l’Exposition universelle, les pavillons voisinent avec les villages reconstitués de pays d’Afrique ou d’Asie. Les deux sœurs oscillent entre la fascination et le dégoût. Pour survivre, elles travaillent comme danseuses. La silhouette ornée d’une ceinture de bananes qui couvre toute une page ne peut qu’évoquer Joséphine Baker, qui se produira une vingtaine d’années après les évènements racontés ici. La vie quotidienne est particulièrement difficile et les émotions des deux héroïnes ressortent particulièrement bien grâce aux jeux d’ombres et de lumière autour des silhouettes.
Volksgemeinschaft – la politique nazie
L’épilogue revient sur l’opération « Fahndung nacht deutschem Blut » (« à la recherche du sang allemand ») mise en ouvre par Odile Globocnik, ancien Gauleiter de Vienne, nommé par Himmler à Lublin chef de la police et des SS. Il s’agit, selon Christian Ingrao, d’une « véritable opération d’ingénierie raciale vampirique, qui consiste à traquer les derniers descendants de colons allemands dans le district et de les regermaniser culturellement et radicalement » (Le Soleil noir du paroxysme : Nazisme, violence de guerre, temps présent, O. Jacob, 2021). Les planches en noir et blanc retracent quelques jours de la famille Kowalski durant cette opération d’une grande brutalité. C’est la seule histoire qui ne s’attache pas au racisme en lien avec la couleur de peau et qui pourrait sembler en décalage par rapport au titre de l’album (zoos humains). Cependant, évoquer cet épisode très particulier de la volonté nazie de construire une « communauté du peuple ethniquement pure » (Volksgemeinschaft) permet de montrer que la haine de l’autre et son rejet ne sont liés ni à une époque ni à un système politique.
Cet ouvrage attire l’attention sur des épisodes moins connus de l’esclavage et du racisme. Les textes, à la fois réalistes et poétiques (quel titre !), sont particulièrement mis en valeur par une illustration foisonnante et originale, l’ensemble est très réussi.