Depuis que la Terre a été découverte par les hommes civilisés, je constate sans surprise que ce sont les civilisés qui ont montré vis-à-vis des sauvages une sauvagerie ignoble.

À l’occasion du 100e anniversaire de la mort de Pierre Loti (1850-1923), Alain Quella-Villéger, agrégé d’histoire et docteur ès lettres en histoire contemporaine, spécialiste de la vie et de l’œuvre de l’écrivain, et son frère Didier Quella-Guyot, agrégé de Lettres modernes, docteur ès lettres, critique littéraire spécialisé en bande dessinée, ont choisi de publier une œuvre dessinée chez Calmann-Lévy Graphic, éditeur d’origine de l’écrivain. Pascal Regnauld assure le dessin et la mise en couleur. 

Un marin dessinateur

« Les lieux où nous n’avons ni aimé ni souffert ne laissent pas de traces dans notre souvenir ».

L’ouvrage commence par un flashback un peu conventionnel : Julien Viaud (nom d’état civil de Pierre Loti) raconte à son amie de longue date, Caroline de Monaco, sa vie tumultueuse. Les auteurs utilisent cette relation peu connue pour pimenter le récit. Officier de marine, Pierre Loti se choisit un nom : Loti venant du lotus et Pierre étant son prénom préféré. Par sa fonction, ce militaire, né à Rochefort, parcourt les mers. Fasciné par l’Asie, il fréquente l’île de Pâques où il étudie les peuples rencontrés, les dessine, à une époque où on échange des statues et des fétiches contre quelques hardes hors d’usage.

Honte à nous, peuples dits chrétiens de l’Europe ; sur la Terre, c’est toujours nous les plus tueurs…

Aux yeux de l’Europe dite chrétienne, les musulmans de tous les pays du monde, représentent un gibier dont la chasse est permise, et cette chasse en général lui réussit, grâce à la supériorité de ses machines à tuer, qui font tout de suite de grands charniers rouges ».

Un voyageur infatigable

Il viendra un temps où la Terre sera bien ennuyeuse à habiter…. semblable d’un bout à l’autre.

Sa connaissance des mers et des ports dans des pays très différents lui permet de devenir correspondant au Monde illustré et d’écrire des romans qui racontent certaines étapes de sa vie : Ramuntcho  édité en 1897 et situé au pays basque, sa terre d’adoption, ou, Les pêcheurs d’Islande paru en 1906, un très grand succès basé sur des observations lors d’un séjour en Bretagne. Ainsi, Pierre Loti est reconnu pour son talent littéraire et il est élu à l’Académie française au fauteuil d’Octave Feuillet en 1892.

Ses retours en France lui donnent l’occasion de mettre en valeur ses collections et d’embellir sa maison de Rochefort.

S’il a fait la plupart de ses voyages comme officier de marine, Pierre Loti refuse de visiter les lieux comme un touriste. Les contrées qu’il choisit, du Japon au Sénégal, de la Bretagne à l’Égypte sont arpentées avec intérêt dans un but d’observation sans préjugé ni dédain, ce qui fait de lui un précurseur, un ethnologue avant l’heure.

Une femme dans chaque port

Cet écrivain voyageur « collectionne » les conquêtes. Il fréquente les harems et les bars, consomme de l’alcool dans les tavernes où les femmes se vendent…

Il faut dire que dans l’Empire ottoman, les femmes sont pour les riches qui en ont plusieurs et les pauvres ont les jeunes garçons ».

Pourtant, dans cet orient occupé, l’amour l’attend au coin du chemin…

Admis à la retraite, Pierre Loti reprend du service pendant la Grande Guerre et meurt dans sa chère maison d’Hendaye.

Ce oneshot décrit avec bonheur la vie d’exception d’un homme novateur. La précision du dessin apporte finesse et expressivité. Un coup de chapeau pour la mise en couleur qui oscille entre le récit en bleu et les souvenirs dans les tons ocre-jaune, la couleur et la chaleur du souvenir…

Il y a trop d’ailleurs qui m’attirent, encore et plus loin et puis mon cœur est plus changeant qu’un ciel d’équinoxe.