L’historien et animateur de l’émission “Le Cours de l’Histoire” sur France Culture, Xavier Mauduit, propose aux lecteurs depuis janvier “Histoire des préjugés” (Les Arènes), ouvrage qu’il a co-dirigé avec Jeanne Guérout, historienne, traductrice franco-allemande qui travaille sur l’émission de Jean-Noël Jeanneney « Concordance des temps ». Les femmes, les noirs, les gauchers, les Français… une cinquantaine de préjugés “plus que jamais actifs à l’heure du complotisme, des réseaux sociaux, des fake-news et de la flambée mondiale des populismes”, indiquent-ils dans l’ouvrage, sont abordés avec cette idée ambitieuse de les déconstruire en invoquant l’histoire.
La liste des contributeurs est prestigieuse : de Pascal Blanchard à François Jarrige en passant par John Tolan, Adèle Sutre, Michel Pastoureau, Gérard Noiriel, Jean-Noël Jeanneney, Bénédicte Savoy, Catherine Brice, Bruno Dumézil … pour ne citer que quelquesuns d’entre eux, ce ne sont pas moins de 39 historiens qui ont été invités à participer à l’ouvrage. Chaque auteur nous livre, selon sa spécialité une ou plusieurs synthèses, ce qui aboutit à ce que l’on pourrait presque appeler un dictionnaire des préjugés.
Ainsi le lecteur prend plaisir à lire Michel Pastoureau nous expliquer dans des synthèses très denses, pourquoi le vert porte malheur, et d’où vient le préjugé selon lequel les roux sont faux et sentent mauvais. Bénédicte Savoy signe une synthèse passionnante consacrée à l’idée reçue, reprise dans une formule restée célèbre par Nicolas Sarkozy selon laquelle « les Africains n’ont pas d’histoire ». Sabine Dullin, spécialiste de la Russie contemporaine et de l’Union soviétique s’est intéressée à l’idée selon laquelle« les Russes ont besoin d’un homme à poigne ». Partant d’une citation du marquis Astolphe de Custine qui, en 1843 écrit à propos des Russes : « ce n’est pas d’aujourd’hui que les étrangers s’étonnent de l’amour de ce peuple pour son esclavage », l’historienne interroge ce qui peut être une fatalité russe factuellement observable de Lénine à Poutine, mais comme elle le souligne d’une part « le besoin de chefs n’est pourtant pas une spécificité russe » et d’autre part ce serait occulter les diverses formes de résistance et de dissidence existantes, ainsi que les mécanismes politiques et sociétaux ayant contribué malgré eux à ce préjugé.
Les autres problématiques contemporaines ne sont pas oubliées : le complotisme avec Jean-Noël Fabiani qui s’intéresse aux vaccins, censés être dangereux pour la santé, ou Florent Quellier sur les végétariens censés être des gens tristes. Sa contribution, qui met l’accent sur le statut du légume jugé secondaire et peu festif pour expliquer ce préjugé, ne manque d’ailleurs pas de « piquant » ! L’ouvrage n’oublie pas aussi de revenir sur les préjugés touchant les français (« les français sont arrogants et mal élevés » par Diana Cooper-Richet). Chaque contribution est accompagnée de quelques références bibliographiques susceptibles de fournir quelques pistes de lectures complémentaires aux lecteurs.
Cependant, l’ensemble reste inégal et le lecteur peut avoir le sentiment frustrant d’une démonstration qui, parfois ne va pas jusqu’au bout, chacune fait entre 3 et 9 pages selon les auteurs et le préjugé, ce qui peut sembler un peu juste parfois pour déconstruire ce dernier. La contribution de Florent Quellier sur la consommation de viande de chien fait à peine 3 pages. L’accroche qui s’appuie sur les aventures d’Astérix ne manque pas de faire sourire le lecteur (ou la lectrice !) mais la démonstration aurait sans doute pu aller plus loin en s’appuyant davantage sur les découvertes archéologiques récentes et certaines sources littéraires (Diodore de Sicile par exemple). De même, la contribution de Katell Berthelot intitulée « les Juifs ne se soutiennent qu’entre eux », essentielle, aurait sans doute mérité une déclinaison différente et plus approfondie. Enfin quelques préjugés semblent avoir été oubliés : aucune contribution ne s’est attardée sur quelques préjugés tenaces tels que … au hasard (!) « les professeurs ont 6 mois de vacances », mais il s’agit ici de ma part d’une idée à exploiter pour un éventuel tome 2, le thème étant large !
Il n’empêche que cet ouvrage se lit aisément et constitue une excellente approche qui permettra au professeur de trouver rapidement les ressources nécessaires dans le cadre de la préparation de ses séquences.