Gabriel Wackermann est professeur émérite à la Sorbonne et a déjà coordonné plusieurs manuels de préparation au concours. Cet ouvrage épais publié à l’occasion de la présence de l’Amérique du Nord au Capes et à l’Agreg correspond donc à ce que l’on attend d’un outil de préparation pour l’impétrant: un fractionnement en 6 thèmes etsurtout trente courts chapitres qui permettent de balayer l’essentiel des problématiques possibles comme autant de fiches pratiques mais aussi sept sujets de dissertation corrigés, souvent signés Michel Nazet, qui donnent le fond et les conseils de méthode pour aborder ce type d’épreuve. Toutefois, au delà de l’aspect technique, le manuel témoigne du déclin de l’empire américain.

Préparation au concours ou manuel du jugement denier ?

La première partie pose la question de l’unité de cet ensemble continental selon le prisme de plusieurs aspects qui seront plus tard développés dans des parties dédiées (ALENA et géopolitique notamment). On y trouvera bien sûr l’indispensable rappel historique de la construction de ces territoires par les différentes colonisations européennes, par les guerres qui ont permis d’y fixer les frontières enfin par les formes de mise en valeur, notamment agricole. Mais c’est le rôle central des États-Unis qui est surtout développé, et ce tout au long du livre: que ce soit dans ses entreprises pour unifier économiquement l’ensemble (ALENA), son rôle de puissance mondiale ne laissant à ses deux voisins qu’une place réduite dans l’orchestre pour jouer une partition parfois un peu discordante, son modèle économique sociétal et culturel, l’action et le rayonnement de l’Oncle Sam font l’objet de longs développements géo-historiques. Dans les lignes de Gabriel Wackermann, à chaque introduction, le bilan est sans appel: ce manuel insiste sur la notion de déclin, à la fois dans la domination mondiale et dans la situation intérieure marquée par un appauvrissement exceptionnel d’une grande partie de la population. Les contrastes de cette situation de pauvreté et des politiques On retrouve ensuite ces approches crépusculaires dans les parties thématiques et jusque dans la conclusion générale où Gabriel Wackermann dénonce une fois encore le dérèglement financier de la mondialisation dont serait coupable l’Oncle Sam, châtié par la « déconfiture » actuelle en guise de justice immanente.

La vitalité des dynamiques

Il est toutefois possible d’échapper en partie au discours eschatologique dans nombre des chapitres qui composent les parties thématiques. Ainsi la relative vitalité démographique et l’intensité des phénomènes migratoires nord-américains sont-ils rappelés . Gérard François Dumont, qui signe les trois chapitres démographiques en profite pour relativiser l’idée d’une « Mexamérica » où la composante latino submergerait l’identité Etats-Unienne tant la diversité des migrations récentes font plutôt des États-Unis un « état-monde ». Sur un mode plus particulier, le sujet de dissertation de Denis Mathis sur les « vins du nouveau monde » montre la montée en puissance et le développement spatial des territoires du vins, plus que des terroirs dans ces royaumes états-uniens et canadiens du cépage. De même Christian Montès montre une désindustrialisation « en trompe-l’oeil » tant les gains de productivité, l’association avec le tertiaire pour la haute technologie sont importants même s’ils ne peuvent faire oublier les emplois industriels perdus; simplement l’industrie américaine s’est redistribuée dans l’espace, à de nombreuses échelles comme le montre l’exemple de Détroit.

La ville et la nature: un développement fort peu durable.

On peut difficilement aborder l’Amérique du nord sans rendre compte des grands espaces et de la ville. Ce manuel ne fait évidemment pas défaut sur ces aspects… qui alourdissent le dossier à charge tant la gestion de ces espaces témoigne peu d’un développement durable: la tension est permanente entre la nécessité de ménager les populations et les ressources, et la volonté de maximiser les profits comme le montrent les ambiguïté de la gestion des parcs nationaux (S. Héritier), la dégradation des sols agricoles (D. Mathis), même si les vastes espaces de faible densités restent un capital qu’il est encore possible de mieux mettre en valeur (J.P. Husson). Les métropoles, qui font l’objet d’une partie spécifique en lien avec les réseaux, par leur croissance spatiales et leur polarisation font passer l’Amérique du nord de la métropolisation à la mégalopolisation: la majorité de la population allant se concentrer en « méga-régions » d’ici quelques décennies.

On ne peut achever ces lignes sur les espaces américains sans évoquer les pages les plus étonnantes dans un manuel de préparation au concours, mais aussi sans doute les plus fortes de l’ouvrage: le témoignage très personnel du spécialiste de géographie urbaine Philippe Haeringer qui évoque ses expériences américaines du milieu des années 50 à nos jours: ce regard sur l’évolution de l’Amérique du Nord, et surtout de ses espaces urbains est un bon moyen de se plonger dans la géographie à travers ceux qui la font: on se promène avec lui dans les rues canadiennes, états-uniennes et mexicaines. Mais c’est aussi un regard de plus en plus désenchanté: les pages sur les territoires urbains de l’ouest de part et d’autre de la frontière témoignent plus d’une sorte d’enfer urbain que du rêve américain.

C’est donc bien la mort de ce rêve -à toutes ses échelles- qui transpire de ce livre, qui rendra pourtant bien des services également aux enseignants du secondaire. Nombre de ses approches correspondent par exemple au chapitre « L’Amérique : puissance du Nord, affirmation du Sud »dans le nouveau programme de terminale ES/L mais on pourra aussi profiter de l’abondance de la documentation statistique classée et de la cartographie très claire en noir-et-blanc.