CARRÉS COULEURS Mosaïques romaines de Tunisie
Mohamed Yacoub
Connue déjà des Carthaginois, qui en inventent vraisemblablement la technique, la mosaïque trouve en Tunisie une terre d’élection lorsque les Romains la réintroduisent dans le pays au tout début du 11e siècle apr. J.-C. Elle y connaît un véritable épanouissement, principalement grâce à r existence d’une opulente aristocratie locale qui érige de somptueuses constructions – publiques et privées -, toujours revêtues de pavements en mosaïque. Elle s’affirme d’abord dans les cités côtières de Byzacène, telles Acholla, El Djem et Sousse aux II e et III e siècles, puis dans les villes liées à Carthage ou implantées en Byzacène intérieure autour de Sbeïtla, à partir du IV e siècle. La plupart de ces œuvres se distinguent par une grande originalité car récole africaine de mosaïstes, une fois libérée des deux écoles qui lui sont antérieures – celle de Rome et celle d’Orient, notamment d’Alexandrie -, donne toute la mesure de son extraordinaire capacité d’innovation. Ainsi, elle crée un répertoire personnel caractérisé par sa vitalité de langage et sa fantaisie décorative. Par ailleurs, le génie inventif des mosaïstes africains ne se déploie pas uniquement dans les trames géométriques et florales polychromes : il éclate aussi dans les représentations figurées qui actualisent et réinterprètent le riche répertoire hellénistique dont elles sont issues. La grande innovation du IV e siècle demeure la création et la diffusion de thèmes nouveaux inspirés par la réalité contemporaine: vie des grands domaines ruraux, chasse, pêche, banquets, spectacles d’amphithéâtre et de cirque… Dans la représentation de ces thèmes, les artistes imaginent des schémas de composition inédits, à plusieurs angles de vue, spécialement adaptés à la fonction de revêtement de sol de la mosaïque.
Ainsi, comme l’explique, G. Ch. Picard, « les Africains, après avoir été des élèves un peu indociles, se sont imposés comme des maîtres ». Dès la fin du e siècle, ils sont appelés en Sicile, où une officine carthaginoise réalise l’ensemble de Piazza Armerina, et aux portes même de Rome. De là, ils parviennent en Gaule et en Germanie et, surtout, en Orient où ils contribuent largement à la formation de la mosaïque byzantine. L’école africaine de mosaïstes, qui évolue considérablement au cours de sa longue histoire, apporte donc un souffle nouveau à la discipline. Le présent ouvrage permet au lecteur d’en suivre les mutations, depuis l’emprise du répertoire traditionnel jusqu’aux créations les plus originales. Illustré d’une iconographie adéquate, bien qu’arbitraire compte tenu de la richesse de la matière, il se veut aussi l’ébauche d’une synthèse où sont indus, au-delà des représentations figurées, les décors géométriques et floraux d’un artisanat d’art en vogue pendant de nombreux siècles.
Mohamed Yacoub est l’un des pionniers de l’archéologie tunisienne, à laquelle il a consacré une carrière de plus de quarante ans (de 1962 à 2005). Il a été successivement conservateur en chef du musée national du Bardo, directeur général des musées de Tunisie et directeur de recherche à l’Institut national du patrimoine. Outre la création et le réaménagement de plusieurs musées
tunisiens et la participation à divers chantiers de fouilles, il est auteur d’une série d’ouvrages à caractère scientifique ou de large diffusion et de nombreux articles de recherche fondamentale, publiés tant en Tunisie qu’à l’étranger et consacrés notamment à la mosaïque dont il est
considéré comme l’un des plus éminents spécialistes.