Parisien aux premières loges de la Première Guerre mondiale, Albert Caralp, Ariégeois d’origine, suit les événements marquants tout au long des années 1914 à 1920, concernant Paris, le pays, l’Europe et enfin le monde entier touché par le drame qui marque le début du XXe siècle.
L’auteur est Marie-Christine Lachèse, est historienne spécialiste de la colonisation et des guerres du XXe siècle, qui privilégie les recherches d’archives et l’étude des témoignages de première main d’acteurs et de témoins qui lui sont transmis. Albert Caralp est son aïeul dans la mesure où elle est la fille de Robert Briand, son troisième petit-fils.
Albert Caralp est un tailleur réputé qui a parmi ses clients le maréchal Foch, il tient sa boutique en plein centre de la capitale française, boulevard des Italiens. Il voit alors de près ou de loin les civils et les soldats passant par Paris, entend ici ou là ce qui se dit du front et des décisions politiques prises par le gouvernement et autres acteurs principaux de la guerre dans le monde. Il lit les journaux, parle des nouvelles qu’il obtient par les lettres qu’il reçoit de la part des membres de sa famille : sa fille, son gendre Joseph Briand qui est un médecin militaire qui circule à Madagascar, à Paris, aux Dardanelles, en Chine, à Fréjus… ; mais aussi des lettres écrites par son autre gendre Henri Baudrier qui combat sur le Front à l’Est de la France. On ressent sa peur lorsqu’il évoque le bateau « l’Atlantique » torpillé auprès de la Chine, bateau que devaient prendre sa fille, son gendre et son petit-fils ; fort heureusement ils n’avaient pas pu le prendre faute de remplaçant au poste de Joseph Briand. Cette incertitude nous tient en haleine. Il se renseigne dans la presse, à travers les discours et les lettres pour croiser les informations et savoir si ses proches courent des risques, s’ils ont des chances de rester en vie. L’incertitude du lendemain lui fait douter de la victoire un jour, mais la voit comme une évidence le lendemain. Sa crainte mais aussi son envie que le monde entre en guerre aux côtés de la France et de ses alliés pour venir à bout de « ces sales Boches » qu’il décrit régulièrement comme étant des barbares, un peuple de bandits. Nous apprenons aussi les frasques des députés et du gouvernement de l’époque avec des scandales de décisions prises ou non, d’affaires d’espionnages…. Tout cela nous permet de vivre au plus près le ressenti de cet homme, mais sûrement aussi de beaucoup d’autres.
L’ouvrage se divise en deux parties : la guerre et la mondialisation du conflit ; la France déterminée et la Victoire.
Dans la première partie, voici les thèmes : la mobilisation et le front, les Balkans, Famille, guerre maritime et 5ème arme, Paris résiste, Le pays en guerre, Guerre sous-marine à outrance, Situation en Grèce, Le front italien et 1917 guerre mondiale.
La deuxième partie est plus courte et traite des thèmes suivants : Espionnage en France, La Grosse Bertha et les Parisiens, Le front français, Jugement des souverains, La France de la victoire, Ignominie allemande.
Les deux dernières thématiques sont les plus intéressantes à traiter en classe avec les élèves car elles nous permettent de confronter le sentiment d’un français face aux pourparlers des vainqueurs, et notamment l’amertume que suscite la paix proposée par le président américain W. Wilson. Caralp considère qu’il a permis de remporter la guerre mais qu’il a saboté la paix pour son propre intérêt. Il s’attarde à dénoncer le manque de punitions à l’encontre de l’Allemagne et que l’on se dirige droit vers un autre conflit dans les années à venir, une fois que le peuple germain sera rétabli car il crie déjà vengeance. Il ne se trompera pas.
La conclusion de l’ouvrage constitue les dernières lignes écrites par Albert Caralp, mais nous n’avons pas la date précise. Il s’adresse à ses petit-fils en leur disant qu’ils devront « surveiller sans relâche l’éternel ennemi qui lui ne manquera pas de profiter des circonstances qui pourraient lui permettre de réaliser son rêve d’hégémonie européenne et mondiale ». Il était visionnaire. Il faut surtout retenir sa dernière phrase « Souvenez-vous que deux millions de français sont morts ou ont été mutilés pour que vous puissiez rester français et libres ! ». En effet, n’oublions pas leur sacrifice et les souffrances ainsi que leurs familles ont du endurer tant pendant la guerre que les années et décennies qui suivront, certains mutilés, d’autres vivant dans le souvenir d’un proche disparu.
Cet ouvrage était prometteur lorsqu’on lisait la quatrième de couverture et personnellement, me laissait entendre que je lirai un journal intime d’un homme pendant la Première Guerre mondiale.
Cependant, il faut bien dire que le titre de l’ouvrage est trompeur : « journal » ? Non, on ne suit pas au jour le jour un journal intime d’un Parisien pendant la Grande Guerre. Son discours est entre-coupé des informations supplémentaires que donne l’auteure. Alors, certes, cela est nécessaire et appréciable. Mais il aurait mieux fallu l’énoncé dans le résumé de l’ouvrage pour ne pas surprendre le lecteur.
Pour ma part j’ai été très déçue du non-respect de la chronologie qui laisse penser à un amateurisme de la part de l’auteure : bien sûr on ne passe pas de 1914 à 1918 pour revenir à 1915, mais bien souvent on passe de 1915 à 1916 pour revenir à 1915 puis au début de 1916. En voici un exemple : à la page 34 on nous dit que » côté Balkans l’année 1916 commence mal » et à la page suivante on nous parle de fin août 1915 ! Cela provoque un certain désarroi, on ne sait finalement pas par quel bout prendre ce livre. Est-ce qu’on fait un pas en avant et deux pas en arrière ?
A la page 27 et 45 on nous parle des événements de juillet 1915, puis du torpillage du transatlantique anglais Lusitania en mai 1915 (puis de nouveau on repart en juillet 1915), que l’on retrouve à la page 45 en nous parlant de nouveau du Lusitania « coulé par les Allemands […] le 9 mai 1916 » ! Il faut alors fermer le bouquin et se renseigner ailleurs pour connaître la date précise à laquelle il a coulé : le 7 mai 1915. Pourtant ce n’est pas Albert Caralp qui écrivait ces dates, mais bien l’historienne qui a écrit ce livre. C’est franchement décevant de faire de telles erreurs, d’autant que cela fait suite au doublon de plusieurs paragraphes de la partie « Famille » des pages 35-36 que l’on retrouve en copié-collé aux pages 39-40.
L’auteure a choisi de traiter un journal intime en classant ses propos par thèmes, ce qui est à mon sens un mauvais choix pour comprendre ce qui se passe au jour le jour pendant le conflit mondial ; mais cela aurait été sans doute réussi si au sein de ces thèmes la chronologie avait été respectée, ce qui n’est malheureusement pas le cas. J’attendais vraiment quelque chose de bien mieux car cela me semblait très intéressant et prometteur.
Mis à part cela, il est intéressant de constater par les propos tenus par Albert Caralp le mépris que les Français pouvaient avoir pour les Allemands, qu’il appelait « Boches », « barbares » et autres noms peu flatteurs. On sent l’animosité qu’il y avait entre les deux nations bien avant l’amitié franco-allemande. Aussi, le choc qu’a produit le non-respect des règles de guerre par l’Allemagne en violant la neutralité de la Belgique lorsque les troupes entrent sur le territoire belge, permet de comprendre alors que la guerre obéissait à des règles, que les pays s’engageaient par des déclarations de guerre et qu’il était impossible jusque-là de les ignorer. Cela permet de mieux comprendre justement la stupeur que suscite l’Allemagne en 1914 et la croissance de l’animosité qui s’empare des citoyens Français en particulier. Caralp nous fait part des informations obtenues, mais peut-être étaient-ce des rumeurs que de dire les massacres que faisaient les Allemands dans le Nord de la France, les viols, les destructions, les humiliations infligés aux populations qui croisaient leur chemin.
En somme, il faut garder à l’esprit que c’est un livre intéressant pour savoir ce que ressentait un Parisien qui était du côté des civils mais aussi au contact des acteurs de la guerre ; et qui vivait la crainte de l’arrivée des « Boches », des bombardements etc ; mais cet ouvrage laisse largement à désirer sur la forme (et sur le fond concernant la certitude des dates qu’on nous donne pour étayer les propos d’Albert Caralp) !