Ce livre propose un éclairage original sur la Première Guerre mondiale. Richement illustré de plus de 300 documents parfois étonnants, il donne à voir une réalité assez méconnue de ce conflit. Cécile Coutin, conservateure en chef à la Bibliothèque nationale de France, est l’auteure d’une thèse de doctorat en histoire de l’art sur le peintre et dessinateur Jean-Louis Forain.

Préliminaires

Cécile Coutin rappelle d’abord que, de l’Antiquité, avec le cheval de Troie, jusqu’aux années 1870, le camouflage a toujours fait plus ou moins partie de toutes les guerres. A la fin du XIXème siècle, l’industrialisation croissante des guerres entraine une réflexion sur la nécessité de modifier les couleurs des uniformes. Seule l’armée française conserve alors, dans un premier temps, un uniforme voyant. L’invention et le développement du camouflage pendant la Première Guerre mondiale est le résultat des évolutions des tactiques de guerre et de l’usage nouveau de l’aviation.

L’invention du camouflage

Il est difficile d’établir une paternité certaine mais le point commun est la nécessité que, pour survivre, il faut alors se camoufler. La création de sections de camouflage dans l’armée française permet à de nombreux artistes de mettre leurs talents au service du pays. L’ouvrage permet de découvrir d’étonnants clichés comme celui de ce rocher constitué par plusieurs soldats.

Artistes camoufleurs

On rencontre des sculpteurs, des peintres et des illustrateurs. Louis Bérard a beaucoup contribué à l’invention du camouflage. Il était fabricant d’accessoires de théâtre et directeur d’un atelier de cartonnage. Il avait participé à la réussite de « Chantecler », une pièce d’Edmond Rostand créée à Paris en 1910. Les artistes ont réfléchi à la perspective et ils sont donc bien placés pour savoir comment faire disparaitre les reliefs. Le développement progressif de l’aviation impose aux artistes à réfléchir à de nouvelles solutions.

Ateliers et productions

Réaliser des camouflages efficaces nécessitait souvent de vastes locaux. L’ouvrage évoque notamment l’atelier central de Paris et son fonctionnement. Il met l’accent aussi sur les ateliers régionaux comme celui de Châlons-sur-Marne que l’on découvre avec ce cliché pris en avril 1916. Installé dans un cirque, on voit des arbres-observatoires blindés et des faux canons.

Toiles et filets XXL

Le camouflage de fortune des batteries au moyen de paille, pratiqué au début du conflit, se révèle rapidement insuffisant avec le développement de l’aviation. Les camoufleurs utilisent au maximum les accidents naturels des lieux. Le chapitre s’intéresse également à la dissimulation des voies de communication, des bâtiments et lieux stratégiques.

La peinture qui rend invisible

Peindre les canons est une des tâches les plus habituelles des camoufleurs. Les carnets conservés du peintre et décorateur André Mare se révèlent très précieux pour mieux cerner cette activité. Les chars doivent être invisibles et même les animaux sont camouflés.

Ni vu ni connu

Parmi les autres missions des camoufleurs, il y a celle de création de postes d’observation dissimulés pour voir sans être vu. La créativité des artistes est sollicitée avec de faux arbres ou encore de fausses meules de foin. Le livre offre des extraits des carnets d’André Mare avec notamment ces étonnants croquis d’arbre blindé  que l’on voit réalisé quelques pages plus loin. Le pouvoir de l’imagination est sans limite avec cette fausse carcasse de cheval mort qui abrite en réalité un guetteur.

Leurres en série

D’autres techniques se développent comme ces fausses têtes de soldats peintes sur du carton ou du contreplaqué et embrochées dans des piquets. Elles sont brandies au-dessus du parapet de la tranchée pour provoquer la réaction du guetteur ennemi et lui faire donc révéler indirectement sa position.

Ciel mon ennemi !

« A partir de 1916, le camouflage voit croitre son importance dans toutes ses applications en raison des progrès réalisés dans l’investigation aérienne ». Des projets parfois non aboutis se développent comme celui qui vise à créer des leurres pouvant faire croire à l’ennemi qu’il est en train de bombarder Paris. Des systèmes de brouillard artificiel se développent mais la fin du conflit interrompt plusieurs projets.

Monstres malins

L’objectif est parfois de tromper l’ennemi sur l’identité d’un bâtiment en le raccourcissant, par exemple, par un effet d’optique.

L’internationale du camouflage

Cécile Coutin se livre à un tour d’horizon de plusieurs pays. L’armée anglaise, impressionnée par les résultats français, a créé précocement un service dédié au camouflage. Malgré plusieurs expériences, l’armée allemande elle n’utilise pas cette technique avant  1917.

Un monde nouveau

A partir de 1918, la reprise de la guerre de mouvement et les attaques victorieuses des Alliés rendent difficile le travail des camoufleurs. Le camouflage n’a pas le temps de s’adapter à la guerre de mouvement. Avec lae guerre qui revient en Europe à la fin des années 30, le camouflage est réactivé comme technique. A partir de 1919, les artistes retournent à leur art. L’autrice remarque qu’ils ont durant la guerre cherché à masquer le visible ce qui est finalement l’inverse de leur art. L’exemple de Fernand Léger sert à nourrir ce propos.

Cet ouvrage de Cécile Coutin permet donc d’aborder un angle certes précis, mais très intéressant de la Première Guerre mondiale. Son intérêt est la grande variété des documents proposés.