Issu d’un colloque universitaire parisien tenu en mars 2021, cette somme en partie illustrée questionne la longue histoire du ventre. 26 plumes historiennes ont prêté leur concours aux concepteurs de l’ouvrage, l’antiquisante E. Samama (U Versailles) et le médiéviste F. Collard (U Nanterre).
En trois sections très bien articulées, en premier lieu les théories qui fleurissent sur le fonctionnement du ventre des Egyptiens à F. Rabelais, puis les déclinaisons pathologiques liées aux entrailles, enfin l’histoire culturelle du ventre, entre figurations iconographiques et littéraires, l’ouvrage nous familiarise avec ce que d’aucuns ont pu récemment baptiser le « second cerveau » humain et ses 200 millions de neurones.
Soulager le ventre
Dans la première section, nous avons relevé la contribution d’A. Pietrobelli qui montre les parallèles existants entre la théorisation de la digestion – celle du Romain Celse par exemple – et les observations réalisées dans la nature. A l’autre extrémité temporelle de cette partie, mentionnons le travail de Nicolas Le Cadet à propos de Rabelais et de sa mise en scène des flux intestinaux. Mais pas seulement, car Rabelais, en bon savant, examine ces organes avec l’oeil et les connaissances du théologien, du médecin, du philosophe. Et du gastronome.
La seconde section, dédiée aux souffrances, s’arrête entre autres sur les stratégies culinaires et diététiques à Rome avec le travail D. Tilloi d’Ambrosi. Le fameux Art culinaire d’Apicius (fin du IVè siècle) offre une série de 468 recettes qui allient plaisir et santé, signalant l’émergence d’une cuisine diététique fondée sur l’usage d’épices et de plantes aromatiques aptes à soulager le ventre (carvi, vinaigres, gingembre…). La contribution de P.D Mitchell et S.A Rabinow, deux archéologues de l’Université de Cambridge, mérite également notre attention. Le duo analyse les parasites (ténia du boeuf, ascaris lumbricoïdes et autres douves du foie) retrouvés lors de leurs fouilles au Proche-Orient puis détermine les conditions sanitaires des croisés et autres colons venus en Terre sainte.
Ces pathologies auraient été facilitées par la propension des Croisés à consommer des protéines animales séchées, fumées ou salées, et non pas bouillies à l’image des techniques culinaires indigènes. Les Croisés apportent également leurs parasites, les deux archéologues relèvent ainsi l’existence de tel protozoaire facteur de dysenterie inconnu au Proche-Orient avant les Croisades.
Enfin, la troisième section déploie sa dimension anthropologique, adossée à d’appréciables et rarissimes illustrations. N. Villacèque (U. de Reims) dissèque le ventre athénien qui oscille entre les luxueuses opportunités offertes par la thalassocratie et la frugalité revendiquée par Platon (les 2/3 du régime alimentaire des Athéniens sont composés de céréales), face à la gloutonnerie des démagogues. Un long chemin a amené à ces constats de l’époque classique, en effet, les textes grecs plus anciens font du ventre une malédiction humaine incontournable. La simplicité alimentaire de la majorité des Athéniens constitue donc une valeur de la démocratie, corrélée entre autres à la notion de liberté, acquise aux dépens d’autres cités rivales grâce à des combattants solides et endurants car bien alimentés.
Arrêtons-nous maintenant à la contribution de C. Viron Issad (APHP) avec son analyse de l’intestin dans la peinture occidentale moderne. L’intestin dévoilé comme attribut du martyr, ou encore étripages exécutés par les Huguenots au cours des Guerres de religion, voire embonpoint légendaire de tel ou telle aristocrate, l’auteure aborde rapidement ces trois catégories révélatrices de certains enjeux modernes liés aux violences et à une relative abondance.
Enfin, C Bulté (laboratoire Ahloma) et M Perez-Simon (U Sorbonne nouvelle) partent des peintures comiques réalisées vers 1445 dans le château de Capestang (Hérault), propriété des archevêques de Narbonne. Comiques – burlesques même – car elles figurent, sur un plafond, péteurs et autres « soufflacul », personnages aux poses grotesques témoins d’un rite carnavalesque saisonnier et local quasiment disparu aujourd’hui. Les captivantes illustrations renforcent le propos qui montre que les vents sont pris très au sérieux dans ce Moyen-âge finissant, reflet d’une certaine précarité humaine mise en scène par des archevêques « maîtres des vents ».
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