Vingt et unième volume de la Collection « Guide Belles Lettres des Civilisations », publié aux Editions Les Belles Lettres.
Archéologue et historien de l’art, Hédi Dridi est chercheur au Laboratoire des Etudes sémitiques anciennes (LESA) du Collège de France. Spécialiste du monde punique , il a travaillé en Tunisie, en Italie et en Espagne.
Le projet de l’auteur est clair: emmener le lecteur à la découverte d’une civilisation méconnue, et trop souvent mal aimée, tant elle a servi de faire valoir à sa rivale, Rome. Vae victis !L’histoire de Carthage devance pourtant celle de Rome (l’époque de sa fondation remonte au dernier quart du IXème siècle av JC), et déploie dès lors sept siècles d’existence jusqu’à sa destruction en 146.
Négligé aussi, le fait que Carthage n’aie pas seulement été un comptoir mais une cité, disposant d’une vaste zone d’influence qui s’étendait le long des côtes libyennes et tunisiennes, sur Malte, la moitié occidentale de la Sicile, sur la Sardaigne et les Baléares, et plus à l’ouest, enjambait les deux rives des Colonnes d’Hercule (de Tanger à Mogador, et de l’autre côté, la future Andalousie).C’est à la découverte de cette civilisation originale, « morceau de Levant qui s’est épanoui en terre d’Afrique » que ce guide nous emmène. Loin du dénigrement systématique des historiens romains ou des fabulations romantiques de notre littérature, ô Salammbô !
– L’organisation du livre
L’auteur, obéissant à l’esprit de cette collection, l’a conçue comme un guide touristique, entraînant le lecteur à travers l’espace et le temps.
Dans une première partie, sont abordés, sous forme de rubriques, l’histoire, la géographie, celle de la ville et celle de son « réseau d’influence » (carte p.22), car il est difficile de parler d’empire à propos de Carthage, l’organisation politique et sociale, la vie économique.
Après Carthage, les Carthaginois : ils font l’objet de la deuxième partie. L’auteur les fait revivre dans leur quotidien. On apprend la façon dont ils appréhendaient le temps et les âges de la vie, quels étaient leurs dieux et leurs cultes, leur langage et leurs noms, ce qu’ils mangeaient, leur littérature, les arts et les loisirs. A la fin du livre, Hédi Dridi propose même un lexique punique avec possibilité de vocalisation, ce qui n’est pas évident car comme toute langue sémitique, le punique utilise un alphabet consonantique. Le lecteur est même invité à tester les prononciations, à faire revivre en somme une langue morte.
Chacune de ces rubriques s’enrichit de cartes, de plans, d’illustrations reproduisant avec sobriété (dessins en noir et blanc) soit des documents archéologiques, inscriptions, stèles, monnaies, soit des reconstitutions de monuments, ou de techniques (four de métallurgiste à Carthage). Assortis aux fiches qu’ils éclairent, des encadrés ciblent des sujets très précis, comme les éléphants dans l’armée carthaginoise ou une recette de cuisine..
Une troisième partie, intitulée Annexes, offre des repères biographiques, un lexique et une orientation bibliographique.
– Les sources
Difficile d’éluder les sources classiques et bibliques. Elles sont riches d’informations, à la condition de savoir lire par delà la propagande anti-carthaginoise : alors qu’Aristote admire les institutions de la cité, l’hostilité est manifeste chez des auteurs comme Polybe ou Diodore de Sicile. L’ouvrage a souvent recours aux textes antiques, mais ils sont toujours « signés » et confrontés aux données archéologiques, épigraphiques et numismatiques.
Depuis le XIXème siècle, des fouilles ont été menées à Carthage, Kerkouane en Tunisie, à Malte, en Sicile, en Sardaigne, en Algérie, au Maroc, en Espagne. L’examen des pièces découvertes, sans cesse renouvelé et tout particulièrement ces dernières décennies, a permis de restituer une image bien plus nuancée de la cité et de sa culture.
L’orientation bibliographique proposée à la fin du livre est riche, et permet de se reporter à des ouvrages parus il y a peu: les plus récents datent de 2005.
– Comment utiliser ce guide ?
Soit chapitre après chapitre, pour mieux découvrir l’étendue du panorama de la société carthaginoise, soit ponctuellement, pour trouver rapidement des informations précises. Alors l’image de la cité vaincue, détruite, maudite, (quel latiniste en herbe n’a pas été frappé par le geste spectaculaire – mais sans doute inventé – du vainqueur semant du sel sur les ruines fumantes de la ville ?) peut s’effacer, au profit de celle de Qarthadasht, la « Ville neuve ».
Si la culture carthaginoise est différente des cultures grecque et latine, elle n’en est pas moins en prise complète avec son environnement africain et méditerranéen. Longtemps occultée, son empreinte, libérée des a priori partisans et des « oripeaux romantiques », devient de plus en plus lisible.