La lecture de la première et de la dernière fiche de ce dictionnaire est tout à fait symbolique. Ferhat Abbas, le militant doublement déçu de la colonisation et de l’indépendance de l’Algérie, fait face, à la fin de ce livre à Grégori Zinoviev, un des bolcheviks fusillé par Staline, dévoré par l’idéal dévoyé de Révolution qu’il avait contribué à mettre en œuvre aux côtés de Lénine.
De Ferhat Abbas à Grégori Zinoviev ce sont donc tous les courants, les personnages, les événements de ce terrible vingtième siècle qui défilent…
Les institutions ne sont pas absentes et en quelques dizaines de lignes, le lecteur pressé, l’étudiant sous pression, l’enseignant préparant un cours pourra trouver rapidement par exemple une fiche bien commode sur les différentes cours, suprême aux États-Unis, de sûreté de l’État pour la France, et de justice sur le mode européen ou international.
Une telle somme ne met pas à l’abri de certaines erreurs de détail. Ainsi on est surpris par la «section spéciale» qui n’a rien à voir avec le procès de Riom dans la notice consacrée à Costa-Gavras. De la même façon, mais là cela relève de l’analyse, on sera aussi étonné par le point de vue surprenant sur les résultats électoraux de Jean-Marie Le Pen : «l’électorat de Le Pen réunit paradoxalement des femmes âgées appréhendant les bandes de jeunes immigrés de banlieue et des homme jeunes irrités par un féminisme devenu l’idéologie dominante de la société.»
D’autres notices sont de très bonne tenue et s’appuient à l’évidence sur des ouvrages de référence. On appréciera la succession de Pie XI et de Pie XII, et la controverse sur ce pape à l’attitude équivoque sur le nazisme n’est pas près de s’éteindre. La fiche sur Josef Pilsudski, le père de la Pologne renaissante dans l’entre deux guerres ets également très pertinente. L’évolution de ce personnage mal connu est intéressante: socialiste dans sa jeunesse, déporté en Sibérie par la police du Tsar, mais farouchement anti-allemand et anti-russe, il essaiera jusqu’à sa mort en 1935 de protéger l’indépendance fragile de son pays, en se comportant parfois comme un dictateur. Son successeur, le colonel Beck, ministre des affaires étrangères de son pays et surtout artisan d’un rapprochement avec l’Allemagne de Hitler n’est curieusement pas gratifié d’une notice.
Bernanos dans un tout autre domaine est largement mis en avant, mais paradoxalement on insistera sur la part de lumière de cet écrivain, avec l’antifranquisme des grands cimetières sous la lune, l’antifascisme et la lutte contre les totalitarismes dans les dernières années de sa vie. L’ essai consacré à Edouard Drumont le pamphlétaire anti-sémite dans /la grande peur des bien pensants/ aurait tout de même mérité quelques analyses plus précises que cette «dénonciation de la bourgeoisie» rapidement évoquée.
De la même façon, certains oublis pourraient surprendre. Dans la série de guerres diverses, qui commencent à la guerre d’Afghanistan en 1979 ou celle d’Algérie, on ne trouve pas la guerre Iran-Irak qui est considérée pourtant comme la « vraie » première guerre du Golfe, dont découlent les deux suivantes.
Pour terminer cette série on s’étonnera, dans la biographie de Youri Andropov, de ne trouver aucune allusion à Mickaïl Gorbatchev. Ce dernier a pourtant été mis en avant par le président du KGB. Mais dans la notice consacrée à ce réformateur malheureux du soviétisme mentionne ce fait. On s’étonnera d’ailleurs de constater dans l’explication de cet échec, que la question centrale des nationalités n’ait pas été évoquée. C’est pourtant lors des émeutes de 1987 à Alma-Ata, au Kazakhstan, que le début de la fin a commencé pour cet empire dont Hélène Carrère d’Encausse prévoyait l’éclatement dès 1978.
Cet ouvrage est inconstestablement l’œuvre d’un seul auteur. Cela ne lui donne que plus de mérite car la tâche est tout à fait considérable. Par contre, elle soiuffre aussi de ces limites. Très intéressantes également les pistes biographiques qui concluent la plupart des notices et les renvois aux autres entrées de ce dictionnaire.
Au moment de conclure cette recension, destinée entre autres à une publication en ligne, ont peut s’interroger sur l’intérêt de mettre un tel ouvrage à la disposition d’élèves ou d’étudiants, dans un CDI ou une bibliothèque universitaire ou d’UFR. La mauvaise habitude du « copier-coller » dans wikipédia à partir de Google, n’a pas en effet fini de faire des ravages.
Puisse cet ouvrage ramener ceux qui sont amenés à étudier l’histoire politique du XXe siècle vers les rayons des usuels d’une bibliothèque. A défaut de lire ces notices, tel l’auteur de ces lignes, comme un recueil de nouvelles, au hasard des découvertes et des retrouvailles, ils pourront y trouver des savoirs à réinvestir, car toute connaissance reçue suppose construction.
Bruno Modica
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