René Capain Bassène est casamançais et journaliste, pour comprendre l’histoire récente de sa région, il s’est lancé dans une enquête qui l’amène aujourd’hui à cette publication, véritable source pour le futur historien de la rébellion en Casamance née en 1982 et en passe aujourd’hui de trouver une conclusion pacifique.

Après un premier livre sur le leader politique du mouvement irrédentiste l’abbé Augustin Diamacoune Senghor http://clio-cr.clionautes.org/l-abbe-augustin-diamacoune-senghor-par-lui_meme-et-par-ceux-qui-l-on.html ce second ouvrage consacré à la rébellion se veut un outil de compréhension de la complexité de 30 ans d’événements certes moins intenses et dramatiques que d’autres guerres civiles qui ont endeuillée l’Afrique post-indépendance (Sierra Leone, Liberia, Rwanda, Angola).

Ce recueil de témoignages des divers protagonistes s’il ne constitue pas une histoire de la Casamance depuis les années 80 est par sa nature même: retranscription de portions d’entretiens, une véritable source des origines, de l’évolution et des conséquences du conflit qui oppose le MFDC Mouvement des Forces démocratiques de Casamance à l’État sénégalais. Le soin de l’auteur à présenter des points de vue contradictoires est à souligner.

Les origines de la rébellion

Les témoignages éclairent la question initiale : Dans le contexte de la conférence de Bamako (1946) le premier MFDC était-il déjà indépendantiste? On pourra replacer cette période dans un contexte plus général grâce aux conférences sur ce sujet au dernier festival de géopolitique de Grenoble : http://www.clionautes.org/?p=3389 – [http://www.clionautes.org/?p=3394->http://www.clionautes.org/?p=3394].
Ce premier temps éclaire les débuts de l’indépendance du Sénégal. Les documents montrent aussi qu’au-delà du politique, l’inégal développement économique est une des sources du conflit.

Après un temps de silence le MFDC réapparaît publiquement lors de la manifestation du 26 décembre 1982 à Ziguinchor. Les témoignages montrent le rôle joué par l’abbé Diamacoune et son point de vue puisant l’idée de l’indépendance de la Casamance dans la période pré-coloniale mais aussi que la perception négative de la réforme agraire est le déclencheur des manifestations : réforme vécue comme une spoliation des terres communautaires menée par des fonctionnaires venus du Nord du pays et perçus comme étrangers, colonisateurs plein de mépris pour la culture local du bois sacré. Ces témoignages sont importants pour comprendre le soutien populaire à la rébellion dans les années 80. On peut noter que dès ce moment quelques leaders sont en Europe. Des éléments sur les fétiches permettent de mieux appréhender les éléments culturels du conflit qui perdure encore en 2015 (p. 48 et suiv.). La juxtaposition des interviews met en évidence les germes de dissension dès 1982.

La naissance d’Atika

La répression policière et judiciaire amène rapidement dès 1983 à un basculement vers la lutte clandestine et la création d’une branche armée du MFDC : Atika dont les débuts sont caractérisés par l’impréparation. Lors du cessez-le-feu de 1990 les effectifs sont d’environ 600 combattants. Une présentation des différentes générations de combattants éclaire les dissensions à venir de la branche armée.

La lutte armée

Un récit des embuscades et autres attaques à plusieurs voix qui explique le repli tantôt vers la guinée-Bissau tantôt vers la Gambie et pose la question de l’attitude des gouvernements de ces deux pays face au conflit. Évocation des armes utilisées, des mines qui sont aujourd’hui encore un problème mais aussi de la vie quotidienne au maquis dans les années 90, entre euphorie des combats et difficultés de ravitaillement. Divers témoignages parlent du pillage des villages désertés par leurs habitants . on constate aussi la coexistence dans les villages du nord du département de Bignona entre maquisards et soldats sénégalais en cantonnement.

Les divisions du maquis

Entre tradition diola, discipline militaire et ambitions personnelles la division fut dès le début un fait important qui a entraîné le regroupement des rebelles selon leurs villages d’origine avec néanmoins des périodes de rassemblement. Front nord, front sud,tentatives de négociation avec l’État et règlements de compte sanglants entre factions jalonnent l’histoire des années 1982 à 2010, de nombreux détails pour qui voudra écrire cette histoire.
L’auteur analyse le rôle des appuis extérieurs dans les conflits internes du MFDC: Guinée-Bissau, Gambie et même État sénégalais qui en appuyant tel ou tel pensait régler les choses. Après les accords de Toubacouta en 1991 l’usage de l’argent pour les combattants et pour les femmes s’il a contribué à une situation de ni guerre ni paix n’a pas mis fin au conflit. On voit aussi le rôle de l’Eglise catholique et la politique du président Wade: la recherche de fonds internationaux pour la paix sans effet de relance économique sur place et qui ont souvent servi au financement des campagnes électorales. Un ensemble de faits qui expliquent pourquoi la crise reste ouverte, ni Atika ni le pouvoir politique n’ayant intérêt à signer la paix.

Les exactions des belligérants sur les populations civiles

Cette dernière partie est consacrée à la violence sur les populations civiles victimes du conflit. Témoignages des arrestations sans fondements, des exécutions sommaires par l’armée d’autant plus graves que les homonymies une personne ayant le même prénom, même nom qu’un rebelle avait peu de chance durant les années 80-90 d’en sortir vivant sont très fréquentes par exemple dans le secteur de Nyassa. Des faits qui ont contribué à faire basculer de nombreux jeunes diolas dans la rébellion.
L’auteur recueille aussi les exactions des maquisards: pillages, racket, très nombreux accidents de mines, assassinats autant d’actes qui ont fait perdre au MFDC le soutien populaire. Outre le trafic de drogues les rebelles ont pillé les vergers, le bois des forêts ou les champs délaissés du fait de l’insécurité.
Divers témoins évoquent cet exil soit vers les pays voisins soit vers les villes. Un retour difficile même après l’accalmie de 2005

Epilogue

Selon d’anciens rebelles ce serait Mamadou Nkrumah Sané, leader qui vit en France qui empêcherait tout règlement définitif. Ils dénoncent l’évolution d’Atika et ses violences internes et attendent des négociations une part d’autonomie pour la Casamance. Mais le processus semble menacé par la corruption et les détournements de fonds.