CR par Stéphane Moronval, professeur-documentaliste au collège de Moreuil (80)

Archéologue de formation, Michel Feugère est chercheur au CNRS depuis 1982. Même si sa participation aux fouilles d’urgence de Zeugma (2002-2005) l’a récemment poussé à accorder une place croissante à l’archéologie gréco-romaine en Anatolie dans ses travaux, il s’est essentiellement spécialisé dans l’étude de l’instrumentum (ou « petit mobilier ») et de l’artisanat antique, s’intéressant à la fois à la technique de production, à la morphologie et à l’usage des petits objets manufacturés ainsi désignés. C’est dans ce cadre qu’il publia naguère aux éditions Errance deux ouvrages consacrés à la chose militaire, l’un sur les armes des Romains (1993), l’autre sur les casques antiques (1994), dont l’éditeur précité publie aujourd’hui une nouvelle édition présentée comme revue, corrigée et augmentée.

Alors que son précédent ouvrage restait clairement centré sur Rome, l’étude menée ici par M. Feugère apparaît donc chronologiquement assez vaste, puisqu’elle embrasse une période d’environ deux millénaires, et géographiquement pareillement assez ambitieuse, puisque c’est tout l’ensemble des mondes européen et méditerranéen qui sont à priori concernés. Les courtes introduction et conclusion rédigées par l’auteur permettent cependant de saisir clairement les fondements de ces choix et le cœur de son étude. Le casque, avance t-il, a de tout temps eu une fonction double : il est avant tout protection contre l’armement offensif de l’ennemi ; il est aussi un objet qui véhicule une signification sociale et culturelle. En ce sens, la période abordée présente une certaine unité puisqu’elle se manifeste par une intégration croissante au sein de l’Imperium Romanum ; parallèlement, sans que sa valeur symbolique ne soit jamais totalement oblitérée, le casque connaît au sein de l’équipement militaire une généralisation (on pourrait aussi bien dire « démocratisation », même si le terme est impropre) inconnue des époques précédentes puis immédiatement suivantes.

Deux millénaires de couvre-chefs métalliques

L’auteur livre ainsi une typologie détaillée. Le premier chapitre (p.13-31) est consacré aux premiers casques métalliques. Apparus dans le monde égéen vers 1600 av.J.-C., ceux-ci se diffusent progressivement en Occident, avec la manifestation de traditions différentes. A l’époque archaïque se développent en Grèce les types « corinthien », « illyrien »… prolongés à l’époque classique par les casques dits « apulo-corinthiens » et « chalcidiens » ; en Italie, l’Etrurie semble le berceau d’un modèle original, le type Negau, qui atteint sa forme classique au VIè s. av.J.-C. Dans un deuxième chapitre (p.33-56), l’auteur s’intéresse ensuite aux casques gréco-italiques, du IVè s. jusqu’à la fin de la République : casques hellénistiques (dont sont rappelées les quatre grandes familles, non exemptes d’influences réciproques : « en pilos », phrygien, béotien et attique) et, essentiellement, casques étrusco-italiques en bronze dont les différentes variantes, généralisées par les légions et rapidement produites, connaissent un grand succès en Méditerranée occidentale jusqu’aux guerres césariennes. Parallèlement, les premiers casques celtiques en fer apparaissent dans le courant du Vè s.. Le troisième chapitre (p.57-82) retrace leur lente évolution jusqu’à la conquête romaine ; Christophe Maniquet, ingénieur à l’INRAP, y apporte un très intéressant complément (p.83-91) en se livrant à une présentation détaillée des extraordinaires trouvailles mises à jour en 2004 sur le site du sanctuaire de Tintignac, lors des fouilles menées sous sa direction. Les casques qui coiffent les fantassins romains du Ier au IIIème s.ap.J.-C., étudiés dans le quatrième chapitre (p.93-113), se nourrissent des deux traditions précédemment rapportées ; avec une grande clarté, l’auteur en présente les différentes et successives manifestations. Les deux chapitres suivants portent ensuite sur deux « familles » de casques qui coexistent parallèlement aux précédents : ceux utilisés par la cavalerie, dont les spécificités découlent de techniques de combat et d’un état d’esprit particuliers. Les casques supposés « fonctionnels » (p.115-133) tout comme ceux qui appartiennent à l’équipement sportif (p.135-152) ont pour point commun une forte présence de l’élément décoratif. Les plus troublants sont sans conteste les seconds, ces fameux casques à visage tendant à reproduire les éléments d’une tête nue et mis en scène lors des hippika gymnasia. L’auteur livre à leur sujet quelques points d’analyse et d’interprétation (qu’on pourra rapprocher de celle avancée par J.E.Lendon dans son brillant Soldats et fantômes, au compte-rendu duquel on se permettra de renvoyer ici : http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2346) ; ce chapitre est en outre complété par une très brève présentation de l’une des plus récentes et remarquables découvertes de ce type, celle de Crosby-Garrett en mai 2010, dont la photo orne la première de couverture de l’ouvrage. Les bouleversements marquant le début de l’Antiquité tardive amènent une évolution de l’équipement militaire (septième et dernier chapitre, p.153-163) : les modèles de casque sont simplifiés, car dorénavant majoritairement produits dans des fabricae contrôlées par l’Etat par un personnel peu qualifié (même si la découverte de pièces de prestige témoigne de la permanence d’une tradition artisanale de très haut niveau). Autre innovation, toutes ces pièces sont de construction composite, découlant de traditions étrangères au monde romain.

Dis-moi quel casque tu portes, je te dirai qui tu es ?

C’est donc un tableau extrêmement précis et complet qui est ici donné par M.Feugère des différents modèles de casques antiques (l’intérêt étant surtout centré, on l’a compris, sur ceux de Rome), de leur origine, de leur évolution, de leur influences respectives. Il ouvre aussi de brefs mais intéressants aperçus sur les dimensions sociales, culturelles, techniques… de l’objet. Le texte est clair, bien structuré, de nombreux sous-titres étayant les différents chapitres, et, même si la présence d’un lexique n’eut pas été inutile, le néophyte peut le suivre de façon relativement aisée malgré la grande spécialisation du domaine étudié. Il peut aussi s’appuyer sur les très nombreuses illustrations en noir et blanc (photos, dessins, cartes de localisation, tableaux de synthèse) qui, étroitement liées à l’exposé, enrichissent grandement l’ouvrage. La bibliographie (dont on s’étonnera juste qu’elle ne semble pas avoir été complétée depuis la première édition de 1994), présentée par chapitre puis par type, témoigne de recherches et de réflexions approfondies. D’évidence, l’auteur s’est livré à un gros travail de collecte d’informations, et il maîtrise parfaitement son sujet ; les limites des découvertes connues ne sont pas ignorées, les prises de position argumentées.

On est donc ici en présence d’une synthèse commode qui pourra servir de référence à tous ceux qui portent de l’intérêt à la connaissance ou à l’identification d’un élément essentiel de la panoplie des guerriers gréco-celto-romains.

Stéphane Moronval ©