Le numéro s’ouvre par un article que Thomas Rabinot consacre à « La Traction dans la guerre ».

Présentée en mars 1934, la « 7A » (pour 7 chevaux fiscaux) a vite conquis le public et la presse. A partir de 1936, son « avant-gardisme se double d’une impressionnante fiabilité ». L’appellation officielle, la « 7 » ou la « 11 » est vite supplantée par sa caractéristique première (traction et non propulsion comme quasiment tous les modèles existants) qui « accentue l’efficacité révolutionnaire de son comportement routier ». Maniable, confortable, spacieuse, rapide (110 km/h pour la « 11 » et 135 km/h pour la « 15 »), soutenue par des campagnes publicitaires innovantes, elle jouit très vite d’une formidable réputation. Citroën s’implante en Italie, en Allemagne, en Belgique, en Suisse, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas.

Sur les routes de l’exode les versions civiles surchargées de malles et de matelas voisinent avec les véhicules de l’état-major de l’Armée française. De 1934 à 1941, près de 200 000 véhicules ont été produits. La Wehrmacht les réquisitionne volontiers et on la retrouve sur tous les fronts ; les civils les cachent ou les équipent de gazogènes. La « 15 Six » (six cylindres, 16 litres aux 100 km), la plus belle et la plus recherchée, équipe le personnel de Vichy, la Gestapo et tous les cadres de l’occupation allemande. A Londres, le général de Gaulle roule en Traction. Des « 11 » et des « 15 », camouflées à la hâte sont ressorties à la faveur de la croissance des maquis en 1943 : « la Traction s’impose comme un rapide et efficace moyen de transport pour les maquisards » ; conduite par des résistants brandissant leurs mitraillettes Sten, elle symbolise la Libération. Elle équipera par la suite les ministères de la IVe République. De 1934 à 1957, près de 760 000 Tractions sortirent des chaînes de Citroën ».

« La Croisade contre les Bolchevisme » fait l’objet d’un article de David Zambon et Yann Mahé.

« Présentée aux populations des pays occupés comme une campagne préventive visant à défendre l’Europe du communisme avant que l’Armée rouge ne déferle sur le continent, l’opération Barbarossa rassemble des contingents de sept nations, dont les objectifs politiques sont pour le moins divergents. Il résulte de cette coalition une totale hétérogénéité et une absence de cohésion qui fragiliseront la poussée de la Wehrmacht lorsque la résistance des soviétiques se durcira, à l’approche de l’hiver 1941-1942 ».

Une participation militaire italienne semble indispensable à Mussolini pour des raisons idéologiques, politiques (permettre à l’Italie de redorer son blason en la montrant aux côtés de l’Allemagne triomphante), économiques enfin (accéder aux ressources en minerais, hydrocarbures et céréales de l’URSS). Hitler ne souhaite pas cette participation et invite Mussolini à concentrer ses efforts sur le théâtre méditerranéen. Un corps expéditionnaire de 62 000 hommes est cependant créé et employé au combat sur le Boug, le Dniestr, puis le Dniepr.

Composée d’étudiants et de membres de la Phalange, de désoeuvrés et de quelques centaines de Portugais fascisants », les 47 000 volontaires de la « Divison Azul » intègrent l’organigramme du groupe d’armées Nord et combattent sur le front de Leningrad.

Séduit par la perspective de récupérer les provinces perdues sous la pression de l’URSS, et par de possibles gains territoriaux ultérieurs, le général Ion Antonescu engage massivement la Roumanie dans l’opération Barbarossa (326 000 hommes). Les troupes roumaines participent à la reconquête de la Bucovine et de la Bessarabie, entrent dans Odessa, participent à la conquête de la Crimée et au siège de Sébastopol.

La Roumanie se livre avec la Hongrie à une « compétition morbide, en vue d’entrer dans les petits papiers du Führer, ce avec l’objectif de récupérer la Transylvanie du nord, annexée par Budapest ». La Hongrie déclare la guerre à l’URSS ; ses troupes combattent en Galicie et coopèrent activement avec celles du général von Kleist.

Hitler a invité la Finlande à se joindre à l’invasion de l’URSS ; l’opinion publique finnoise est favorable à une future reconquête des territoires cédés à l’URSS. Le président Ristu Ryti accepte, mais pose ses conditions : la Finlande n’est pas l’alliée de l’Allemagne, elle est « cobelligérante » et cessera ses opérations dès qu’elle aura reconquis les territoires cédés à l’URSS en 1940. Hitler accepte. Le 26 juin 1941, la Finlande déclare la guerre à l’URSS. Ses 14 divisions (475 000 hommes) enfoncent la défense soviétique et atteignent tous leurs objectifs en deux mois. La Finlande refuse alors de poursuivre sa progression vers Leningrad comme le lui demandent les Allemands, mais comme le lui permettent les accords signés préalablement.

Un groupement d’armée expéditionnaire composé de 40 000 Slovaques ainsi q’un régiment de 4000 Croates se joignent également aux troupes allemandes.

Placée en porte-à-faux entre sa politique étrangère pro-allemande et la russophilie traditionnelle de sa population, Boris III de Bulgarie refuse de déclarer la guerre à l’URSS et n’envoie pas de troupes combattre contre l’Armée rouge.

Un article de C.-J. Ehrengardt traite de la dernière étape de la dégradation des « orageuses relations diplomatiques nippo-américaines » (« Vent d’Est, Pluie »).

Andrej Umansky, assistant scientifique à Yahad-in-Unum, prépare une thèse en histoire sur la Shoah en Russie du Sud à l’Université d’Amiens. Il consacre un article à la biographie de Reinhard Heydrich, jusqu’au sommet de sa puissance en novembre 1941. Né le 7 mars 1904 à Halle (la ville natale de Haendel et de Luther, centre important des Lumières dans l’Allemagne du XVIIIe siècle), d’un père compositeur et d’une mère professeur de piano, Heydrich apprend très tôt le piano et le violon au conservatoire de ses parents. A 15 ans, il intègre un corps franc pour participer à l’écrasement du Conseil des ouvriers et soldats spartakistes qui a pris le contrôle de la ville. Il est déjà un « pur raciste fanatique » et adhère à une association politique qui fait du combat contre le judaïsme, responsable de l’effondrement du IIe Reich en 1918, son cheval de bataille. Bachelier, il entre en 1922 dans la Marine allemande (réduite à 15 000 hommes par le traité de Versailles) et s’y lie d’amitié avec Wilhelm Canaris. Sa carrière d’officier se brise en 1932 sur un scandale mondain.

Le 1er juin 1931, il adhère au NSDAP, puis à la SS. Il est presque aussitôt engagé par Himmler pour mettre sur pied un service de sécurité, qui va devenir rapidement le SD (Sicherheitsdienst), service de sécurité de la SS. Il ne dépend plus que d’Himmler qui apprécie sa « détermination et sa rapidité de réaction » et de Hitler qui impose à Göring de céder le commandement de la Gestapo à Himmler, Heydrich étant son adjoint. En juin 1934, il organise les assassinats de la « Nuit des longs couteaux). En 1936, Himmler est nommé chef de la police allemande par Hitler ; Heydrich, désormais général SS hérite de la direction de la Sicherheitspolizei (Sipo) qui réunit la Gestapo et la Kripo (police judiciaire). A 33 ans, il a plus de 50 000 hommes sous ses ordres. Après l’Anschluss, en mars 1938, sa Sipo et son SD « se lancent dans la traque des opposants autrichiens avec une rapidité et une efficacité » qui font l’admiration d’Hitler. La « Nuit de cristal » lui permet de se placer sur le devant de la scène ; l’année suivant il est chargé de provoquer le casus belli qui servira de prétexte à l’attaque de la Pologne.

Il organise alors les premiers Einsatzgruppen du SD qui, sur les talons de la Wehrmacht, éliminent les Juifs et l’intelligentsia polonaise. Le 27 septembre 1940, le SD, la Gestapo et la Kripo sont rassemblés par Himmler dans le Reichssicherheitshauptamt (RSHA), l’Office pour la sécurité du Reich, dont les 60 000 hommes placés sous les ordres du tout-puissant Heydrich ont pour mission principale de lutter contre les « ennemis de l’Etat », au premier rang desquels, les Juifs. Au printemps 1941, il rassemble les chefs des Einsatzgruppen qui vont intervenir en URSS et leur donne pour mission d’éliminer les commissaires politiques, les militants communistes et les Juifs. Le 31 juillet, Göring le charge de réfléchir au règlement définitif de la question juive en Europe, la « solution finale » (Gesamtlösung). En septembre 1941, Hitler le reçoit et le nomme adjoint du gouverneur du protectorat de Bohême-Moravie, von Neurath ; en fait c’est lui qui exerce la réalité du pouvoir et qui met brutalement au pas le Protectorat. Il est alors devenu « un acteur politique d’Europe occupée de tout première ordre, émancipé d’Himmler et adoubé par Hitler ».

Benoît Bihan propose une analyse originale de la phase initiale de la guerre germano-soviétique, « Barbarossa ou l’imposture du Blitzkrieg », l’un des sous-titres de l’article se veut un peu provocateur : « Barbarossa, défaite allemande » ! La démonstration est la suivante :

– Les succès militaires de la Wehrmacht durant l’été 1941 s’expliquent pas « une doctrine tactique remarquable, affinée depuis le XIXe siècle, reposant non tant sur l’excellence du matériel que sur une intégration interarmées très poussée, à l’époque unique au monde ». La Wehrmacht dispose d’un « corps de sous-officiers exceptionnel », d’un « corps d’officiers subalternes aguerri », d’un réseau radio excellent permettant aux unités de demeurer en contact entre elles et de compter sur un appui aérien rapide et efficace.

– Les succès allemands sont facilités par les insuffisabces tactiques de l’Armée rouge qui souffre d’un déficit de cadres, de lacunes dans les transmissions, d’un culte de l’offensive à tout prix qui rend les unités mécanisées incapables de structurer leur défense en profondeur. « Partout où elles sont engagées, ces unités sont dès lors assez largement tournées, encerclées, disloquées, détruites par les Panzer. »

– L’Armée rouge est néanmoins « mieux préparée que son adversaire à livrer la guerre moderne, totale et longue qui s’annonce ». L’aviation peut compter sur un bon Iliouchine et sur des bombardiers de qualité. Les lance-roquettes multiples (Katyushas ou « orgues de Staline) vont se montrer très efficaces. Le char T34 va « bouleverser à tout jamais le combat blindé ». Le renseignement allemand a sous-estimé l’ennemi et la Wehrmacht découvre un réseau routier sous-développé et un réseau ferroviaire inutilisable pour des raisons de différence d’écartement des voies. L’URSS se renforce tandis que les batailles de l’été 1941 imposent à la Wehrmacht des saignées dont elle ne se remettra jamais tout à fait.

Conclusion : « L’Allemagne est parvenue, à la fin du mois de septembre 1941, aux limites extrêmes de ce que peut réussir une armée ne reposant que sur sa supériorité tactique pour emporter la décision (…) L’URSS n’est pas la Grèce ou les Pays-Bas : immense, elle s’est préparée à une guerre longue, dans laquelle la tactique n’est qu’un outil au service d’opérations pensées de manière systémique, pour produire, par leur combinaison dans l’espace mais surtout dans le temps, un effet susceptible de faire tomber une grande puissance (…) L’Allemagne nazie va désormais devoir payer le prix fort pour avoir cru à l’illusion du Blitzkrieg. »

Le dossier intitulé « Un Nouvel ordre mondial. Exterminer et Asservir » est composé de trois articles : Le « Generalplan Ost (Nicolas Anderbegari), « Drang nach Afrika » (Yann Mahé), Welthaupstadt Germania (Yannis Kadari).

Hitler pense avoir gagné la guerre à l’automne 1941, il se laisse peu à peu aller à des « propos de table » dévoilant ses ambitions coloniales à l’Est et, dans une moindre mesure, en Afrique. « Les administrations se disputent déjà le pouvoir dans les territoires conquis et s’enlisent dans des conflits d’intérêt trahissant les ambitions démesurées et concurrentes de chacune : ministère des Affaires étrangères de Ribbentrop, ministère aux Territoires occupés de l’Est de Rosenberg, « Etat SS » du Reichsführer-SS Himmler, Organisation du plan de quatre ans du Reichsmarschall Göring, Reichskolonialbund du général Franz von Epp ». Toutes ces administrations ont des projets différents mais une même volonté de fournir au peuple allemand un espace vital lui permettant de prospérer en autarcie, d’imposer en Europe un nouvel ordre nazi dans laquelle la « race des seigneurs » asservira et exploitera les « races inférieures, pour finalement dominer le monde.

Le Generalplan Ost élaboré par la SS, est une synthèse d’idées et de théories prospectives portées depuis des années par de nombreux chercheurs et universitaires allemands réputés, qui, pour beaucoup, ont décidé de mettre leur savoir et leur science au service de l’idéologie nazie. Ainsi le géographe Christaller, auteur en 1933 d’une théorie des lieux centraux, adhère-t-il au parti nazi et fournit le modèle des réseaux urbain hiérarchisés aux administrations en charge de prévoir l’aménagement du futur « espace vital ». Ce plan, « projet délirant et monstrueux » prévoit d’exterminer la majorité des « sous-hommes » de l’Europe orientale (de la Pologne à l’Oural) par les armes et par la famine et de repousser les survivants en Sibérie. Simultanément évolue la « question juive » en une succession de projets (déportation à l’Est dans le Gouvernement général de Pologne, déportation au-delà de l’Oural, déportation à Madagascar, extermination). Des colons allemands viendront peupler et cultiver ces territoires. ; les colonies seront reliées par deux vastes réseaux, l’un autoroutier, l’autre ferroviaire. La Pologne, en tant que première conquête militaire, constitue le laboratoire pour mettre en pratique ces projets : expulsions, germanisation, « déculturation », extermination.

L’Afrique centrale fournira les matières premières utiles à l’Allemagne et introuvables en Europe ainsi qu’une main d’œuvre d’indigènes réduits en esclavage.

Germania, bâtie sur les fondations de Berlin, sera la capitale du monde. Symbole de ce pharaonique programme de rénovation urbaine et censé être inauguré pour l’exposition universelle de 1950, le futur palais du Führer, conçu par Speer et Hitler, et la Volkshalle, grande salle du peuple, gigantesque bâtiment inspiré du Panthéon de Paris, du Capitole de Washington et d’un projet de Hitler, qui pourra rassembler 150 000 personnes.

A noter enfin un court article sur « l’échec du fascisme norvégien » (Xavier Tracol), quelques extraits du Dictionnaire amoureux de De Gaulle de Michel Tauriac et les chroniques habituelles.

© Joël Drogland