« 1945 » est le quatrième et ultime volet de la série Chez Adolf, qui suit l’évolution de l’Allemagne nazie depuis 1933 à travers le parcours d’un Allemand moyen et de son entourage.

L’album s’ouvre par la parabole éminemment allemande du Joueur de flûte de Hamelin, récit d’un envoûtement général qui conduit au suicide collectif. L’envoûté de la série Chez Adolf est un citoyen allemand ordinaire.

Quinquagénaire barbu du nom de Karl Stieg, il est professeur de collège dans une ville de province. Individu honorable à titre personnel, mais passif et suiviste, il a timidement frayé avec certains milieux de l’opposition, tout en adhérant par conformisme et carriérisme au parti nazi. Devenu à présent le directeur de son collège, il assiste à l’agonie militaire du régime avant d’y être associé par son incorporation dans le Volkssturm, cette garde territoriale formée d’anciens et d’adolescents sous-équipés supposés entraver l’invasion alliée.

Peu motivées et mal formées, ces recrues de la dernière heure sont dispersées par un bombardement allié alors qu’on les conduisait en camion dans la fournaise de Berlin assiégée. Fugitif isolé, Karl Stieg entame une errance solitaire dans l’Allemagne de la défaite.

Échappant de justesse à l’Armée Rouge, croisant fugitifs, damnés et paumés, il entame un périple difficile pour retrouver son foyer en zone britannique. La ville est dévastée par les bombardements et les combats, mais son petit immeuble a été miraculeusement épargné. Une ère nouvelle débute.

Caméléon exemplaire, le jovial bistrotier du rez-de-chaussée replace son ancienne enseigne d’avant 1933 sur sa devanture. « Les Joyeux amis » reprennent leurs droits, escamotant l’opportuniste « Chez Adolf » de l’ère nazie. La boucle est alors bouclée, effaçant la séquence hitlérienne comme un mauvais rêve révolu.

Dans ce dernier opus, le foisonnement des protagonistes qui contribuait à la complexité initiale du tableau de la société allemande s’est dissipé. L’effondrement final du régime nazi recentre l’intrigue devenue linéaire sur le seul personnage central de Karl Stieg, environné de quelques silhouettes peu consistantes.

Balloté passivement par les événements, cet érudit distingué est l’incarnation d’une digne inconsistance. Sa médiocrité en fait un « Monsieur tout le monde » emblématique de la soumission, la lâcheté et des petites compromissions collectives qui forgent à la fois la culpabilité et l’amnésie allemande de l’après-guerre. Fidèles à la signature graphique de la série, un dessin stylé et des coloris élégants mettent en valeur la figure à la fois sympathique et décevante du « herr doktor » Stieg.

© Guillaume Lévêque