Présentation de l’éditeur. « Qu’aurions-nous fait à partir de 1933 si nous avions été Allemands ? En suivant le parcours des habitants d’un petit immeuble situé dans une ville d’Allemagne, Chez Adolf raconte la montée du nazisme et ses dégâts irréversibles.

Le 30 janvier 1933, Adolf Hitler arrive au pouvoir en Allemagne. Ce jour-là, le bar au rez-de-chaussée de l’immeuble où réside le professeur Karl Stieg change de nom pour s’appeler Chez Adolf, patronyme du propriétaire. C’est aussi le jour où Karl décide de tenir un journal sans imaginer à quel point les années à venir vont impacter les habitants de son immeuble et le destin du monde ».

 

Janvier 1933, dans une ville moyenne allemande non dénommée, qui pourrait sans doute être la Leidenstadt imaginée par Jean-Jacques Goldman ou la Petite ville nazie étudiée par William S. Allen. L’avènement du régime hitlérien y est matérialisé par le changement d’enseigne commerciale du bistrot installé au rez-de-chaussée d’un paisible immeuble d’habitation. « Les Joyeux amis » sont alors opportunément rebaptisés « Chez Adolf », en une habile conjonction entre le prénom du cafetier et l’air du temps. Parmi les locataires du lieu figure un respectable professeur de collège, célibataire discret, barbu et à lunettes du nom de Karl Stieg. Il est le médiateur d’une immersion dans l’ambiance malsaine et de plus en plus contraignante que fait régner le nouveau pouvoir. Herr Stieg est un héros qui n’est guère héroïque. Hésitant et se définissant comme apolitique, c’est un Allemand moyen assez banal. À la fois réticent et timoré face à la montée en puissance du nazisme, il s’en accommode avec certaines réserves morales. Observateur incertain situé à la confluence entre deux mondes, le microcosme de son immeuble et le milieu scolaire du gymnasium où il enseigne, il est en somme l’œil du lecteur pour une vue en coupe de la société allemande de l’époque.

Faisant songer à leurs homologues du grand classique de la littérature égyptienne L’Immeuble Yacoubian et de l’angoissant Seul dans Berlin de Hans Fallada, les résidents de l’immeuble forment un échantillon varié mais représentatif de gens ordinaires : le professeur, la famille juive confrontés aux premières humiliations et persécutions, le cafetier jovial et opportuniste, le carriériste sans scrupule et son épouse infidèle, le chômeur dont le fils émarge aux Jeunesses Hitlériennes sous la coupe d’un chef abusif, etc. La population se plie au climat régnant de lâcheté collective et de petites compromissions, en dépit du courage personnel montré par de rares individus isolés. La plupart des citoyens courbent l’échine devant la montée d’une violence politique et raciale de plus en plus oppressante. Dans ce contexte, le professeur Stieg est aussi confronté à la nazification rapide de l’espace scolaire et à la défaite de la pensée que symbolise l’autodafé des livres « impurs » qui conclut l’album. Les événements, les tentations et les renoncements du quotidien forment la trame de cette chronique d’un moment de bascule historique où, à l’échelle des individus, rien de spectaculaire ni d’irréparable ne s’est déjà produit, ce qui renforce encore la crédibilité de la mise en situation.

Le personnage principal est attachant et les protagonistes bien caractérisés. Le scénario, habile et vraisemblable, s’inscrit dans un cadre historique irréprochable. Enfin, un univers graphique puissant installe une ambiance sépia à la fois élégante et sourdement angoissante. À une malencontreuse coquille près (obédience p.28), l’harmonie de l’ensemble fait de ce premier volet d’une série de quatre albums situés chacun à une date clé du régime nazi (1933, 1939, 1943 et 1945) une parfaite réussite. On a d’ores et déjà hâte de suivre la destinée du professeur Stieg, de ses voisins et de ses collègues, dans les étapes ultérieures de cette série dessinée prometteuse, qui honore le talent de ses auteurs et sait susciter l’empathie de ses lecteurs.