Publiée dans la collection destin aux éditions Calype, Cicéron un philosophe en politique est une courte biographie sur le grand auteur de la République Romaine déclinante. S’il ne s’agit nullement de la première entreprise du genreCitons la biographie de Pierre Grimal en 1986, le texte de Charles Guérin doit relever un défi de taille : retranscrire l’importance de l’action et des œuvres du Cicéron dans les dernières décennies du conflit civil, plus ou moins larvé, qui conduisirent à la chute de la République, et ce dans quelques pages seulement.

En spécialiste de la Rome antique, Charles Guérin livre cette courte biographie, ce qui est une entreprise ambitieuse quand on connaît l’immensité de l’œuvre textuelle de Cicéron : « 800 lettres, 58 discours, et 21 traités »Charles Guérin, Cicéron un philosophe en politique, Calype, page 8. Le philosophe n’est pas étranger aux politiciens chez ce dernier : ce sont les deux faces complémentaires de son existence. Il est à la fois philosophe politicien est un politicien philosophe. C’est cet angle de lecture qu’adopte Charles Guérin dans son texte.

 

 

 

 

 

Une grande ambition sociale

Cicéron n’est pas issu de la haute aristocratie de la cité éternelle. Il naît dans la ville d’Arpinum le 3 janvier 106. Pris de haut par la nobilitas de Rome, Cicéron fera de l’incarnation des valeurs romaines l’axe de sa vie, devant deux fois plus qu’un autre agir pour se faire reconnaître. Fils de Marcus Tullius Cicero, dont il porte le même nom, Cicéron est vite repéré pour son talent et son père l’envoie à Rome pour parfaire sa formation. Membres de l’ordre équestre, il est confié aux soins de Marcus Antonius et de Lucius Licinius Crassus, de brillants orateurs devant lui servir de modèle.

Il prend la toge virile en 90 et vivra la décennie suivante retiré des affres de la guerre civile entre Marius et Sylla. Charles Guérin note que cette période lui permettra de progresser sur la route qui l’amènera à être « le plus grand lettré de son temps »Ibid, page 19. Il suivra une formation en grec auprès de Molon, son apprentissage philosophique auprès de Philon de Larissa notamment, dernier dirigeant de l’académie d’Athènes. C’est ce dernier qui, en rupture totale avec l’héritage platonicien, marie philosophie et rhétorique. Cicéron puisera à cette source allègrement.

Des débuts prometteurs

À la fin de la guerre civile Cicéron débute ses premières plaidoiries et saura alors faire la publicité de ses discours pour attirer la reconnaissance et la gloire à soi. Son premier procès pour parricide, où il obtient l’acquittement de son client, marque le début de sa carrière judiciaire. Il promeut alors l’idée du devoir de chaque citoyen à défendre le droit et la raison, c’est-à-dire la République, face à la bestialité à la violence. Et pour cela le philosophe doit parler et guider la population : le philosophe politique rejoint le politique philosophe. Il part alors deux ans Grèce terminer sa formation et revenir à Rome pour continuer sa carrière.

Installé et marié en 78, questeur en 76, Cicéron usera du procès contre le propréteur de Sicile Verrès, accusé de débauche et détournements multiples sur l’île, pour accroitre sa reconnaissance. Lui qui avait développé sur l’île des relations fortes avec plusieurs édiles, est chargé de mener l’accusation contre Verrès. Le procès est ouvert en 70 et, en manipulant la procédure, Cicéron parvient à retourner la démarche en sa faveur. Poursuivant ses actes précédents il fait paraître un discours fictif contre Verrès où, subtilement, il se pose en défenseur de la République. Condamner Verrès revient à protéger le prestige du Sénat tout en adoptant le langage des opposants à ce dernier. Cette posture morale, ses discours posés sa grande qualité oratoire marque le style de Cicéron.

La gloire du cursus honorum

Cicéron poursuit son cursus honorum : il devient édile en 69 et prêteur en 66. Cicéron multiplie les acquisitions immobilières alors, ayant hérité de la fortune de son père mort en 68. Il s’attache alors à soutenir Pompée en faisant voter des pouvoirs étendus à ce dernier. Poursuivant son cursus de manière exemplaire, Cicéron devient consul en 64. Il est le premier homo nuovo à ce poste depuis un quart de siècle.

Mais rapidement les tensions apparaissent avec les soutiens de Catilina, candidat au consulat malheureux, que sont Crassus et César. Cicéron manœuvre pour parvenir à maintenir la concorde entre le Sénat et les positions des populares défendus par Crassus et Césars. Les tensions ne cessent de croître et finissent par déboucher sur la conjuration de Catilina à la suite du nouvel échec de ce dernier aux élections consulaires de 63. Mise en déroute après les rappels insistants de Cicéron et ses célèbres Catilinaires le consul en fin de mandat est célébré comme « Père de la patrie ». Il plaide pour l’exécution immédiate des conjurés sans procès, ce qui est normalement interdit, en raison de l’état d’urgence. Ce faisant il s’attire les foudres des populares  pour avoir enfreint la loi.

Le rejet

Cette accusation va poursuivre Cicéron dans la décennie qui suit. Peu à peu il est isolé du Sénat et la loi du tribun Clodius, condamnant toute personne ayant mis à mort sans jugement un citoyen, le frappe. Cicéron fuit en Thessalonique, déchu de sa citoyenneté et de ses propriétés. Seul il devient mélancolique,  abandonné de tous. Rappelé finalement en 57 à Rome, Cicéron revient triomphal et se rapproche alors de Pompée, un allié de César et Crassus, d’anciens adversaires politiques. Cicéron finit alors par céder à ce qu’il appelait quelques années auparavant « le monstre à trois têtes » : le triumvirat César–Crassus–Pompée. Ce retournement est le fruit de l’isolement qu’il ne peut plus alors supporter, doublé de son mépris pour les sénateurs qui l’avaient rejeté face à Clodius. Faute de pouvoir agir, Cicéron se tourne vers l’écrit et la philosophie.

L’oeuvre riche du philosophe

À partir de 56, Cicéron se consacre à l’écriture entière. De cette période naîtront les deux grands traités que sont « Sur la République » et « Sur les lois » qui viennent compléter le triptyque formé avec « Sur l’orateur ». Cicéron veut trouver le mode de gouvernement le plus stable. Les écrits ne révolutionnent pas la vie politique mais posent les bases d’une formation, rhétorique notamment, qui perdurera dans les siècles qui suivront. Il réaffirme notamment le besoin d’appuyer la loi sur la raison. Le droit positif doit s’appuyer sur des principes supérieurs qui peuvent nous amener à dépasser le cadre légal selon les circonstances.

Les derniers combats

Après son mandat de gouverneur en Cilicie, Cicéron rentre à Rome au moment où débute la guerre civile entre César et Pompée. Rallié dans un premier temps à ce dernier après avoir hésité, Cicéron regagne l’Italie et obtient le pardon de César. Les deux hommes, très opposés par le passé, se respectent et s’admirent néanmoins. La guerre civile terminée Cicéron consacre son temps à la réflexion philosophique, se retirant de l’espace politique pendant la dictature césarienne.

Le complot contre César le replace sur le champ politique. Essayant de concilier les césariens et les libérateurs, Cicéron se rapproche tour à tour des césariens modérés et d’Octave qu’il veut manipuler. Sans savoir que ce dernier comprend la politique menée et perçoit le jeu du vieux sénateur. Cicéron devient alors le chef du parti sénatorial, celui qui lutte contre Antoine. Loin de la conciliation qui avait pu l’animer par le passé, Cicéron plaide pour l’intransigeance : il faut éliminer Antoine. Il laisse trace de ses discours enflammés contre ce dernier dans ses célèbres Philippiques.

Cicéron espère que, par des actes dictés par la raison et la nécessité, il pourra redresser la République, c’est l’inverse qu’il advient néanmoins. Octave se détourne de Cicéron et se rapproche d’Antoine et du général Lépide. Ils forment un nouveau triumvirat et font assassiner le philosophe le 7 décembre 43.

 

Une courte biographie qui offre une bonne introduction à la vie du sénateur et son impact dans les dernières décennies de la République romaine.