« Climat et histoire », XVIe-XIXe siècle »

 

Le climat, notion fluctuante

Ce n°57 de la RHMC est consacré à un thème pour lequel la référence première reste pour beaucoup l’Histoire du climat depuis l’an milEmmanuel Le Roy Ladurie, Histoire du climat depuis l’an mil, Flammarion, 1967.. Le numéro est coordonné par Emmanuel GarnierInstitut universitaire de France, Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CEA-UVSQ-IPSL), Centre de recherche d’histoire quantitative (UMR 6583), Université de Caen. qui introduit la question avec « Climat et histoire au XXe siècle. Fausses science ou nouvelle frontière ? Le climat dans son histoire ». Rappelant le travail pionnier d’Emmanuel Le Roy Ladurie, Emmanuel Garnier souligne que cette œuvre novatrice n’a guère fait d’émules. L’essentiel a été écrit ailleurs, alors que la recherche française était laissée en jachère, le climat restant confiné au statut d’annexe d’une histoire rurale. Le terme « climat » pose problème : la notion n’existe pas avant le XVIIIe siècle et le concept a évolué dans le temps.  L’étude du climat inclut aujourd’hui les désastres, la vulnérabilité aux risques, le discours sur la question et les réseaux de diffusion de ce type de savoir. Ainsi, dans « Duhamel du Monceau, anthropologue », Jérémy Desarthe Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CEA-UVSQ-IPSL), Centre de recherche d’histoire quantitative (UMR 6583), Université de Caen. montre comment un savant connu pour son apport à l’agriculture fut aussi le pionnier d’une météorologie fondée sur 40 ans d’observation. Au delà de la science, Jérémy Desarthe explique comment du Monceau bénéficie de l’appui des frères Jussieu et s’impose auprès de Maurepas. L’analyse met en évidence les réseaux scientifiques français et européens qui s’intéressent au climat au XVIIIe siècle.

Vendanges, prières publiques et petit âge glaciaire

On pouvait se douter que les journaux privés étaient au nombre des sources. Nous connaissons tous déjà le sire de GoubervilleSur Gilles de Gouberville : Madeleine Foisil, Le Sire de Gouberville : un gentilhomme normand au XVIe siècle, Flammarion, 1986. pour son utilité à l’étude de la noblesse ou de la France rurale. Emmanuel Garnier nous apprend qu’il constitue aussi aussi une des meilleures sources sur le climat. De tels documents peuvent cependant être mal interprétés. Un ban de vendanges peut accréditer l’idée d’une détermination de la date fondées sur le climat. Or, des chercheurs ont rappelé le rôle du facteur anthropique dans la détermination des dates de récolte. Ainsi, pour les vendanges dans la région bisontine, plus que le climat, ce sont les dégâts des troupes de la guerre de Trente ans, qui expliquent les dates. L’utilisation des processions religieuses pour de meilleures récoltes (43% des processions) tend par ailleurs à sur-valoriser la période des beaux jours dans la connaissance du climat. Ces sources religieuses n’en sont encore qu’à leurs balbutiements et fournissent pour l’instant des résultats modestes mais le potentiel est prometteur, ce que montre Mariano Barriendos Departamento de Historia moderna, Universitat de Barcelona.(« Les variations climatiques dans la péninsule ibérique : l’indicateur des processions (XVIe-XVIXe siècles »). La survalorisation liée à la disponibilité des sources concerne aussi la connaissance du climat terrestre par rapport à celui des océans, comme l’explique Denis Wheeler Université de Sunderland, Faculté des sciences historiques et appliquées. (« Le climat de l’océan Atlantique selon les journaux de bord de la Marine britannique -XVIIe-XVIIIe ») à propos de l’étude des carottes de glace remontant au XVIIe siècle.
A travers une étude circonscrite à l’actuelle région TriRhena (« L’évolution climatique de la haute vallée du Rhin »), Paul Dostal Département des sciences de l’informatique, groupe de modélisation environnementale, EMG, Université de Mayence. et Katrin Bürger Supply Chain Management Institute, EBS University of Economy and Law, Wiesbaden. donnent la mesure de ce que fut le petit âge glaciaire. Leur reconstitution se fonde sur 4500 données historiques dont certaines remontent à 1483.

Gardes forestiers de Colbert et officiers de marine anglais

Emmanuel Garnier fournit d’autres exemples de sources : délibérations municipales, registres paroissiaux, journaux de curés, etc. Elle apparaissent corrélées au développement de l’État, ce qui fait de la France un pays mieux pourvu que d’autres. Les gardes-forestiers de Colbert ont leur part dans la fabrique de cette histoire.
Autre problème posé par les sources, l’élaboration de données quantitatives à partir de ressentis qui ne peuvent que différer selon les hommes, les régions d’origines et les époques. On peut cependant obtenir des résultats étonnants sur les températures. Ainsi, à partir des livres de navigation, obligatoires pour les Anglais depuis 1731, Denis Wheeler (loc. cit.) » démontre comment les expressions usuelles des marins peuvent donner jour à des données quantifiées.

Des enjeux contemporains et historiographiques

On l’aura deviné : le regain actuel pour l’histoire climatiqueOn note aussi la sortie d’un numéro 55-18 (2010) de l’International review of Social History présentant un dossier intitulé « Globalization, Environmental Change and Social History ». et la question des risques majeurs ne procède pas d’une curiosité gratuite. Au nombre des enjeux, il faut compter la question du réchauffement climatique, laquelle engendre une nouvelle demande pour une meilleure connaissance du passé. Les inondations récentes de la Tamise sont également à l’origine d’interrogations sur le rôle des aménagements dans la construction du risque. Expliquant la simultanéité entre l’éruption du Tambora (Indonésie) et les mauvaises récoltes de 1816, Emmanuel Garnier fait songer à la simultanéité et à la corrélation entre l’éruption, vers 1452-1453, du volcan Kuwae (proche des Iles Tonga) et les conséquences météorologiques à Pékin, au Caire, Londres ou Moscou, certaines de ses manifestations météorologiques figurant au nombre des mauvais présages annonciateurs de la chute imminente de Constantinople en 1453Patrick Boucheron (dir), Le monde au XVe siècle, Fayard, 2009.. Dans le cas du Tambora comme dans celui du Kuwae, le lecteur relèvera que simultanéité n’est pas contemporanéité. Les hommes de ces époques n’avaient pas connaissance des éruptions volcaniques lointaines qui pouvaient être à l’origine des malheurs des temps.

Venise : entre art et observations climatiques : une potentialité d’étude de cas

On connaît le rôle du zouave du pont de l’Alma dans la mesure du niveau des inondations parisiennes. Dario CamuffoConseil national des recherches, Institut des sciences de l’atmosphère et du climat, Padoue. (« Le niveau de la mer à Venise d’après l’œuvre picturale de Véronèse, Canaletto et Belloto ») nous enseigne quant à lui le rôle de la peinture en tant que source et le résultat est plus qu’étonnant. L’exemple qu’il développe se doit d’être intégré à une EDC de géographie sur Venise dans le cadre de l’étude des littoraux en seconde. Il démontre comment la connaissance de l’histoire peut s’intégrer à l’étude de la gestion des espaces terrestres. La curiosité stimulante des élèves de 6e permet également de confronter l’un des tableaux à une photographie contemporaine de Venise dans le cadre de l’étude d’un littoral touristique.

Du climat au bronzage et au «dénudement» des corps

Dans la rubrique « Lecture », Sylvain PattieuDocteur en histoire, EHESS.(«Plein soleil ou l’histoire du bronzage ») s’est intéressé aux ouvrages récents de Pascal OryL’invention du bronzage. Essai d’une histoire culturelle, Bruxelles, Complexe, 2008. et Christophe GrangerLes corps d’été, XXe siècle. Naissance d’une variation saisonnière, Autrement, 2009., consacrés au bronzage et au corps.

Il n’entre pas dans cette rubrique de détailler toutes les autres recensions, d’ailleurs signalées sur le site CAIRN référencé plus haut. On notera cependant un certain nombre d’ouvrages en rapport avec le climat, l’environnement, la pollution et l’énergie : Jan Golinski, British Weather and the Climate of Enlightenment, University of Chicago Press, 2007 ; Isabelle Parmentier, Histoire de l’environnement en Pays de Charleroi (1730-1830). Pollution et nuisances dans un paysage en voie d’industrialisation, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008 ; Geneviève Massard-Guilbaud, Histoire de la pollution industrielle. France (1789-1914), EHESS, 2010 ; Clay Mcshane, Joël A. Tarr, The Horse in the City. Living Machines in the Nineteenth Century, Baltimore, John Hopkins University Press, 2007 ; David Blackbourn, The Conquest of Nature. Water, Landscape, and the Making of Modern Germany, New York, Norton, 2006 ;
Bruce Podobnik, Global Energy Shifts. Fostering Sustainability in a Turbulent Age, Philadelphia, Temple University Press, 2005 / New Delhi, Teri Press, 2006 ; Amy Dahan Dalmedico (dir), Les modèles du futur. Changement climatique et scénarios économiques : enjeux scientifiques et politiques, La Découverte, 2007.

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