Des racines coloniales du racisme « à la française » est un petit dictionnaire des insultes racistes, comme l’indique le sous titre, écrit par Alain Ruscio un historien qui a consacré l’essentiel de son travail à la colonisation française et à la guerre d’Indochine. Trente sept insultes d’origine coloniale exclusivement sont répertoriées et analysées depuis « arabe » jusqu’à « Viet(s) » en passant par « bicot », « fellagha », « négro », « melon », « salopard » etc. … mais aussi « beur » et « beurette » associés à l’aventure SOS racisme et son fameux slogan « touche pas à mon pote » aux relents paternalistes. Des insultes diverses. Certaines sont des mots communs comme chien, melon, chocolat. D’autres sont des mots couramment employés par les populations colonisées « Fatma », « congaï » et dévoyés. Beaucoup évoquent la couleur de peau : « bicot », « jaune », « nègre », « mal blanchi »…
Désigner l’Autre, le nommer
Choisir des expressions ridicules et les attribuer aux esclaves et aux indigènes colonisés comme identité. Le fameux « Fête Nat' » parait bien mignon tout à coup, comparé à « Kracha », « Mouchemouche », « Kehlessenane » (dents noires) cités par l’auteur (p 15). Utiliser un vocabulaire varié pour désigner l’autre dans les colonies ou en métropole, pour rire à ses dépens, méprisants, au temps des colonies et maintenant: « krouille », « bicot »
Des mots couramment, naturellement employés, répétés au masculin et au féminin (jugé plus abject d’ailleurs par l’auteur : « bougnoulette », « bamboulette ») mais des mots néanmoins injurieux et perçus comme tels par certains. Parmi eux, de hauts fonctionnaires qui s’en inquiètent au nom de l’intérêt supérieur du système : ils compromettent la colonisation . « Des mots qui sèment l’incendie » (p19) .
Des Français de France aussi sont choqués : ils ne comprennent pas que ces insultes ne sont pas méchantes, que c’est pour rire, une « bourrade sympathique » et que la réciprocité existe donc ce n’est pas grave. Enfin, ces insultes sont perçues comme telles par les insultés, ceux qui comprennent le français, les « évolués » comme Ferhat Abbas ou Ho Chi Minh , et elles leur sont insupportables.
Les insultes d’origine coloniale ont survécu à la décolonisation. Elles sont devenues des délits mais elles perdurent ainsi que le racisme enveloppé dans des mots présentables d’où pour Alain Ruscio l’intérêt de la recherche des racines coloniales du mal.
Après cette introduction, l’auteur, pour chaque mot, rappelle son origine, sa ou ses signification(s), le glissement vers l’insulte. Il cite des auteurs qui les ont employés, il évoque des faits divers y ayant trait jusqu’à nous (2017) … nous permettant ainsi de mieux connaitre la société coloniale, post coloniale et le racisme à la française.
Parmi les insultes étudiées nous avons choisi comme exemple « arabe » et « bamboula » parce que ce sont les deux premières de ce dictionnaire.
Arabe : le nom d’un peuple à l’origine d’une brillante civilisation est un mot teinté de mépris, de méfiance. Insultant et ce bien avant, comme on le pense souvent, la colonisation et la guerre d’Algérie. L’auteur perçoit déjà ce sentiment au moyen âge, dans la Chanson de Roland. Les Arabes sont tour à tour au fil du temps des félons et des lâches, des usuriers , « des voleurs prodigieusement supérieurs aux voleurs juifs » pour Voltaire esprit des Lumières (p68)… Des griefs antérieurs à la colonisation mais que celle ci accentue déniant l’influence civilisatrice de ce peuple vaincu. Les grands auteurs et savants ne sont plus que des étrangers islamisés. Ils n’ont que traduit et compilé les auteurs grecs ou syriaques.
Bref, ils n’ont aucun génie et sont, si on en croit certains auteurs de la fin du dix neuvième siècle, voués à la disparition. Mépris et rejet qui rejaillissent sur les immigrés d’autant plus que leur nombre augmente et Jean Giraudoux de penser par exemple, que ces représentants de race primitive, par leur médiocrité vont rabaisser le standard de vie et la valeur technique de la classe ouvrière française en 1937 ! (p30). Fanatique, querelleur… l’Arabe inspire l’antipathie bien plus que les autres minorités, les autres immigrés. L’Arabe c’est l’Immigré, l’Étranger pour nombre de Français, les sondages l’attestent dans les années 1980, avant donc le nouveau choc des civilisations du 11 septembre 2001.
Bamboula : Ce mot entre dans la langue française à partir de 1688. Il désigne alors une danse, une fête et par un glissement aisé à imaginer et devient une des appellations répandues des hommes noirs dans la littérature, les spectacles notamment à destination des enfants … C’est le nom que l’on donne aussi d’ailleurs parfois à l’occasion à des singes. Bamboula ce sont aussi des confiseries et de petits gâteaux au chocolat encore vendus sous ce nom jusqu’en 2014. Bamboula c’est une insulte bien sûr en 2017 un policier sera désavoué par son syndicat et condamné par son ministre de tutelle pour l’avoir employée… bien que selon certain cela reste convenable et que pour d’autre ce soit plus affectueux que raciste.