Album répertoriant l’oeuvre artistique du dessinateur alsacien Hansi.
Il est deux façons d’aborder l’oeuvre de Hansi. La plus conforme à la sensibilité contemporaine, acquise aux vertus d’un présentéisme irénique et multiculturel, serait sans doute de faire le procès sans nuance de l’univers artificiel et désuet dessiné par ce fabricant de clichés régionalistes, nourri d’un insupportable esprit cocardier. La seconde approche, plus bienveillante, convie à se laisser porter par la fraîcheur et la délicatesse du trait d’un artiste à la créativité féconde, intimement enracinée dans une forte culture locale dont le charme n’est pas cantonné aux seuls enfants, amoureux et amis de l’Alsace.

Devenu célèbre dès les premières années du XXe siècle sous le pseudonyme artistique de Hansi, le dessinateur Jean-Jacques Waltz (1873-1951) est resté une des incarnations les plus connues de l’identité traditionnelle alsacienne. Sa renommée de caricaturiste, enracinée dans un engagement patriotique fervent, a eu pour contrecoup réducteur de minorer la diversité des talents de cet artiste malicieux. Fils d’un boucher lettré, cet enfant de Colmar amoureux de la France se définissait d’ailleurs lui-même, avec une orgueilleuse humilité, comme «imagier-héraldiste». C’est à toute la palette de sa créativité et à la riche variété de son inspiration que rend justice ce beau livre au prix doux et d’une composition très soignée, répertoriant un impressionnant corpus de 1500 images. Sa réédition est enrichie par l’adjonction d’un DVD documentaire de 52 mn, diffusé sur France-Alsace, qui réévalue avec mesure l’aura de l’artiste.

Le Hansi le plus connu du grand public est assurément celui qui s’est mué en grand ponte de l’«image d’Épinal» alsacienne et patriotique. Porte-voix de l’irrédentisme alsacien réfractaire à l’entreprise pangermaniste, puis adversaire des tendances autonomistes de l’entre-deux-guerres, Hansi idéalise le lien de filiation entre l’Alsace et la France. Opposant la rudesse germanique à la fantaisie latine, ce satiriste politique rieur et inspiré est un virtuose de la caricature polémique débonnaire, dont sa très célèbre composition sur L’affaire de Saverne, friandise acidulée d’une inépuisable fraîcheur humoristique, demeure l’exemplaire illustration. Ses caricatures anti-allemandes sont peuplées d’un antipathique bestiaire germanique, tandis que la gaieté de ses pioupious français est exempte de toute souffrance de la guerre. Mais ce Hansi engagé en occulte deux autres, tout aussi intéressants et attachants. Le deuxième Hansi est un chantre affectueux de l’Alsace intemporelle, de ses paysages caractéristiques, ses architectures typiques, et ses costumes traditionnels. Plus inattendu assurément, le troisième Hansi est un créateur publicitaire inventif et prolifique, très apprécié des établissements dont il bonifie l’image, à l’exemple des Potasses d’Alsace dont il conçoit la célèbre et emblématique cigogne.

Le bel album des éditions de la Nuée bleue permet de découvrir pleinement ces différents Hansi. Complété par un album photo de portraits de l’artiste et un abécédaire thématique des différentes facettes biographiques et artistiques de Hansi par Benoît Bruant, ce catalogue d’une grande fraîcheur compose une joyeuse «Hansi… clopédie», impressionnante par la diversité et la créativité de son contenuSeule petite frustration à déplorer, le format trop réduit de certaines vignettes animées empêche d’en goûter pleinement les détails.. Le découpage adopté est très pédagogique, chaque type de production étant précédé d’une présentation technique et d’un panorama de la production de Hansi dans ce domaine. Les œuvres militantes et engagées voisinent avec les réalisations graphiques d’ordre utilitaire, sans différence de qualité perceptible entre les sujets d’inspiration et les travaux de commande. La multiplicité inattendue des supports est un autre motif d’émerveillement. Certes, le papier est roi : 300 cartes postales et 100 ex-libris s’ajoutent à une nuée d’illustrations pour des livres, porte-folios, livres d’art, programmes et brochures, lithographies, eaux-fortes, aquarelles, dessins, menus, publicités (étiquettes de bouteilles et de boites, calendriers, affiches, logos, etc.), cartes de voeux, cartes de visite, ou encore faire-parts. Mais d’autres matériaux ont aussi prêté leurs formes aux produits dérivés issus de l’inspiration du créateur alsacien : médailles commémoratives, enseignes de magasins, nappes, services de table, motifs de vaisselles, jouets, mobilier d’enfants…

La palette thématique des sujets est plus diversifiée qu’on ne l’imaginerait. L’imagerie régionaliste, dont Hansi fixe la grammaire symbolique, ainsi que sa veine patriotique voire « bochophobe » sont évidemment très présentes dans sa production, mais sans en épuiser toute la saveur. S’y adjoignent également des sujets d’actualité variés, locaux ou internationaux, des événements familiaux divers, des paysages pittoresques de l’Alsace et des Vosges, des autoportraits et des représentations héraldiques. L’ensemble exprime un univers d’une grande cohérence et d’une forte unité, vibrant d’un amour charnel pour les gens et les lieux de son Alsace idéale. Avec le recul du temps, le pittoresque de cette imagerie devenue un des piliers de l’identité culturelle de la région prend une authentique épaisseur ethnographique.

Mais le charme le plus puissant de ce riche bouquet d’images résulte évidemment de son élégance artistique, vibrante de tendresse et de couleurs. Imagier soigneux à la plume fine, jouant de couleurs vives et tendres, Hansi possède un style affirmé, à la fois affectueux et précis, minutieux et naïf, qui fait converger dans un imaginaire romanesque et souriant la précision de la miniature médiévale et les intuitions de la «ligne claire» chère à Hergé. Ce bel hommage visuel, qui récapitule l’œuvre d’une vie d’artiste fécondée par l’expression d’une forte identité régionale, offre donc au lecteur l’opportunité d’une promenade enchantée et un peu enfantine. Tout Hansi est là, haut en mots comme en couleurs, et la vitalité intacte de ses «Poulbots d’Alsace» mérite bel et bien d’être encore admirée et célébrée.

© Guillaume Lévêque