Tome 2 : Le triomphe de la virilité. Le XIXe siècle, Paris, Seuil, 2011, 504 pages.
La publication de cette Histoire de la virilité a été un des évènements éditoriaux de l’automne 2011. Elle a bénéficié d’une large couverture médiatique : compte-rendus dans les journaux, dans les magazines comme Sciences Humaines ou L’Histoire, émissions sur France Culture…
Rarement il est vrai les historiens n’auront autant donné le sentiment d’interroger le passé à travers les interrogations du présent. L’évolution, la crise de l’identité masculine, comme le suggère le titre du troisième volume de la série, avec un prudent point
d’interrogation tout de même, travaillent de façon suffisamment évidente nos sociétés pour qu’il ne soit pas besoin d’insister. Cette publication trouve cependant une autre justification ou en tout cas une autre source d’inspiration : elle résulte de l’introduction en France et dans les sciences historiques des Gender Studies.
Celles-ci ont inspiré d’abord l’histoire des femmes dès les années 1970 ; l’utilisation du mot « genre » lui-même est plus tardive : elle date seulement des années 2000. 1 ZANCARINI-FOURNEL Michelle, « Histoires des femmes, histoire du genre », dans DELACROIX C., DOSSE F., GARCIA P.,
Elle est concomitante à l’application de la notion au premier sexe, pour reprendre le titre d’un des livres d’André Rauch RAUCH André, Le Premier Sexe. Mutations et Crise de l’identité masculine, Paris, Hachette, 2000, 297 pages., ou, pour dire les choses autrement, à l’apparition d’une histoire des hommes. En effet, cela fait grosso modo une dizaine d’années que la question de la virilité et de l’identité masculine a émergé dans le champ historiographique français. A cet égard, la publication, en 1999, de la traduction de l’ouvrage fondateur de George L. Mosse, L’image de l’homme. L’invention de la virilité moderne MOSSE George L., L’image de l’homme. L’invention de la virilité moderne, Paris, Pocket, 1999, 250 pages, est sans doute un bon repère. Virilité, masculinité, héroïsme. Dans l’introduction de ce deuxième volume, Alain Corbin reprend et précise ce qu’il faut entendre par virilité en la distinguant notamment de la masculinité : « C’est pourquoi virilité n’est pas synonyme de masculinité. Elle ne se définit pas seulement par opposition à la féminité. Bien des individus présentent un
manque de virilité sans que l’on songe à remettre en cause leur « masculinité », terme que les dictionnaires du temps oublient presque et qui, alors, ne relève pas du langage commun. Celui qui hésite à se lancer à l’assaut le jour du combat, celui qui choisit d’engager un remplaçant parce qu’il a tiré lors du conseil de révision, celui qui
n’a pas su sauver son semblable au péril de sa vie, en bref celui qui n’a pas l’étoffe d’un héros, celui qui ne fait pas preuve d’ambition, celui qui demeure insensible à l’illustration, au prestige de la décoration, celui qui ignore l’émulation parce qu’il ne recherche pas la supériorité, celui qui sait mal maîtriser ses émotions, celui dont la
parole et le style d’écriture manquent de fermeté, celui qui refuse les avances des femmes, celui qui coïte sans ardeur, celui qui refuse la débauche en groupe, tous ceux-là manquent de virilité mais leur masculinité ne saurait, pour autant, être contestée. » (pages 9-10). D’une certaine façon, l’histoire de la virilité se confondrait donc avec celle de l’héroïsme.
Les auteurs du tome 2 de L’Histoire de la virilité montrent en tout cas que le XIXe siècle marquent l’apogée du modèle occidental de la virilité et donc d’une certaine forme d’héroïsme ce qui
justifie le titre : « Triomphe de la virilité ». Cette démonstration est menée principalement à partir du cas français même si certains chapitres évoquent aussi d’autres pays européens dans une perspective comparatiste.
Inculcation, incarnation et fardeau de la virilité
Le plan suivi est thématique. Il comprend six parties et reflète me semble-t-il un raisonnement ternaire :
il s’agit d’abord de montrer comment les hommes du XIXe siècle définissent explicitement la virilité et comment ils cherchent à l’enseigner aux garçons entre l’enfance et la fin de l’adolescence (« La virilité reconsidérée au prisme du naturalisme », « Le code de virilité : instances et procédures de l’inculcation »), puis de décrire les différentes incarnations sociales de la virilité (« Occasions privilégiées et l’exhibition de la virilité », « Modulations sociales des figures de la virilité », « Les théâtres lointains de l’exercice de la virilité »)
et enfin de montrer les limites de la « virilisation » de la société (« Le fardeau de la virilité »). Bien des hommes ne parviennent pas à être des héros, à se montrer à la hauteur : pour eux, pour la plupart des hommes sans doute, la virilité reste une vertu en grande partie inaccessible mais qu’il faudrait pourtant posséder pour être
véritablement un homme autrement dit pour exister pleinement. C’est pourquoi elle devient un « fardeau » (A.Corbin).
Angoisse de l’efféminement et nécessaire reconnaissance de ses pairs
De 1789 à 1914, on est homme par opposition absolue à la femme, d’où la crainte de l’efféminement qui s’empare de tous ceux qui s’écartent des exigences de la virilité, ou l’accusation d’efféminement qui inévitablement pèsera sur eux : c’est le cas en particulier des homosexuels, mais aussi des prêtres catholiques, auxquels Paul Airiau consacre un chapitre, des hommes des peuples colonisés qui sont évoqués par Christelle Taraudet dans un chapitre intitulé « La virilité en situation coloniale » : « Réduire les « indigènes », les désarmer, les déviriliser et les domestiquer devient dès lors l’un des ressorts évidents d’une domination qui prend aussi racine dans leur commune efféminisation. » (page 342). S’agissant des homosexuels, dans un
chapitre intitulé « Homosexualité et virilité », Régis Revenin montre que c’est précisément au XIXe siècle qu’émerge et s’affirme « la confusion entre efféminement et homosexualité masculine » (page 374), cette confusion étant développée en particulier par les médecins. La phobie de l’efféminement rejoint par ailleurs une
crainte qui traverse tout le XIXe siècle et qui s’accentue après 1870 : celle de la dégénérescence que l’on retrouve dans presque tous les chapitres du livre. Celle-ci est en effet d’abord la peur de la dégénérescence des
hommes. On est homme aussi par comparaison avec ses semblables qui peuvent mieux que soi se rapprocher du modèle de la virilité en un siècle où l’ « entre-soi masculin » (A. Corbin) règne sur la vie quotidienne des hommes, au travail comme dans les loisirs. Cela se vérifie particulièrement à l’armée où le soldat incarne plus encore que par le passé la virilité. Que le « guerrier » soit l’homme viril par excellence n’est pas une nouveauté ; en revanche, la Révolution a ouvert l’ère du citoyen soldat. Le passage par l’armée devient nécessaire pour posséder son « brevet de virilité » (Jean-Paul Bertaud), phénomène qui s’accomplit pleinement avec l’instauration du service militaire universel sous la IIIe république.
L’importance du duel, l’émergence du sport, l’obsession des performances sexuelles et le comportement de certains ouvriers4 montrent que la domination masculine ne s’exerce pas qu’à l’égard des femmes mais aussi des hommes. Dans tous les milieux sociaux, les
occasions de défi, les provocations ne manquent pas et constituent à certains égards un passage nécessaire pour Voir chapitres sur « Le duel et la défense de l’honneur viril », sur « La nécessaire manifestation de l’énergie sexuelle », sur les « Virilités ouvrières » et le « défi sportif et l’expérience de la virilité » rédigés respectivement par François Guillet, Alain Corbin, Michel Pigenet et André Rauch. accéder à la virilité. On ne saurait mieux le dire qu’André Rauch dans l’introduction de son chapitre intitulé « Le défi sportif et l’expérience de la virilité » : « Pour prétendre à l’honneur, la bravoure suppose la bravade, cette disponibilité au risque, qu’accompagne le sentiment de supériorité sur autrui. Dans l’affrontement, le combat ou le défi, un homme tire la sève qui lui permet de faire l’expérience de sa virilité ; c’est là qu’il éprouve sa force, son courage et qu’il découvre sa maîtrise des moyens de détruire. Le défi : voilà le signe de l’excellence virile. »(pages 255-256).
Dans un autre domaine, « Le besoin de foutre est considéré, dans l’entre-soi masculin, comme un constituant essentiel de la virilité. Il justifie l’audace et la salacité des conduites » (A. Corbin, page 126). Il faut dès lors faire connaître à ses semblables ces conduites, si ceux-ci n’en sont pas directement témoins, et A. Corbin montre, notamment, la place qu’occupe l’évocation de la vie sexuelle dans la correspondance de quelques grands écrivains : « Une très grande place est faite, au fil des correspondances, aux récits des
victoires, à l’énumération des femmes « ayables » comme des femmes « eues », pour adopter le vocabulaire de Stendhal, ainsi qu’à la description de l’audace des caresses qui ont permis d’emporter l’affaire ; ces récits sont presque toujours accompagnés de la description du comportement de la partenaire, de ses qualités sensuelles ou de son éventuelle et regrettable atonie ; appréciations modulées selon les catégories de femmes. » (page 132).
Et une riche iconographie
Ce deuxième volume de L’Histoire de la virilité est donc tout aussi riche que le premier, d’autant plus que lorsque c’est nécessaire, comme dans le premier tome, les illustrations, accompagnées d’un rapide commentaire, complètent avec bonheur le texte. Une photographie d’une course de rouleurs de tonneaux prise à Paris en 1910 vient par exemple renforcer le texte d’A. Rauch déjà évoqué : « Le défi fait de ces hommes les héros d’une corporation venue en nombre assister à l’épreuve. Rouler un tonneau, c’est leur métier de tous les jours ; mais faire la course, le défi d’un jour. De l’une à l’autre de ces réalités sociales, la valeur d’usage gagne une fonction symbolique. » On regrettera seulement que l’éditeur ait fait le choix de regrouper ces illustrations dans des cahiers séparés plutôt que de les insérer au fil du texte.
CORBIN Alain, COURTINE Jean-Jacques, VIGARELLO Georges (sous la direction de)
L’invention de la virilité. De l’Antiquité aux Lumières
Tome 1 Seuil, 2011, 588 pages.
http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3775