Exilé dans son enfance pour fuir Cromwell, déposé par son gendre Guillaume d’Orange en 1688, Jacques II d’Angleterre fait incontestablement partie des grands vaincus de l’histoire. Pourtant, la biographie que lui consacre Nathalie Genet-Rouffiac, dans la nouvelle collection « Portraits » chez Belin, montre qu’il se situe à un moment charnière de la modernité anglaise, britannique et européenne.

Prince exilé

Fils de Charles Ier et d’Henriette-Marie (fille d’Henri IV), frère cadet du futur Charles II, Jacques est né en 1633 dans un royaume divisé par de profondes tensions religieuses et politiques. Son père, anglican, tente de restreindre les droits du parlement et pourchasse les puritains et les non-conformistes. Ce faisant, il provoque une guerre civile qui aboutit à la victoire des Parlementaires et de Cromwell. Jacques, fait duc d’York, n’assiste toutefois pas à l’exécution de son père en 1649 puisqu’il a gagné la Hollande puis Saint-Germain en Laye. Malgré les tensions qui divisent la famille, Jacques témoigne toujours envers son aîné une grande fidélité.

Traumatisé par la fin de Charles Ier, Jacques se convainc que la fermeté est le seul choix politique acceptable et que les opposants de son père étaient mus par un républicanisme intransigeant : il ne perçoit pas la vigueur des tensions religieuses et refuse les accommodements qu’il interprète comme des capitulations funestes.
En exil comme plus tard sur le trône, Jacques est partagé entre sa proximité « naturelle » avec les royalistes très attachés à l’Église d’Angleterre et la tentation d’une alliance avec les minorités religieuses, non-conformistes et catholiques. Jacques s’engage dans l’armée française, où il s’avère rapidement un excellent meneur d’hommes sous le commandement de Turenne. Mais le jeu de bascule diplomatique de la France, qui durera toute la vie de Jacques, le contraint à passer au service de l’Espagne.

Le frère du roi

En 1660, Charles devient roi. Jacques exerce enfin les fonctions de Grand Amiral, un titre jusque là honorifique. Il réorganise en profondeur la marine, avec l’aide du diariste Samuel Pepys, et met en place un commandement spécifique à la Navy et bien formé. Jacques crée également la Compagnie royale d’Afrique qui transporte des dizaines de milliers d’esclaves en Amérique. En 1664, des navires anglais s’approchent de l’embouchure de l’Hudson et obtiennent des Hollandais qui y demeurent la cession de la Nouvelle Amsterdam, rebaptisée New York en l’honneur de Jacques.

Les années passent et Charles II n’a pas d’héritier légitime. D’aucuns le pressent de légitimer son bâtard préféré, le duc de Monmouth, mais il s’y est toujours opposé. Jacques est donc l’héritier et successeur, malgré l’opposition d’une fraction importante de la population.

En 1672, Charles obtient l’appui de Louis XIV pour mener la guerre contre la Hollande mais la flotte anglaise ne parvient pas à prendre le contrôle de la mer et en août Guillaume d’Orange fait ouvrir les digues et met un terme à l’avance de l’armée française. Il devient stathouder et s’impose sur la scène européenne. Cette guerre attise en Angleterre un conflit latent : Charles, comme Jacques, s’est rapproché du catholicisme, et a suscité l’opposition du Parlement en déclarant la guerre à la Hollande. En mars 1673, le Parlement impose le Test Act, un serment niant la transsubstantiation, aux détenteurs d’offices publics, afin d’écarter les catholiques. Jacques refuse absolument de s’y soumettre, comme son frère l’y invite, et se démet de sa charge de Grand Amiral. Pour lui, il est en effet inconcevable de transiger avec sa religion. Cette attitude, déconseillée aussi bien par Louis XIV que par le pape, renforce l’antipapisme bien ancré dans la société anglaise et le rejet de Jacques par l’opinion publique. Un faux complot catholique, « découvert » en 1678, provoque un déchaînement d’hystérie et l’exécution de plusieurs innocents. La tension entre les whigs, partisans du Parlement et proches des non-conformistes, et les tories, défenseurs du roi et de l’Église anglicane – qui ont souvent des difficultés à concilier ces deux fidélités – se cristallise autour de la crise de l’Exclusion, lorsque ses opposants échouent à exclure Jacques de la succession. La découverte d’une conspiration, réelle, ourdie par les whigs, renforce considérablement le pouvoir de Charles en 1683. Surtout, le souvenir de la guerre civile demeure très prégnant et les Anglais ne souhaitent pas revivre un tel drame, ce qui explique qu’à la mort de Charles, le 6 février 1685, Jacques lui succède finalement sans heurt.

Le Roi

Jacques peut enfin, croit-il, imposer sa conception de l’autorité. Il désire plus que tout supprimer le Test Act et permettre aux catholiques d’exercer librement leur religion. Il est convaincu qu’une fois la liberté de conversion octroyée, les individus se convertiront comme lui au catholicisme. Jacques est donc un authentique partisan de la liberté religieuse, ce qui explique qu’il ait toujours été proche du quaker William Penn, le fondateur de la Pennsylvanie.
Cependant, il ne dispose d’aucun appui politique dans le pays : les tories sur lesquels il s’appuie d’abord, sont favorables à son autorité mais veulent surtout défendre la prééminence de l’Église anglicane, les whigs vers lesquels il se tourne ensuite veulent restaurer le pouvoir du Parlement, alors que Jacques considère qu’il a le droit de conserver auprès de lui les catholiques qu’il souhaite. S’ajoutent à ces tensions internes l’affrontement entre Louis XIV et Guillaume d’Orange, entre lesquels Jacques se trouvé ballotté.
Un souverain plus « politique » aurait peut-être réussi à surmonter ces oppositions, mais Jacques se montre incapable de flexibilité et ne saisit jamais l’état de l’opinion publique, que Guillaume d’Orange « travaille », en promettant la tolérance pour les dissidents et le maintien du Test Act (les catholiques ne représentant qu’une infime minorité). Lorsque Marie de Modène, seconde épouse de Jacques, met au monde un fils, Jacques-Édouard, en juin 1688, l’affrontement devient inévitable, mais le roi refuse encore de le comprendre.

L’exilé

Le 5 novembre, profitant de vents favorables, la flotte hollandaise débarque à Torbay, au sud-ouest de l’Angleterre. En quelques semaines, les soutiens de Jacques II l’abandonnent et il ne lui reste plus que la fuite vers la France. Il retrouve Saint-Germain, où il bénéficie de l’hospitalité de Louis XIV, qui lui rend de fréquentes visites et lui offre un soutien financier mais aussi militaire, qui lui permet de débarquer en Irlande l’année suivante. Le catholicisme de Jacques aurait pu lui permettre de s’y établir durablement, à condition de renoncer à l’Angleterre et à l’Écosse, mais il refuse absolument d’envisager cette solution et, au bout de quelques mois, reperd tout le terrain gagné. Les autres tentatives n’ont elles non plus aucun succès. Le 16 septembre 1701, Jacques meurt. Louis XIV reconnaît immédiatement son fils comme roi, alors même qu’il a signé un traité avec Guillaume d’Orange en 1697.

Le règne de Jacques II marque donc bien un tournant dans l’histoire anglaise : plus retors et labile, il aurait sans doute réussi à imposer une conception sinon absolutiste, du moins plus étendue du pouvoir royal. Son échec entraîne la proclamation du Bill of Rights et le maintien des discriminations contre les catholiques, qui ne sont levées qu’en 1829.

Dépourvue de note, centrée sur le personnage et parvenant à rendre compréhensible le contexte sans être trop longue ou ennuyeuse, cette biographie parvient à nous faire bien ressentir la complexité de cette période et ses enjeux.

© Yann Coz