Le but de l’ouvrage est de rendre hommage à Hélène Vérin qui, par ses travaux, a eu un rôle fondamental dans la compréhension de l’intelligence technique à l’époque moderne.

L’ouvrage se place dans la présentation de nouvelles recherches qui approfondissent la thématique des ingénieurs sous un angle nouveau. Il ne s’agit plus de poursuivre des études déjà établies sur leurs méthodes et leurs instruments de travail mais d’analyser la professionnalisation de l’ingénieur qui interagit avec d’autres porteurs de savoirs, au gré des mobilités sociales et géographiques, causées par les demandes princières, les recherches de patronage, la construction d’un habitus professionnel du voyage ou encore le transfert de modèles éducatifs. L’ouvrage étudie donc différents lieux de savoir tels que les chantiers, les mines, les arsenaux, les jardins princiers alors considérés comme des trading zones.

Les auteurs proposent d’examiner des itinéraires d’ingénieurs à travers les formations, les configurations nationales, les conditions d’exercices du métier et la mise en œuvre des savoirs. Ceci, en lien avec la question d’histoire moderne des concours du CAPES et de l’Agrégation.

 

Les trois directeurs de l’ouvrage sont :
– Stéphane Blond : maître de conférence en histoire moderne à l’université d’Evry-Val d’Essonne-Paris Saclay, et membre du laboratoire IDHES.S Evry
– Liliane Hilaire-Pérez : professeure d’histoire moderne à l’université Paris Diderot-Paris 7, et directrice d’études à l’EHESS (centre Koyré)
– Michèle Virol : professeure d’histoire moderne à l’université de Rouen-Normandie

Le livre est découpé en trois parties. La première concerne les figures de l’ingénieur et plus particulièrement leurs identités mobiles et multiples. La seconde partie traite des savoirs des ingénieurs, et se questionne si leur intelligence est collective. La dernière partie concerne l’institutionnalisation des ingénieurs, leurs missions et formations.

Ces trois parties sont précédées d’une préface écrite par Pascal Brioist pour rendre hommage à Hélène Vérin et d’une introduction. La préface rappelle l’apport des travaux d’Hélène Vérin dans l’étude des sciences et des techniques, notamment de sa mise en lumière de la réduction en art, qui résulte de la volonté de rationaliser l’action au nom de son efficacité.

La première partie intitulée « Figures d’ingénieurs : des identités mobiles multiples » est composée de 3 chapitres.
Elle débute par deux biographies. Tout d’abord celle du frioulan Giulio Savorgnan (écrite par Gilles Grivaud) au parcours exceptionnel de par la longévité de son engagement pour Venise et de son service rendu pour la défense du territoire, notamment par la fortification. Homme ayant le soucis de la dépense, il permet de réduire les coûts en étant efficace dans les travaux qu’il entreprend, dévoilant ainsi son aptitude à l’innovation. Malgré ce chapitre riche de détails permettant alors de comprendre la destinée de cet ingénieur-militaire, il manque à la plupart des phrases ou vocabulaire écrits en italien leur traduction dans les annotations renvoyant à la source… Cependant, quelques-unes sont traduites ; ce qui aide alors à la compréhension des titres obtenus par Giulio Savorgnan.

La deuxième biographie est celle de Jean Errard (écrite par Frédéric Métin). L’auteur revient sur la difficulté à trouver des documents pouvant nous en apprendre davantage sur sa vie. Mais certains historiens et historiennes ont pu accéder aux écrits de Jean Errard, dont Hélène Vérin, qui a consacré un chapitre à l’ingénieur pour sa réduction en art de la fortification (La gloire des ingénieurs). Il s’agit alors, nous préviens l’auteur, de faire des hypothèses, de « proposer des pistes plausibles au sujet de sa formation d’ingénieur et de mathématicien », à partir des écrits d’Errard. Comme nous le promet le titre de l’ouvrage, nous suivons le parcours de l’ingénieur, le contexte politique, ses rencontres et la confiance accordée par Henri IV qui vont influencer ses travaux, ses déplacements en France et dans les Etats voisins. Parler d’Errard, c’est l’occasion de parler d’autres ingénieurs contemporains dont nous découvrons les travaux de ceux qui auraient croisé sa route, qui l’auraient inspiré pour ses propres travaux. Le chapitre se termine avec la biographie d’Errard, faite à partir de ses écrits, en revenant à cette occasion sur les travaux réalisés par les historiens du XIXe siècle.
Nous suivons donc le parcours de ces deux ingénieurs, leurs formations, leurs contacts ; qui s’inscrivent bien dans les études récentes sur la mobilité des ingénieurs.

Toujours dans cette première partie, Philippe Bragard nous livre un chapitre intitulé « Les ingénieurs des fortifications dans les Pays-Bas espagnols, 1530-1713. Quelques éléments de synthèse« . Il s’agit d’une synthèse de sa thèse doctorale défendue en 1998 dont la partie dictionnaire a été publiée en 2011 et dont la partie historique est en cours d’édition.
Le chapitre commence en situant spatialement les Pays-Bas espagnols correspondants à notre époque, élément important qui permet de mieux comprendre le sujet. L’auteur met en place le contexte politique de cet espace, ce qui est selon moi nécessaire. On poursuit la lecture sur le statut de l’ingénieur puis de son travail qui n’est pas solitaire. Un projet se fait collectivement et chacun à un rôle précis dans sa mise en œuvre : un fait le projet, un autre l’amende tandis que d’autres suivent le chantier ou font les inspections, corrigent les erreurs… Les ingénieurs commencent à être reconnus comme tels au XVIe siècle, mais n’ont pas de formation spécifique ; il suffit alors d’être remarqué par le souverain pour ses capacités techniques. Nous suivons alors l’évolution de leur reconnaissance et de leur formation en qualité d’ingénieur au cours du chapitre, leur rémunération, leur mort.

La deuxième partie intitulée « Les savoirs des ingénieurs : une « intelligence collective » ? » comprend 3 chapitres.
Le premier, écrit par Chandra Mukerji, s’intitule : « La mobilité des ingénieurs et la construction des sites : les leçons du Canal du Midi ». A travers cet exemple, nous découvrons l’intérêt des mobilités des ingénieurs et de leurs savoirs en interaction avec les différents groupes au travail, apportant alors chacun des connaissances propres permettant de faire avancer le chantier. On découvre alors 4 groupes : les ingénieurs militaires, les clients des élites, les experts consultants et les sous-traitants. C’est alors un ouvrage collectif de domptage de la nature, auquel contribuent les ingénieurs-paysans pyrénéens, en particulier les femmes. C’est un élément intéressant qui suscite un rebondissement dans la lecture car cela casse l’idée de la représentation d’un ingénieur masculin bourgeois ou aristocrate que l’on a pour repère depuis le début de l’ouvrage.

Le deuxième chapitre, « Un ingénieur de la Marine à l’école des constructeurs du « commerce »: Chevillard le cadet à Saint-Malo pendant la guerre d’Indépendance américaine » est écrit par David Plouviez. Il revient notamment sur le concept du trading zone de Pamela O. Long ; les différents acteurs entrant en contact dans un même lieu et un même projet. L’auteur ponctue son chapitre de nombreuses annotations utiles à la compréhension du vocabulaire employé, ou permettant de détailler plus son propos.

Le dernier chapitre de cette partie, « Les ingénieurs et les missions de renseignement au XVIIIe siècle: compétition internationale et itinéraires d’experts transnationaux« , a été écrit par Irina Gouzévitch. Elle s’intéresse à la compétition entre les ingénieurs internationaux qui refusent de collaborer les uns avec les autres, en prenant en compte les intérêts individuels et étatiques. Plus précisément, il s’agit de l’ingénieur (ses réseaux et compétences) au service de la Politique ; allant alors au-delà des connaissances historiques sur les mobilités des ingénieurs.

La dernière partie de cet ouvrage s’intéresse en quatre chapitres à l’institutionnalisation des ingénieurs. Il aurait été plus judicieux de placer en tête de partie le chapitre 2 sur la période de la Renaissance, plutôt que de passer du XVIIIe siècle à la Renaissance, pour ensuite revenir au XVIIIe siècle.

Le premier chapitre s’intitule « Former les ingénieurs du territoire: le règlement des Ponts et Chaussées (1775)« , écrit par Stéphane Blond. La nouveauté qu’il apporte est la structure dans laquelle a été fait le règlement de l’Ecole, les missions des élèves-ingénieurs, le fonctionnement de l’institution, les dotations etc.

Le chapitre suivant s’intitule : « Un nouveau paradigme de l’apprentissage technique à la Renaissance. Les écoles d’artilleurs de Philippe II d’Espagne » écrit par Brice Cossart, qui souhaite prolonger les travaux d’Hélène Vérin sur « les relations entre l’essor de l’art militaire au XVIe siècle et le processus de formalisation des savoir-faire techniques, en déplaçant la focale des ingénieurs et de leur science des fortifications vers les artilleurs et leur science du tir au canon ».

Sébastien Pautet écrit un chapitre sur « L’ingénieur en train de se faire. Savoirs et dispositions sociales dans la formation des élèves de l’Ecole du génie de Mézières« , son but est de présenter la formation des ingénieurs et de faire ainsi une histoire par le bas, c’est-à-dire par les élèves, ses modes de socialisation, l’organisation interne de l’école…

Le dernier chapitre intitulé « Le coup d’œil des ingénieurs des Mines, enjeu de la construction d’une culture professionnelle (1750-1830) » a été écrit par Isabelle Laboulais. Les élèves-ingénieurs sont désormais étudiés sur le terrain pour exploiter leur « coup d’œil » et réaliser les supports pour l’administration telles que les cartes.

Les illustrations provenant d’archives ponctuent les chapitres et sont intéressants pour comprendre de quoi on parle pour évoquer les différentes fortifications par exemple. De même, les cartes sont utiles pour voir le parcours des ingénieurs.

Les auteurs sont présentés un par un à la fin de l’ouvrage. A leur suite se trouvent les résumés de chaque chapitre, placés avant la table des matières.

La couverture de l’ouvrage : nous y voyons les ingénieurs sur le terrain, en train de manipuler les outils utiles à leurs missions, prendre des notes (dessins, descriptions…), ceci reflétant bien les écrits réalisés par les auteurs de cet ouvrage.