Un réseau de comptoirs à travers le monde à l’époque moderne

Dans le cadre de la Saison France-Portugal 2022, une exposition est organisé au château d’Angers du 9 juin au 9 octobre 2022, à propos des feitorias. Un catalogue publié par les éditions du Patrimoine permet  de prolonger la découverte de ces comptoirs portugais, relais incontournable à la fois commerciaux, diplomatiques et militaires de l’Empire sur les littoraux africains et asiatiques.

Les feitorias étaient des avant-postes commerciaux, généralement fortifiés et installés dans les zones côtières, construits par les Portugais pour centraliser et dominer le commerce de produits vers le royaume (et de là vers l’Europe). Ils fonctionnaient simultanément comme marchés, entrepôts, points d’appui pour la navigation et les douanes. Ils étaient dirigés par un feitor, chargé de gouverner les échanger, de percevoir les taxes au nom du roi, d’où l’établissement d’une série d’acte administratifs, tels que les registre de comptabilité conservés par les archives nationales portugaises ou le règlement établi pour la feitoria de Mina. Entre le XVe et le XVIe siècle, une cinquantaine de points fortifiés ont été établis le long des côtes de l’Afrique occidentale. Les premiers comptoirs se situent en Afrique, Arguim (Arguin, Mauritanie actuelle) ayant été fondé en 1448 et Mina (actuellement Elmina, au Ghana). Les principaux points commerciaux portugais dans l’océan Indien étaient Goa, Malacca et Ormuz. Mais de nombreux sites ont également été créés à Cannanore, à Ternate, aux Maldives ou à Cochin. Les feitorias traient le commerce de l’or et des esclaves sur la côte de Guinée, des épices dans l’océan Indien, mais aussi de nombreux produits comme le sucre, le piment, le bois, des chevaux, les céréales, les plumes d’oiseaux exotiques, les pierres précieuses, la soie et la porcelaine d’Orient.

Comptoirs du monde – Les feitorias portugaises (XVe-XVIIe siècle), 2022, page 25

Après une courte préface rédigée par Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux, trois articles de synthèse décrivent le contexte et les formes prises par les feitorias. Tout d’abord, Joao Paulo Oliveira retrace les différentes étapes de l’expansion portugaise aux XVe et XVIe siècles. A partir de 1422, des marins sont encouragés par Henri le Navigateur (1394-1460) à partir en direction du sud, le long des côtes africaines. Les Portugais atteignent le Cap Bojador en 1434, puis le fleuve Sénégal en 1444. Le franchissement de l’équateur en 1471 se poursuit par la découverte du Cap de Bonne-Espérance en 1488. Ceci conduit Joao Paulo Oliveira à préciser « qu’au XVe siècle, les Portugais détiennent le monopole quasi absolu su la navigation le long de la côte ouest de l’Afrique » (page 6). L’expédition mené par Vasco de Gama à la fin du XVe siècle préfigure l’installation lusitanienne à Cochin, servant à la fois d’abri et de lieux d’échanges sous la protection du roi local. Le réseau commercial se développe rapidement et préfigure une premiere mondialisation.

Le second article d’Annemarie Jordan Gschwend décrit la ville de Lisbonne au XVIe siècle. Carrefour commercial incontournable, le port est le point de départ sur la route des Indes. Le voyage est périlleux, la plupart des marins ne remettant jamais les pieds au Portugal. Les épidémies sont fréquentes. Le commerce s’avère particulièrement profitable aux marins qui reviennent de l’Océan indien et d’Afrique. En effet, un privilège accordé par le roi Manuel Ier (1495-1521) permet aux marins de ramener des marchandises sur lesquelles la Couronne ne détient pas de monopole, et ainsi de les vendre pour en faire un profit personnel. L’auteur raconte que le marin Diego de Castro, a par exemple ramené 10 000 éventails de son périple en Asie de l’Est (Chine, Japon) pour les revendre à Lisbonne. Enfin, l’historien Antonio de Almeida Mendes, maître de conférences en histoire moderne à l’Université de Nantes, précise les liens entre la densification d’un réseau de feitorias et l’esclavage. Il insiste sur le rôle du capitaine, nommé feitor, à Arguin (Mauritanie actuelle), dans la gestion d’une quinzaine de portugais qui se spécialise dans la traite des Noirs.

La seconde partie de l’ouvrage consiste en une présentation des objets exposés. Parmi eux, une coupe réalisée dans la première moitié du XVIe siècle au Sierra Leone est un exemple de l’art afro-portugais. Réalisés par les artisans Sapi, spécialistes du travail de l’ivoire, cette coupe est une commande de la part de marins portugais. Quatre personnages en ivoire soutiennent un récipient sur leur tête par l’intermédiaire de cordes. Le travail réalisé sur les lèvres et le nez est représentatif de cet art afro-portugais. L’objet a ensuite été vendu pour les comptoirs du collectionneur afin de rejoindre son cabinet de curiosités.

Un beau catalogue au service d’une exposition qui plaira aux amateurs d’histoire moderne et d’explorations.

Pour aller plus loin :

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Antoine BARONNET @ Clionautes