L’été arrive, de nombreux urbains, parfois sensibilisés au discours écologiste, vont dans les campagnes, les montagnes. Pourquoi ne pas en profiter pour écouter ce que nous disent des paysans et éleveurs écologistes ? Car il y en a.

Livre manifeste, livre militant, cet ouvrage de la Confédération paysanne devrait être lu par tous ceux intéressés par les débats, parfois passionnés, qui partagent la société française sur l’alimentation d’origine animale, sur la question du loup (qui, entêtement, continue à apprécier la chair des agneaux) mais aussi sur l’élevage (élevage industriel versus élevage extensif appelé par la CP élevage paysan).

Pour ceux qui ont peu de connaissances sur le monde paysan et ses organisations, il faut rappeler que la Confédération paysanne défend une agriculture paysanne, respectueuse de l’environnement, des paysages, qui fasse vivre correctement les femmes et les hommes qui la pratiquent et favorisent le dynamisme des régions rurales fussent-elles défavorisées. Conceptions fort différentes des défenseurs de l’agro-business qu’elle dénonce. Or, ces paysans dont certains pratiquent l’élevage se retrouvent accusés d’être d’affreux tueurs d’innocents animaux voire d’abominables chasseurs prêts à tirer sur tout loup qui passerait. Ils tentent ici de répondre aux critiques et de lancer le débat même si les grands médias leur donnent peu la parole, préférant l’accorder à des véganes sans nuances ou à la FNSEA facilement caricaturable.

Dans ce livre, la Confédération paysanne développe de manière argumentée ses réponses mais aussi, et c’est un des intérêts de ce livre, elle tente de faire entendre la voix, « le ressenti », de paysans ou d’éleveurs à un moment où « la plupart des consommateurs ont un rapport distendu avec les animaux » et ont du mal à faire le lien entre la viande et l’animal.

Pour Sylvain Apostolo, éleveur dans le Var, certaines images des vidéos de L214 sont choquantes. Il attribue ces pratiques à un manque de formation et aux mauvaises conditions de travail dans les abattoirs. Les actions anti-élevage « nous poussent à nous interroger sur le lien avec nos animaux ». Cependant, le syndicat refuse les injures, les intimidations et les violences envers les éleveurs, les personnels des abattoirs et les bouchers voire les amateurs de viande de la part de certains véganes.

 Pour le mouvement, la montée de ces critiques renvoie aux défauts de l’élevage industriel, à la déconnexion des urbains d’avec le monde animal, à des préoccupations environnementales légitimes et à une volonté d’oublier la mort dans les sociétés occidentales. Pour la CP, les véganes confondent l’élevage industriel, « modèle du passé » qu’elle dénonce et l’élevage paysan. Elle rappelle que la « lutte contre l’industrialisation de l’agriculture » est un de ces combats majeurs, tel celui mené contre « l’usine des 1000 vaches ». Or, affirme S. Apostolo : « la majorité des éleveurs ne fait pas de l’élevage industriel ». Et, pour le syndicat, « supprimer l’élevage [paysan] n’empêchera pas l’agriculture industrielle de prospérer ». Pour lui, l’élevage, la domestication des animaux ne sauraient être comparés à de l’esclavage ou à de l’exploitation. Il rappelle par ailleurs, que sans fumure d’origine animale les productions végétales nécessiteraient des doses d’engrais chimiques plus importantes.

Au-delà de la déconstruction du discours critique porté par une partie des véganes, le syndicat veut montrer que la cause animale n’est pas l’apanage des mouvements animalistes mais peut aussi être portée par des paysans, des éleveurs.

 L’essentiel de l’ouvrage est consacré à ce que la CP appelle l’élevage paysan et à son intérêt pour les éleveurs, pour la société et pour l’environnement. Elle entend répondre aussi aux questions éthiques soulevées. Pour elle, l’élevage est « une forme de relation Humain-Animal particulièrement approfondie », ce qui suppose « bientraitance ». Le lien et les échanges avec l’animal sont au cœur du métier d’éleveur qui aime ses bêtes, éprouve du plaisir dans son travail. La bientraitance animale passe par le refus de la segmentation (spécialisation) des élevages, par le lien de ceux-ci au territoire, par la limitation des troupeaux, le plein air ou le pastoralisme. Dans les territoires, l’élevage paysan permettrait l’existence de paysages divers, apporterait des bienfaits au sol et éviterait la déprise rurale. Il serait aussi bénéfique à l’environnement et au climat car il polluerait moins, préserverait la ressource en eau et nécessiterait moins de transport. Ce mode de production serait aussi plus favorable à la biodiversité végétale (existence de haies, semences paysannes variées) et animale (avec le recours à des races rustiques). Les produits de l’agriculture paysanne sont aussi bénéfiques, rappelle le syndicat, pour la santé des hommes bien meilleurs que ceux issus de l’agriculture industrialisée. Reste que cet élevage paysan devrait bénéficier de « politiques publiques cohérentes en faveur du bien-être paysan et de la bientraitance animale »

Le syndicat n’élude pas la question de l’abattage des animaux, il se prononce pour une « mort digne des animaux ». Pour y parvenir, il défend l’existence d’abattoirs de proximité ou l’abattage à la ferme par des abattoirs mobiles et s’oppose aux structures industrielles. Il pense que les éleveurs doivent le plus possible prendre en charge l’abattage de leurs animaux, plaide pour une meilleure transparence des abattoirs et de meilleures conditions de travail et plus de reconnaissance pour les salariés de ces entreprises.

Ce livre est une utile contribution au débat sur la place de l’élevage dans nos sociétés, sur le type d’agriculture que nous voulons, sur la place que la société doit accorder aux paysans et aux éleveurs mais aussi sur la place de l’alimentation animale. Un livre militant certes mais qui s’adresse à tous et fait entendre sans excès ni invectives le vécu des éleveurs tout en présentant des propositions intéressantes pour ouvrir le débat sans caricatures.