Docteur en Histoire, diplômée en sciences politiques et historienne de la radio, Aurélie Luneau a soutenu sa thèse sur le rôle de la BBC dans la Résistance publiée sous le titre Radio Londres : Les voix de la Liberté (1940-1944). Ce travail, basé sur les archives écrites et sonores, a également abouti à la parution en 2009 de l’album jeunesse Ici Londres (Editions du Rouergue). Cet album met en images la poésie des « messages personnels » diffusés par la BBC sous l’Occupation, ces phrases mystérieuses cachant en réalité des messages aux groupes de résistance. Elle est encore l’auteure de Je vous écris de France (L’Iconoclaste, 2014) et coauteure avec Stefan Martens de Comme un Allemand en France (L’Iconoclaste, 2016). Elle est également productrice et animatrice d’émissions de radio sur France Culture.

Aurélie Luneau nous livre avec cet ouvrage une histoire de l’Appel du 18 juin, de sa genèse à sa postérité, en passant bien sûr par le récit des conditions historiques dans lesquelles il fut conçu, rédigé et diffusé. L’Appel étant indissociable de l’histoire de son auteur, on imagine la difficulté d’en écrire l’histoire sur une aussi longue séquence chronologique (des années 1930 à nos jours), sans allonger trop le récit par de longs développements biographiques. Difficulté parfaitement surmontée par un récit sobre des grandes étapes de la vie et de l’action du général de Gaulle, à chaque fois qu’elles sont indispensables à la compréhension de l’histoire de l’Appel.

Structure de l’ouvrage

Car c’est bien lui qui est l’objet central de l’étude. L’ouvrage se compose de 24 courts chapitres que complètent  huit documents en annexe et une vingtaine de pages de notes. Il s’ouvre sur deux chapitres qui font le récit de la mort du général à la Boisserie, le 10 novembre 1970, et de ses obsèques le 12 novembre, dans le petit cimetière de Colombey-les-deux Eglises, en insistant sur l’impact émotionnel de l’événement : « Pour l’heure, l’homme qui a dit « non » en juin 1940 est celui qui rassemble, au-dessus des partis et des querelles, celui qui, depuis l’enfance, avait pour passion la France ». Les quatre chapitres suivants sont consacrés au général de Gaulle, ses études, sa culture, « son audace et son indépendance d’esprit », à son intérêt pour la création d’une « force mécanique ». Trois chapitres traitent ensuite des cinq semaines qui s’écoulent entre le 10 mai 1940 (de Gaulle obtient le commandement d’une division cuirassée) et le 17 juin (Pétain succède à Paul Reynaud et appelle les Français à « cesser le combat » ; De Gaulle gagne Londres). Les chapitres 10 et 11 analysent avec précision les conditions de rédaction et de diffusion de l’Appel ; le chapitre 12 répond à la question « Qui l’a entendu ? », tandis que De Gaulle s’installe à Londres pour y incarner la France qui continue la guerre et que naît la France libre (chapitre 13). Trois chapitres sont ensuite consacrés à « Radio Londres », c’est-à-dire aux deux émissions qui sont diffusées sur les ondes de la BBC à destination de la France Les chapitres 17 à 24 sont consacrés à l’histoire de l’Appel après le 18 juin 1940 : le « plébiscite des auditeurs » ; la célébration de l’Appel dans les années de guerre à Londres puis à Alger ; le 18 juin 1945 (« celui de la victoire ») ; le 18 juin sous la IVe République alors que de Gaulle est dans l’opposition au régime ; « le 18 juin de l’homme au pouvoir » (du 18 juin 1958 au 18 juin 1968), période pendant laquelle « les célébrations du 18 juin vont prendre une couleur officielle et s’inscrire dans un rituel scrupuleux » ; le 18 juin « après lui ». De Gaulle devient un héros national, l’Appel un « patrimoine commun », le Mont Valérien et Colombey ses lieux de commémoration.

L’arme radiophonique et l’appel de Savigny-sur-Ardres (21 mai 1940)

Le 17 mai 1940, De Gaulle remporte des succès à Montcornet, au nord de Laon, puis le 29 mai devant Abbeville. Ses théories sur la force mécanique se vérifient. Pour contrer le défaitisme de la population, il enregistre sur disque une allocution radiophonique, diffusée dans Le quart d’heure du soldat, une émission quotidienne. Le contenu du document (cité en annexe) présente de profondes similitudes avec le texte de l’Appel du 18 juin. Cet appel participe de la guerre des ondes qui se déploie : l’Allemagne utilise pour sa propagande défaitiste Radio Stuttgart et des « postes noirs » qui se prétendent français. Radio Rome, Radio Madrid et Radio Moscou célèbrent la puissance allemande. La France se montre impuissante dans ce domaine. « La radio est une arme à l’œuvre chez l’ennemi et de Gaulle en mesure toute l’efficacité. ».

Le feu vert de Churchill

Entre le 6 et le 16 juin, De Gaulle, membre du gouvernement de Paul Reynaud, entreprend plusieurs voyages en Angleterre et rencontre Churchill, en qui il voit « un lutteur, un guide et un chef ». C’est dans un avion mis à sa disposition par Churchill qu’il revient en France le 16 juin en fin d’après-midi. Il apprend que Reynaud a démissionné et qu’il n’est plus membre du gouvernement. Il prend immédiatement la décision de repartir en Angleterre. Le lendemain matin, Reynaud lui fait remettre  100 000 francs et des passeports pour lui et sa famille ; un ami lui donne les clés d’un appartement à Londres. Il s’envole à 9h avec Spears, officier de liaison auprès de l’état-major français et Geoffroy de Courcel. Il atterrit à 12h 30 au moment où Pétain appelle à « cesser le combat ». Vers 15h, il rencontre Churchill qui l’autorise à lancer un appel sur les ondes de la BBC, mais pas avant la demande d’armistice par Pétain : Churchill espère encore que les conditions seront inacceptables et qu’il sera rejeté. De Gaulle rédige son texte en fumant cigarette sur cigarette, puis Elisabeth de Miribel le dactylographie.

Aurélie Luneau montre que, bien qu’il ait affirmé le contraire, De Gaulle a soumis son texte aux Anglais (et qu’il l’a quelque peu adouci) et qu’il fut diffusé à 22h (la France est alors sur le même fuseau horaire). Il fut rediffusé à plusieurs reprises pendant les 24 heures suivantes. Il inaugure une série d’appels lancés aux militaires, puis aux ouvriers et aux ingénieurs. Le texte de l’Appel est reproduit en Angleterre dans sa traduction anglaise. Le texte en français, qui se retrouve placardé sur les murs de Londres et des grandes villes anglaises les 3 et 4 août 1940, est souvent considéré comme celui de l’Appel. La première phrase, devenue célèbre, « La France a perdu une bataille mais la France n’a pas perdu la guerre » n’était pas dans le texte de l’Appel du 18 juin. L’auteure étudie les diverses variantes de cette affiche. « Il est difficile d’apprécier le degré d’audience dont bénéficia le général de Gaulle ce soir du 18 juin 1940, et dans les jours qui suivirent. » De Gaulle devra attendre le 22 juin pour être autorisé à lancer un second appel, qui lui sera enregistré, ce qui explique qu’il est souvent confondu avec le premier, dont aucun enregistrement n’a été retrouvé jusqu’à ce jour.

Une étape importante dans la guerre des ondes

A Londres, des Français vont investir le terrain de la guerre des ondes « et poursuivre la lutte sur le réseau hertzien ». La radio est le seul lien qui peut permettre à De Gaulle de rester en contact avec une population française qui ne le connait pas. « S’appuyant sur son expérience littéraire, il donne du corps et du rythme à ses allocutions, use de phrases choc, martèle les mots quand il le faut pour toucher les esprits et conquérir les cœurs. » Les Anglais lui proposent cinq minutes quotidiennes de 20h 25 à 20h 30 ; il accepte, désigne Maurice Schumann comme chargé de liaison auprès de la BBC et du ministère britannique de l’Information, et le nomme porte-parole pour son émission quotidienne « Honneur et Patrie ». De leurs côtés, les Anglais, décidés à développer leur offre d’émissions en langue française, ont provoqué la constitution d’une équipe dirigée par Michel Saint-Denis (« Jacques Duchesne). L’émission s’appelle « Ici la France », puis devient « Les Français parlent aux Français » Elle est diffusée à partir de 20h 15 et dure trente minutes. Elle s’ouvre avec les nouvelles lues par des Anglais francophones, puis viennent les cinq minutes de la France libre.  De Gaulle parlera 67 fois pendant la guerre. L’émission est très suivie en France. « Dans cette programmation, sur une idée du colonel Buckmaster (…), les fameux messages codés viennent pimenter l’écoute des Français et aiguiser leur imagination, à partir de septembre 1941. »

Les deux programmes « Les Français parlent aux Français » et « Honneur et Patrie » sont totalement distincts l’un de l’autre, éditorialement et idéologiquement. L’équipe de Jacques Duchesne est sous contrat avec la BBC, et dépend d’un rédacteur en chef anglais. Les émissions, y compris les cinq minutes de la France libre, sont soumises à la censure anglaise. Ce qui incitera De Gaulle à développer le poste de Radio Brazzaville, qui ne supplantera jamais la BBC. Tous les Français de Londres, loin s’en faut, ne sont pas gaullistes, et le clivage se retrouve au sein de l’émission « Les Français parlent aux Français ». Antigaullistes, indépendants et gaullistes s’y côtoient et s’y opposent mais « ces querelles (…) ne transpirent jamais à l’antenne ». Les Français sont persuadés que « la BBC, c’et De Gaulle » et qu’il est indépendant de la radio anglaise. Aurélie Luneau parle d’un « plébiscite des auditeurs »

Commémorations des années de guerre

A Partir du 18 juin 1941, un rituel de célébration de l’Appel se met en place, même si le général n’est pas toujours présent pour l’occasion. L’auteur décrit les commémorations des années de guerre : en 1941, De Gaulle prononce au Caire un discours lu le soir même à la BBC, qui condamne Vichy ; le 18 juin 1942 il parle devant plus de 5000 compatriotes à l’Albert Hall de Londres ; le 18 juin 1943 il prononce un discours à Alger et un autre sur les antennes de radio Brazzaville. Le 18 juin 1944, De Gaulle est en violent conflit avec les Anglais qui ne l’ont pas tenu informé des préparatifs du Débarquement, un accord est trouvé in extrémis et un discours est enregistré à 12h 30 pour être diffusé à 18h. Ce 18 juin 1944 « a le goût de la victoire et de la reconnaissance du peuple de France ». Un chapitre est consacré au 18 juin 1945, « celui de la paix retrouvée et de la victoire ». Plus d’un million de personnes sont venues sur les Champs Elysées et de nombreuses cérémonies sont organisées dans toute la France.

De la commémoration et ritualisée au « patrimoine commun »

Sous la IVe République, chaque 18 juin, De Gaulle continuera rituellement de ranimer la flamme au Mont Valérien et d’entretenir la mémoire de l’Appel et de ceux qui se sont engagés avec lui. Le 18 juin 1958, De Gaulle remonte les Champs-Elysées en voiture et représente le pouvoir. Plus de 50 000 personnes l’attendent, massées autour de la place de l’Etoile, et ils sont 15 000 au Mont Valérien. Le général donne dès lors un nouveau souffle à cette date anniversaire et en fait un rendez-vous rassembleur derrière sa personne. « Le 18 juin devient dès lors une date opportune pour mythifier la geste gaullienne et sa mémoire et réaffirmer la légitimité résistancialiste de De Gaulle ». Sous la république gaullienne, « les célébrations du 18 juin prennent une couleur officielle et s’inscrivent dans un rituel scrupuleux (…) Ce n’est plus le militaire rebelle qui ravive la mémoire, mais le chef de l’Etat qui occupe la scène ». Le 18 juin 1972 une grande croix de Lorraine de 15 000 tonnes est érigée à l’entrée de Colombey. Rituellement le Premier ministre ou un membre du gouvernement vient s’y recueillir. Tous les présidents de la Ve République suivront le cérémonial établi.

Le 18 juin est devenu un « patrimoine commun ». Il porte une symbolique et un imaginaire, comme le montrent les deux « appels » dont traite le dernier chapitre : « L’Appel du 18 joint » 1976 publié par Libération assorti d’une liste de 150 signataires réclamant la dépénalisation du cannabis et « L’Abeille du 18 juin » 2016, lancé par un collectif d’apiculteurs pour lutter contre les pesticides tueurs d’abeilles.

© Joël Drogland pour les Clionautes