Aux spécialistes de l’architecture et du design, quand on leur demande s’ils savent qui est Charlotte Perriand, ils s’exclament, d’un ton presque offensé, comme si on les prenait pour des ignares, que oui bien sûr… Aux néophytes en architecture, aux amoureux d’art et de culture, rares sont ceux qui ont entendu parler d’elle…

Journaliste, essayiste et éditrice, Laure Adler répare cet oubli et livre aux lecteur, le premier essai biographique consacré à Charlotte Perriand, une femme moderne du XXe siècle, designer, photographe et architecte française.

Des débuts prometteurs

Née  le 24 octobre 1903 à Paris, Charlotte Perriand va œuvrer pour valoriser une architecture humaniste d’avant-garde en lien avec la nature.

Fille unique de parents artisans dans la confection, elle se forme en décoration d’intérieur aux Arts décoratifs de Paris. Elle s’aménage un atelier, place Saint-Sulpice, à Paris. Elle y installe son « bar sous les toits », présenté au Salon d’Automne en 1927, un mobilier en acier adapté à une pièce mansardée qui séduit la presse. Son bar en cuivre nickelé, ses luminaires en tôle chromée permettent de faire « la fête chez soi ». Charlotte n’a que 24 ans.

En 1928,  Le Corbusier et Pierre Jeanneret, son cousin, l’engagent alors dans leur cabinet. Elle devient ainsi une des premières femmes responsable du mobilier et de l’équipement de l’habitation. L’année suivante, elle adhère à l’UAM (Union des artistes modernes) présidé par Mallet-Stevens en réponse à l’académisme des salons officiels. Charlotte Perriand peut alors créer à partir de matériaux encore peu usités comme le zinc, l’acier et le chrome. Des sièges à l’esthétique nouvelle sont alors conçus avec Le Corbusier, reproduits dans le monde entier : le fauteuil grand-confort ou la chaise longue basculante.

Des prises de positions engagées

Charlotte cultive les notions d’architecture, notamment avec l’émergence allemande (Bauhaus). Passionnée par le progrès (machine, automobile, métal), elle revient aux matériaux naturels dès 1930. En 1932, elle s’engage à l’AEAR (Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires) aux côtés de Malraux et de Gide. De par ses voyages en URSS, elle estime de plus en plus être un agent actif de la société au service du peuple. Face aux revendications sociales de 1936, ses photos sont exposées au ministère de l’Agriculture, puis au pavillon de l’Agriculture en 1937. Une immense installation composée de photocollages conçue avec un grand photographe de l’époque, François Kollar, montre les paysages de la France rurale et donc les besoins d’une population en évolution (retraites, conventions collectives, allocations familiales, congés payés). A partir de 1939, elle devient architecte aux ateliers de Jean Prouvé. 

Inspiration nippone

Alors que l’Europe est en guerre, Charlotte Perriand part pour une mission au Japon comme conseillère dessinatrice en art industriel sur demande du Ministère du commerce japonais. Elle a déjà voyagé en URSS et en Allemagne. Ses matériaux de prédilection deviennent par la suite la paille, le bambou, les sols en terre cuite et les branches d’arbres. Elle redécouvre les beautés de la nature. Lors de l’Exposition « synthèse des arts »  en 1955, une version de la chaise longue en bambou est visible. Elle effectue un deuxième voyage au Japon la même année.

Dans les années 60, elle accompagne son mari au Brésil. Elle se lie d’amitié avec Oscar Niemeyer. Elle élabore la table basse « Rio », dont les six parties en rotin sont modulables.

Une synthèse entre production mécanique en série et matériaux organiques

Déjà dans les années 30, Charlotte Perriand préconise l’utilisation de toit végétalisé. Ensuite elle crée des casiers de rangements modulables et réutilisables en plastique. L’architecte collabore à l’aménagement d’une  chambre de l’étudiant « projet de la Cité Universitaire de Paris » en 1953.

L’architecte retrouve Jean Prouvé dans la direction artistique de la Galerie Steph Simon à Paris où leurs travaux sont exposés ; elle y rencontre  d’autres artistes de renom comme l’orfèvre Serge Mouille.

Forte de ces expériences passées, de 1967 à 1986, Charlotte Perriand contribue à la conception de la station de sport d’hiver des Arcs en Savoie, à la fois dans son architecture et dans les aménagements d’intérieur. Elle conçoit des bâtiments particulièrement bien intégrés à la montagne. L’intérieur des appartements se veut minimaliste en intégrant de grandes baies vitrées qui donnent une large place à la contemplation de la nature.

En 1982, elle fonde avec Jean Prouvé, l’école nationale supérieure de création industrielle (ENSCI – Les ateliers) à Paris, une école dédiée au design sous toutes ses formes et ses modes de pensées (objet, espace, social, textile, numérique…). Une dizaine d’années plus tard, l’architecte crée L’espace Thé de l’Unesco inspiré par les pavillons de thé japonais. 

Elle s’éteint à 96 ans dans le 7e arrondissement parisien.

Laure Adler raconte dans cet ouvrage le destin d’une femme libre, engagée et visionnaire, illustré par de nombreuses photographies issues des archives personnelles de la créatrice. Résolument moderne, intransigeante et passionnée, Charlotte Perriand a su se faire une place dans un monde masculin par son travail acharné toujours au service d’autrui.

« J’ai toujours cultivé le bonheur et c’est comme cela que je m’en suis sortie ».