Étirée sur 20 ans, l’histoire du Congo défile au rythme d’une pirogue qui glisse sur le fleuve. Le colonialisme se meurt doucement porté par des individus qui se délitent sous le poids de la chaleur, du temps qui passe, de leur petite histoire qui percute la grande. Prédateurs d’un monde qu’ils exploitent et méprisent, les colons belges ne voient pas que leur époque est déjà passée. Gouverneur dépassé, chef d’entreprise avide, médecin inquiet, propriétaire vieillissant d’une plantation d’un autre temps, le microcosme européen au coeur de ce territoire qui lui devient de plus en plus hostile, se transforme à son tour. Le Congo grandit, s’émancipe et construit son indépendance tout au long de ce recueil.
Cet album comprend 3 histoires : Congo 40 publié en 1987 dans la revue À Suivre suivi de Fleur d’Ébène sorti en 2007 chez Casterman et se termine avec Congo Blanc qui date de 1988 composant ainsi une histoire non des personnages que l’on suit, mais bien de la colonie belge jusqu’à la veille de son indépendance en 1960. Les deux auteurs travaillent ensemble depuis 1986 et dessinent des one-shots à l’instar du triptyque qui forme le recueil publié en Février 2024.
Congo 40. Loin de la métropole, de la Seconde Guerre Mondiale qui gronde au début du récit, les personnages lèvent le voile jeté sur un passé sale qui ne peut s’oublier. Rapidement, même les meilleurs d’entre eux semblent pervertis par la vie aussi moite que le climat à moins qu’ils n’aient amené avec eux le poids de leur vécu. Une étrange jeune femme, Laurence, devenue à son tour objet de prédation compose un fil conducteur de cette partie. Autour d’elle, deux mondes se côtoient dans un décor sublime qui s’achève sur l’indépendance du Congo révélant les » affaires » et la médiocrité des colons dans ce pays qui n’est déjà plus le leur.
Fleurs d’Ébène. Un homme ivre au volant d’une voiture qui fonce dans la nuit et roule sur un corps dans un petit chemin isolé, un commissaire de la police coloniale que sa femme vient de quitter jetant l’opprobre sur la communauté européenne locale, un jeune État en construction où les anciens rapports entre colons et colonisés s’inversent : tel est le décor de ce qui pourrait relever d’une simple enquête policière. Cependant, le récit met en scène le basculement qui s’opère lors de la phase de transition vers l’indépendance. Les rôles s’inversent alors : si la victime est un militant indépendantiste assassiné, les nationalistes congolais approchent du pouvoir, l’épouse a rejoint son amant noir à Brazzaville et celui qui a toujours été considéré comme un « citoyen belge de seconde zone » prend le courage de dénoncer l’oppression subie depuis des décennies. Mais déjà est venu le temps des choix : rester ou partir ?
Congo Blanc. Une vie, deux histoires en quelques planches. Louis va-t-il laisser sa femme et ses enfants rentrer sans lui pour Bruxelles ? Va-t-il faire le choix de rester auprès de Baligi, celle qu’il aime ? Qu’inventer ? Comment ne pas regretter ? Et si finalement, le courage venait à manquer ? Le temps n’est plus aux faux semblants…
L’album Congo Blanc de Warnauts & Raives est d’une qualité graphique remarquable. Le talent de ses deux auteurs donne chair à l’Afrique et à ses tourments sur les 20 ans où s’entrecroisent ces trois récits. Les corps sont magnifiés, les décors transpirent du climat tropical dont la moiteur est rendue par un jeu de couleur subtil. La richesse des détails – que ce soit pour le plan de Mungi chef-lieu du territoire de Congo 40, le déroulé de la réception en l’honneur du gouverneur dans Fleur d’Ébène, la mangrove de Congo Blanc – fait de cet ouvrage un regard historique une partie de l’histoire coloniale belge. De superbes planches, des esquisses, des Portraits et recherches en fin du recueil complètent cette édition intégrale.