Le livre richement illustré retrace l’histoire de la nature réelle et fantasmée, domptée et créée, étudiée et préservée au sein de la capitale française alors que celle-ci vit une fantastique évolution aussi bien architecturale que dans son tissu urbain avec les travaux d’Haussman. Bien loin d’être détruite ou réduite à peau de chagrin, la nature y trouve une place même si dès 1867 George Sand s’interroge sur l’artificialisation de cette nature.

Gisèle Séginger spécialiste de Flaubert et des illustrations de ses écrits est professeure à l’université Gustave Eiffel qui  est spécialisée dans l’étude des villes et des processus d’urbanisation. Cet ouvrage est né du programme URBANATURE, Savoirs et cultures de la biodiversité urbaine (XIXe siècle-XXIe siècle) qui travaille sur la dimension historique, les pratiques anciennes de la ville, la politique de l’écologie et interroge sur l’héritage qui en résulte aujourd’hui.

Sébastien Vaillant Botanicon Parisiense 1827 – BnF

Les métamorphoses urbanistiques parisiennes accompagnent les bouleversements politiques et sociétaux qui touchent le pays à partir de la fin de l’Ancien ; capitale d’une puissance européenne, orgueil à la fois des dirigeants et de ses habitants Paris reflète un monde en changement où, paradoxalement « faire nature » devient un enjeu dans cette métropole industrieuse où se côtoient toutes les classes sociales, où s’entremêlent toutes les opportunités.

Ainsi, les jardins sont entourés de hautes grilles pour éloigner les pauvres et les prostituées, les carrés potagers s’épanouissent aux Tuileries, des essais d’acclimatation de plantes étrangères ornementales et de cultures coloniales destinées à l’industrie comme le coton ou l’érable échouent souvent. Paris devient un nouveau terrain pour les naturalistes qui publient force d’inventaires dès 1802, ils se livrent aux premières études des interactions entre la faune, la flore et la ville alors que la municipalité parisienne rémunère un personnel dédié aux jardins car il faut entretenir ce qui résiste et s’adapte à l’urbain.

Les Parisiens eux-mêmes se prennent de passion pour ce milieu qui peut être un marqueur social. Les innovations techniques se retrouvent dans les « folies » des plus fortunés pour l’alimentation des bassins et fontaines. L’invention de l’aquarium, d’outil scientifique devient rapidement une attraction même pour Théophile Gauthier qui fait le compte-rendu de sa visite à celui du Jardin d’Acclimatation le 9 décembre 1861. L’homme est alors capable d’enfermer une nature inconnue et de l’amener au coeur de la ville, de permettre la découverte d’espèces totalement inconnues dans cette nouvelle cathédrale comme l’explique Juliette Azoulai dans le chapitre  « Les parisiens à l’aquarium« . Les Expositions se succèdent tout au long du XIXème siècle, amenant avec elles les jardins à « l’exotique pittoresque » de l’infiniment petit avec l’art des Bonsaïs aux reconstitutions monumentales avec pans entiers de montagne. Eugène Sue, Honoré de Balzac, Gustave Flaubert, Émile Zola, Félicien Rops font entrer les serres chaudes dans la littérature témoignant du romanesque de cette architecture de vitre et d’acier.

Bief Coulebarbe au moment de la couverture de la Bièvre Henri-Cimarosa Godefroy / Musée Carnavalet / Roger – Viollet

Ce sont les travaux d’Haussman qui en redessinant le paysage urbain ont donné à Paris le visage qu’on lui connaît aujourd’hui. Si des dizaines de parcs et jardins sont éparpillés sur le territoire, les arbres s’alignent uniquement sur les grands boulevards et la nature sauvage disparaît des trottoirs. Cependant, ces travaux permettent de dompter, canaliser et enfouir la Bièvre devenue au fil de l’industrialisation en un immense serpent d’évacuation des déchets. Dans « Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie  » en 6 tomes, publié entre 1869 – 1875 (le dense ouvrage bénéficie de 8 rééditions démontrant l’intérêt du public pour l’aménagement de la capitale), l’académicien Maxime Du Camp se livre à une véritable enquête dans les services de la ville : selon lui, la nature gêne la circulation, les jardins ont une valeur hygiéniste et son exploration des égouts renforce son admiration pour les travaux de reconfiguration urbaine d’Haussman sans pour autant omettre la face sombre parisienne. Élysée Reclus s’alarme de la pollution  » Par un sentiment d’horreur instinctive, on s’étonne presque de voir le bleu du ciel et les nuages se refléter dans ces ordures humides « , Louise Michel s’attache aux Tramps (terme anglais pour les vagabonds) qui peuplent les bas-fonds : tous les deux permettent pourtant à une nature régénérante d’exister. Émile Zola dans  » La Curée  » en 1872,  » Le ventre de Paris  » en 1873 mais surtout avec les Rougon-Macquart, emboîte la nature dans la ville redessinée par la main de l’homme et de la machine. Elle marque la fracture entre les classes sociales : rare chez les plus pauvres, la nature accompagne la richesse des quartiers bourgeois. Elle jette l’ombre des parisiens sur le plan de la capitale.

Dès la fin du XIXe siècle, les urbanistes aussi bien que les romanciers s’emparent de la ville de demain, de la place indispensable qu’il faut y laisser à la nature que ce soit pour la santé et le bien-être de ceux qui vivent dans ces villes tentaculaires et polluées que pour réinventer une nouvelle symbiose qui relève déjà de l’utopie.

« Nos fleuves et notre atmosphère – multiplication des ferments pathogènes, des différents microbes et bacilles » La Vie électrique, Paris, Librairie Illustrée, [1893], hors-texte face à la p. 184