« Ce n’est pas l’accord accidentel des hommes ni le souffle subit de quelque faveur qui ont fait de toi un prince : dès ta naissance, tu as mérité l’empire » énonçait, à propos de Constantin, un rhéteur (Panégyrique VII) en 310 de notre ère. Pierre Maraval, dans son Constantin le Grand, indique qu’il a eu « pour intention première de retracer (…) le parcours et l’action de l’empereur » (p.21), de réaliser une biographie.
Son travail s’articule autour de trois grands axes chronologiques ayant respectivement pour titre « L’empereur de Gaule (306-312), « L’empereur de l’Occident (312-324) » et « l’Empereur de tout l’Empire (324-337) ». Après avoir évoqué, dans un propos liminaire circonstancié, l’ensemble des sources relatives à Constantin, l’historien s’attelle à évoquer sa jeunesse et son accession à la pourpre.
Né à Naïssus en Mésie supérieure, probablement en 274 ou en 275 (p.26), Flavius Valerius Constantinus est le fils de l’empereur Constance Chlore et de la servante d’auberge Hélène. Ayant probablement reçu une éducation libérale et surtout une formation militaire, il quitte la cour de Nicomédie où il résidait pour rejoindre son père à Boulogne sans doute durant l’été de 305. Il prend une part active à la campagne contre les Pictes et les Scots et, après la mort de son père à York, le 25 juillet 306, l’armée le proclame imperator. Constantin n’aura de cesse « dès le début de sa carrière et durant toute celle-ci, en invoquant des arguments très divers selon les circonstances, d’affirmer et de confirmer sa légitimité, de lui donner un lustre toujours plus grand (p.39) ».
Après son intronisation en Bretagne, Constantin s’installe à Trèves. Il contient les barbares et établit ou renforce des postes militaires le long du Rhin. Sur le plan édilitaire, l’empereur fait construire un palais impérial à Cologne et embellit Arles. L’auteur écrit (p.45) qu’ « on a sans doute surestimé, au détriment d’Arles, l’importance de Trèves comme capitale et résidence principale de Constantin dans les Gaules ». En décembre 307 (« sans doute le 25 », p.50), Maximien donne à Constantin le titre d’Auguste en même temps qu’il épouse la fille de ce dernier, Flavia Maximiana Fausta. De leur union naissent trois fils (Constantin II, Constance II et Constant) et deux filles (Constantina et Hélène, femme de Julien).
« Au début de 308 », écrit Pierre Maraval (p.53), « la tétrarchie était bien morte, puisque trois Augustes auto-proclamés (Maximien, Constantin, Maxence) se partageaient l’Occident, pendant qu’un quatrième (Galère) régnait en Orient avec son César (Maximin) ». Dioclétien intervient dans le jeu impérial, oblige Maximien à abdiquer (une nouvelle fois) et demande qu’un nouvel Auguste soit choisi pour l’Occident ,ce qui est effectif avec la nomination de Licinius. Après avoir évoqué les étapes menant à la mort de Maximien, l’historien s’intéresse à l’épisode de la « vision de Grand » et aux rapports de Constantin avec le christianisme en 310/311. Il précise ainsi que « rien n’indique qu’il ait accordé un intérêt particulier au christianisme avant 312 ; à cette date, le dieu qui sacralise son pouvoir, c’est Apollon, le dieu Soleil (p.66) ».
Les « équilibres » entre les empereurs et l’action politique (et édilitaire) de Maxence font l’objet d’un développement avant que Pierre Maraval ne termine cette première partie de son ouvrage sur la « campagne d’Italie » de Constantin (automne 312) avec les prises successives de Suse, Turin, Milan, Vérone, Aquilée… Le récit se conclut par la bataille du pont Milvius (28 octobre 312) qui voit la défaite de Maxence et sur la célèbre « vision » de l’empereur. Pierre Maraval (p.89) écrit, après une démonstration des plus probantes, que « Constantin ne s’est pas converti à la suite d’un songe ou d’une vision, mais parce qu’il a cru que c’était le Dieu chrétien qui lui avait donné la victoire ».
Le second volet de l’ouvrage s’ouvre sur l’adventus de Constantin à Rome et les premières mesures prises par l’empereur après son entrée dans la Ville : « restauration » du sénat, dissolution du corps des prétoriens, nouvelles lois (dont une, en date du 6 janvier 313, interdisant la délation) et meilleur approvisionnement de l’Urbs. La célébration des décennales de Constantin à Rome constitue une occasion d’affirmer sa légitimité impériale tout en supprimant définitivement celle du vaincu Maxence. La politique édilitaire de l’empereur et son attitude face à la religion traditionnelle avant 324 (notamment l’haruspicine) sont abordées.
L’attitude de Constantin, « empereur chrétien en Occident », face à l’Église et aux chrétiens est ensuite développée : « édit de Milan » en 313, privilèges accordés, constructions (basilique du Latran et basilique de Saint-Pierre au Vatican entre autres), intervention dans la querelle donatiste (il considère les donatistes comme étant « au service du diable », p.134) , attitude et évolution religieuse de l’ empereur. Les relations entre Constantin et Licinius (313-324) viennent clore cette seconde grande partie : écrasement de Maximin Daïa par Licinius, première guerre entre ce dernier et Constantin (316-317), période de paix armée (317-324) et deuxième guerre (juillet-septembre 324) qui se termine par la reddition de Licinius à Nicomédie (il sera mis à mort en 325 et subit la damnatio memoriae).
La troisième partie, « l’empereur de tout l’Empire (324-337) », la plus dense, s’ouvre sur l’entrée triomphale de Constantin à Nicomédie et sur sa volonté de montrer qu’il fonde une dynastie. Pierre Maraval écrit à ce sujet (p.163-164) que « le système dynastique établi par Constantin est présenté comme le signe de l’élection divine, parce que la nouvelle dynastie est fondée sur la foi. La justice qu’il rend à l’humanité est clairement assimilée au christianisme, dont Constantin se déclare le champion face à un Licinius présenté comme celui qui persécute les justes ». La célébration des vicennales de l’empereur à Nicomédie et à Rome (refus de Constantin de monter avec l’armée au Capitole pour y accomplir les sacrifices traditionnels) et la disparition (à la suite, peut-être, d’une relation coupable) de sa femme Fausta et de son fils ainé Crispus (les « drames familiaux » de 326) font l’objet d’un propos circonstancié.
Au printemps 330, Constantin fait son entrée solennelle dans sa nouvelle capitale, Constantinople (sa création avait été décidée en 324). Le choix de cette fondation reposait certainement sur des considérations géographique, stratégique et commerciale mais aussi par une volonté de célébrer la victoire de Constantin sur Licinius, « victoire qui établissait et permettait de mettre en scène un pouvoir nouveau, maintenant libéré de tout compétiteur, confié à une seule famille et centré sur lui-même (p.181) ». La capitale de la dynastie de Constantin devait aussi être « sa Rome » écrit l’auteur (p.182). La cité est largement transformée : des remparts sont prolongés et une nouvelle muraille construite ; un palais impérial est érigé (le palais impérial était « le centre mystique » de la cité, appelé le palais « sacré », un terme qui s’appliquait à tout ce qui touchait la fonction impériale » écrit l’auteur page 196), un palais du sénat édifié (le sénat de Constantinople était de « second ordre » par rapport à celui de la Ville) et le Milion (réplique du milliaire d’or d’Auguste) est installé sur la place de l’Augustéon ; d’autres monuments sont bâtis, agrandis ou encore embellis. La cour de l’empereur dans sa nouvelle capitale comportait nombre de lettrés, de philosophes et d’intellectuels.
Le 25 juillet 335 débutent les cérémonies des trente ans de règne de Constantin à Nicomédie, tricennales qui se terminent le 25 juillet 336 à Constantinople. Le 22 mai 337, l’empereur reçoit le baptême et meurt à Nicomédie.
Sa politique extérieure (campagnes contre les barbares danubiens avec notamment les guerres contre les Goths ; la Perse) et intérieure ( réformes administratives ; politique monétaire et fiscale ; législation familiale avec des lois concernant le mariage, le célibat, la succession, le concubinat, l’infanticide… Pierre Maraval (p.257) relève, entre autres, une loi de 326 qui punit de mort la femme libre qui épouse son esclave ou celui d’autrui, l’esclave étant brûlé ; lois sur les conditions sociales), son attitude vis à vis de la religion traditionnelle (avec un propos particulièrement intéressant sur la question des sacrifices) et du judaïsme ainsi que sa politique religieuse entre 324 et 337 (mesures favorables aux chrétiens, constructions d’églises (Pierre Maraval note, page 285, que « c’est surtout en Palestine que Constantin devait déployer sa magnificence. S’il a voulu faire de Constantinople sa capitale politique, le centre de son pouvoir, il a choisi de faire de Jérusalem et de ses lieux saints le centre de son Empire chrétien »), concile de Nicée et action contre les « hérétiques ») finissent ce troisième volet de l’ouvrage.
Dans l’ultime partie de son livre, « bilan d’un règne », l’auteur écrit que nombre de zones d’ombre demeurent autour de Constantin : son physique nous échappe tout comme une large part de sa personnalité. « Son action, surtout, a été très diversement appréciée : aux partis pris des sources sont venus s’ajouter, bien souvent, ceux des historiens (p.310) ».
Chef de guerre accompli, habile dans l’art de la politique, législateur prolifique, Constantin a été aussi un « bâtisseur » et il n’était pas un militaire borné. Pierre Maraval (p.318) écrit, en guise de conclusion, que « malgré leurs limites, on ne peut pas ne pas reconnaître une réelle grandeur à ses desseins et à ses réalisations ». Écrit dans un style très agréable par un auteur d’une grande érudition, Constantin le Grand est une biographie d’importance majeure pour qui veut appréhender un empereur incontournable de l’antiquité tardive.
Sa lecture permet de sortir des clichés trop longuement ressassés sur cet empereur romain chrétien; Un grand Constantin.
Grégoire Masson