Notre approche des Gaulois a bien changé comme le prouve une exposition récente de la cité des sciences et de l’industrie de la Villette. Le site internet reste d’ailleurs accessible et très complet. Cet ouvrage, dont c’est la deuxième édition, présente donc un état des lieux après 10 ans de fouilles de Corent en Auvergne actuelle. Plusieurs auteurs participent à l’ouvrage et sont signalés au début des chapitres. Corent n’est pas n’importe quelle cité : elle constitue une des plus grandes de la Gaule et dépend des Arvernes.
Faire voir et faire comprendre la ville gauloise
En plus des travaux des historiens et des archéologues, notre connaissance générale des sociétés les plus anciennes a été profondément modifiée par les moyens liés à l’ordinateur et notamment aux reconstitutions virtuelles. Les Gaulois bénéficient donc de ce double effet (recherches et techniques de reconstitution), eux qui ont été longtemps mal connus et caricaturés. Matthieu Poux qui est professeur d’archéologie à l’Université de Lyon II Lumière rappelle d’ailleurs le problème des sources dès son introduction. Venues des vainqueurs, elles ont eu tendance à installer en nous des clichés. Le livre propose une frise d’occupation du plateau de Corent ainsi qu’une bibliographie thématisée. Il est à compléter et prolonger avec la visite du site internet particulièrement réussi car intégrant notamment des films de reconstitution.
De la méthode avant tout
Le livre propose donc à partir de ce qu’il nomme la » littérature grise », c’est-à-dire les résultats bruts des archéologues, une synthèse par grands chapitres comme la ville, l’habitat ou le sanctuaire, mais aussi des pages ou double pages sur des points plus précis comme le travail des peaux et du cuir, l’atelier du bronzier ou encore les trophées d’armes.
L’ouvrage choisit aussi clairement de ne pas rester que sur ce lieu et, à de très nombreuses reprises, il dresse des parallèles avec d’autres endroits liés aux Gaulois. L’auteur utilise un moyen très efficace pour aborder les principaux chapitres. Il nous propose le récit du point concerné, par exemple la ville gauloise, non pas avec toutes les distorsions des textes antiques, mais avec les connaissances actuelles de l’archéologie. C’est particulièrement efficace et constitue un matériau de travail utile.
Quand on arrive en ville….
Parmi les premiers clichés à chasser, il y a celui bien ancré qui lie l’oppidum à une situation perchée. Les Romains ont pu être frappés par le côté protégé des cités gauloises…ce qui n’est finalement que très logique en période de guerre ! Le mot désigne donc en réalité et de façon générale une ville. L’habitat gaulois se révèle en tout cas à la fois dense et étendu et avec une certaine planification, ce qui ne signifie pas forcément des rues à angles droit. Matthieu Poux détaille ensuite les techniques de construction avec l’utilisation du bois ou de la terre. On entre aussi dans les détails pratiques avec par exemple une page sur » des maisons bien gardées ». En effet, Alice Le Guen résume ce que l’on sait sur le sujet : plusieurs clés et entrées de serrures en fer ont été mises au jour ce qui montre l’importance de certains espaces et de ceux qui les possédaient. Comme quoi à partir d’une simple clé, on peut aller vers une réflexion sur l’organisation de l’espace et de la société.
« Bienvenue au souk ou au super-marché »
Ne reculant pas devant le plaisir des raccourcis verbaux, les auteurs choisissent d’intituler une de leurs sous-parties » bienvenue au souk », histoire de nous débarrasser de certaines images sur la vie économique au temps des Gaulois. On est au cœur de l’activité quotidienne avec un passage également sur l’étal du boucher : » l’importance dévolue aux activités de boucherie permet de dresser un parallèle avec ces marchés aux bœufs édifiés au centre de la plupart des cités d’Italie ». On ne saurait mieux dire qu’il faut faire évoluer nos représentations sur la vie économique des villes gauloises. L’archéologie permet aussi de savoir la quantité et le genre d’animaux abattus. Dans deux tiers des cas, les restes retrouvés appartiennent aux bœufs.
On visite ensuite les entrepôts à vin. Matthieu Poux a pu reconstituer le fait que ce sont pas moins de 20 000 hectolitres de vin qui ont été acheminés et consommés à Corent. Il faut mettre ce chiffre en regard avec le temps d’occupation du site et on en déduit que le vin était loin d’être une boisson quotidienne et consommée par l’ensemble de la population.
Que sait-on de la société gauloise ?
L’auteur utilise là aussi comme introduction ce texte de récit imaginaire qui fait qu’on peut l’articuler avec les documents de première main que le livre contient, ainsi qu’avec les images de synthèse. C’est véritablement un mélange efficace et parlant. On en apprend plus sur les rites pratiqués : » comme dans tout sacrifice antique, la découpe des animaux est suivie de leur partage symbolique entre les divinités et les hommes ». Comme disent les auteurs « décime moi un mouton » (sic). Des fouilles récentes ont permis de mettre au jour un hémicycle en bois à Corent. A quoi servait-il ? Peut-être à des assemblées religieuses, mais on n’y jouait sans doute pas du théâtre mais plutôt des pantomimes. Son caractère polyvalent semble s’imposer et il renforce encore une fois l’idée d’une société et d’un espace structurés. La fin de l’ouvrage se consacre à l’étude de la société urbaine. Il invite à réfléchir au concept d’acculturation. On peut partir d’objets pour envisager ce concept et par exemple la vaisselle à boire. « Sensibles aux modes et aux innovations technologiques et à l’évolution des modes de vie, ils sont un excellent révélateur des changements culturels qui affectent les populations ». Les deux derniers chapitres invitent à repenser les évolutions sur un temps long en proposant un avant et un après la ville gauloise.
Chacun trouvera, selon les cas et selon les moments, plaisir à regarder les images de reconstitutions virtuelles, lire le texte de synthèse ou les documents collectés par les archéologues. Ce dispositif à plusieurs niveaux rend l’ouvrage particulièrement intéressant et surtout parlant. Il participe d’une relecture complète sur les Gaulois en livrant des exemples concrets. Une réussite.
© Jean-Pierre Costille, Clionautes.