Dans ce petit livre d’Anne BirrellElle a enseigné la littérature chinoise à l’université de Cambridge., traduit de l’anglais par Véronique Thierry Scully, l’autrice entreprend de dresser un aperçu des grandes figures de la mythologie chinoise et des principaux récits « sacrés » dans lesquels elles interviennent.

Le terme désignant le mot mythe est shen-hua, shen signifiant « divin, divinité, sacré » et hua, « discours, conte, récit oral ». Un nombre très restreint de ces récits peut être considéré comme se rattachant spécifiquement aux deux premières dynasties, celles des Shang et des Zhou et la Chine n’a pas connu de « mythographe » qui ait recensé, de manière détaillée, les mythes issus de la tradition orale. L’autrice (p.19-20) écrit que « les écrivains chinois introduisirent des fragments de récits mythiques dans leurs œuvres philosophiques et historiques, pour illustrer leurs arguments et investir d’autorité leurs affirmations. Les mythes chinois existent donc dans une variété informe et confuse d’expressions archaïques anonymes, une variété préservée dans le cadre d’écrits philosophiques, littéraires et historiques. Ce sont des textes brefs, décousus, énigmatiques. Ces fragments mythiques incorporés dans divers écrits classiques varient dans leur narration, les auteurs adaptant souvent les mythes selon le point de vue qui est le leur. Il en résulte que le mythe chinois survit dans de nombreuses versions dont le contenu général est fixé, mais qui révèlent des variations significatives dans les détails ».

La Chine a connu six grands récits cosmogoniques. Parmi ceux-ci, on compte le mythe évoquant la déesse archaïque dénommée « Femme Gua  (Nu Gua)», le terme Gua signifiant « créature semblable à un escargot ». Au terme de soixante-dix transformations, Femme Gua donnera naissance au cosmos et aux êtres vivants. D’autres récits évoquent un dieu du Chaos dont la destruction est nécessaire pour que se mette en place l’univers ou encore les interactions entre les forces Yin et Yang qui permettent la mise en forme du cosmos. Le mythe relatif à Antiquité Enroulée (Pan Gu), un géant ayant le statut d’ « humain demi-dieu (p.28) », explique les origines de la mise en place de l’univers et l’arrivée des êtres vivants à partir de la décomposition du corps de Pan Gu : son souffle devient le vent, ses cheveux donnent naissance aux étoiles, ses yeux deviennent le soleil et la lune et les insectes sur son corps se transforment en êtres humains.

La création de l’espèce humaine apparaît également dans les mythes de création de Yin et Yang qui vont engendrer l’ensemble des êtres vivants à partir de la vapeur primordiale et avec l’action de Femme Gua qui forme à partir d’argile jaune des images d’êtres humains. Elle ne parvient pas à en créer suffisamment et choisit de tracer un sillon dans le sol avec un fil à plomb, qu’elle trempe dans la boue et fait ressortir de cette matière. La boue qui se détache du fil devient alors une série d’êtres humains. Le mythe permet en outre de « justifier » la hiérarchie sociale : les hommes façonnés à partir de l’argile jaune donne naissance à la classe dominante ; ceux façonnés à partir de la boue donnent naissance aux plus pauvres…

De nombreux mythes ont une valeur étiologique et expliquent comment sont nés la médecine, l’agriculture, l’écriture, la chasse et la pêche, la divination, les armes, la métallurgie, la musique, le mariage mais également le premier gouvernement humain et les premières dynasties historiques.

Il n’existe pas de panthéon fixe dans la mythologie chinoise. Un texte ancien comme le Classique des montagnes et des mers met ainsi en scène plus de deux cents divinités et figures mythiques.

Toutefois, les « textes orthodoxes » qui se concentrent sur les divinités masculines, donnent une série limitée de divinités principales. L’autrice (p.42) relève que la série de dieux suivants est « typique » : Victime Prostrée (Fu Xi) qui est le Dieu Fermier ; Flamme (Yan Di) qui est le dieu du Feu ; le grand dieu Jaune (Huang Di) qui est le dieu de la Lumière ; Jeune Ciel Brillant (Shao Hao) qui est le dieu du Ciel ; Souci Affectueux (Zhuan Xu) et Prompte Révélation (Ku). On trouve également dans cette liste des « gouvernants idéaux semi-divins » qui ont pour noms Élevé, Hibiscus et Empreinte de Reptile (Yao, Shun et Yu).

Les fonctions des divinités masculines sont en lien avec l’agriculture, le feu, la divination, la guerre, la chasse, l’artisanat, le transport ou la musique. Les divinités féminines ont des fonctions cosmogoniques, des rôles nourriciers ou encore dans la mise en place des calendriers.

L’autrice (p.82) évoque le sort fait aux divinités féminines durant la période médiévale. Certains récits furent alors réécrits en fonction de préjugés antiféminins et certaines divinités virent alors leur rôle clairement minoré.

Les divinités sont thérianthropiques avec la présence de queues de serpent, des crocs de tigre, des ailes d’oiseau…

Des guerres divines sont présentes dans les récits mythiques et les dieux peuvent être mourants, à l’instar du dieu du Chaos. Ils peuvent également se transformer, la plus fréquente de ses métamorphoses étant le passage à l’état d’oiseau.

Les héros sont également concernés par ces processus de transformation. Le héros divin Énorme Poisson (Gun) qui ne parvient pas à arrêter une inondation, est exécuté pour avoir volé la terre magique de Dieu et se transforme ensuite en ours. Du cadavre de Gun va naître Empreinte de Reptile, héros accomplissant de multiples travaux, vainqueur du « déluge mondial ».

Les héros présents dans les récits mythiques ont de multiples fonctions. Ils sont sauveurs, porteurs de culture, fondateurs de dynasties, guerriers et éradicateurs de monstres. Parmi les traits les plus significatifs du héros, on trouve la naissance miraculeuse, les épreuves (au nombre de trois), la dureté de l’accomplissement des tâches et l’appui divin. Anne Birrell (p.61) note qu’ « une caractéristique unique de l’archétype du héros chinois est sa valeur morale ».

Outre Empreinte de Reptile déjà évoqué supra, l’autrice mentionne le héros Souverain Millet (Hou Ji) qui a transmis aux hommes l’art de cultiver les haricots et le millet et le héros Hibiscus (Shun) qui est un modèle de piété filiale.

L’autrice propose également des développements sur les mythes de catastrophe (inondation, sécheresse et feu), le genre dans les mythes, les métamorphoses, la flore et la faune fabuleuses, l’approche mythologique de l’étranger et les « continuités dans la tradition mythique ».

Un petit ouvrage des plus enrichissants qui pourra venir compléter, avec bonheur, une séquence consacrée à la Chine durant l’Antiquité.

Grégoire Masson