IA-IPR dans l’Ouest de la France, Stéphane Vautier relit et commente ici des textes du bibliophile Paul Lacroix, dit P.L.Jacob (1806-1884), lequel avait compilé de nombreux témoignages de manifestations surnaturelles de l’époque Moyenâgeuse.
Période où la nature était toute puissante et peu expliquée par l’homme, toute manifestation étrange ou inhabituelle apparaissait suspecte et donc l’œuvre d’une force le dépassant, soit de Dieu, soit du diable. Et, face à l’absence de réponses claires à ces phénomènes, il n’est pas étonnant de constater que les récits les relatant aient été le fait des classes aisées qui en rendaient compte avec un dessein moralisateur assez calculé.
Le plus gros volet de l’ouvrage est consacré aux diables, cette existence d’un pluriel montrant à quel point il était difficile d’identifier un seul ennemi et, sans doute, qu’il était plus facile d’en combattre plusieurs petits plutôt qu’un gros. Protéiforme, le diable pouvait prendre possession d’un corps (incubes et succubes) et d’un esprit mais comment en être sûr ? Si des symptômes physiques pouvaient être perceptibles (dont des vomissements d’objets métalliques dont on se demandait bien comment ils avaient pu arriver là), des blasphèmes, il est également ajouté que la simple sensation d’être possédé entrait en ligne de compte, d’où l’aspect nécessairement subjectif de cet état.
Dès lors, les pistes de solutions se multipliaient par divers artifices (mains de gloire, anneaux, amulettes…) ou stratégies pour sortir des cercles vicieux des maléfices (« Les sorciers, en ôtant un sort ou un maléfice, sont obligés de le donner à quelque chose de plus considérable que l’être ou l’objet à qui ils l’ôtent : sinon, le maléfice retombe sur eux. Mais un sorcier ne peut ôter un maléfice s’il est entre les mains de la justice : il faut pour cela qu’il soit pleinement libre ») avec parfois des méthodes plus radicales (transpercer le cœur, couper la tête puis brûler le corps d’individus présumés vampires, parfois même en les ayant préalablement déterrés).
Au delà de l’histoire, la géographie peut être questionnée dans ce genre d’ouvrage puisqu’à échelon local, on saisit bien que, si l’esprit malin vient punir certains méfaits, c’est qu’il y avait bien, toujours d’après ce récit des classes urbaines lettrées, des lieux « stratégiques » où la tentation était palpable et où les démons pouvaient survenir.
On apprendra également beaucoup par les toponymes qui montrent de nombreuses variantes régionales parmi le monde des esprits (follets, lutins… « Elfes » en France mais « duende », « trasgo » en Espagne, « hobgoblin », « puck », « robin good-fellow » en Angleterre ou encore personnalisés en nombre propre « Tom Gubbe » ou « Tonttu » en Suède), les milieux (la fée étant plutôt rurale et dont on rappellera, outre le rôle ambigu de protectrice et de séductrice, la fonction de « marraine », aux nombreuses prédispositions pour les naissances) et même l’échelle intra-continentale (manifestations plutôt propres à certaines régions comme le vampirisme dans les pays de l’Est ou les esprits plutôt nordiques et celtiques).
Le tout s’accompagne d’une analyse sociale de la hiérarchie de ces curiosités, les individus étant organisés en groupes, en sous-groupes…
Si quelques illustrations noir et blanc et quelques textes longs ponctuent le propos (extraits de romans), l’essentiel du livre est constitué de témoignages d’époque que Stéphane Vautier nous explicite (plus d’une centaine de notes de bas de pages à chaque grande partie ainsi qu’un glossaire de base) puisque notre œil n’est pas nécessairement coutumier du français médiéval et que la lecture est, pour le moins, difficile.
Un riche voyage dans le monde des spectres, des possédés ou encore des anges et des revenants, particulièrement fascinant en cette période de sombre météo même s’il ne s’agit que de pluie, certains attestant, à l’époque, avoir vu des étoiles en plein jour, des ciels avec plusieurs soleils voire même de la grêle sous forme de serpents !