Stephen DesbergStephen Desberg est né en 1954 à Bruxelles. Grand lecteur de bandes dessinées, il débute en 1976 dans le journal Tintin. En 1978, il collabore avec Tillieux (Gil Jourdan) et Seron (Les Petis Hommes) pour le journal Spirou et prend les rênes de la série Tif et Tondu dessinée par Will jusqu’en 1991. Pour Will, il écrit La 27e Lettre, un one-shot publié chez Aire Libre en 1990. Il crée ensuite plusieurs séries jeunesse dont Billy the Cat qui sera adaptée en dessin animé. Pour Marini, il scénarise deux séries : L’Etoile du désert (1996) et Le Scorpion (douze tomes de 2000 à 2019). Pour Vrancken, il écrit la série I.R.$ (vingt tomes de 1999 à 2019). Scénariste inspiré, il varie les plaisirs et multiplie les collaborations : La Vache (De Moor), Tosca (Vallès), Les Immortels (Reculé), Black OP (Labiano), Empire USA (Griffo)… et Bernard VranckenNé en mai 1965 à Ixelles, Bernard Vrancken se révèle être très jeune un dessinateur de talent. A 15 ans, il se place parmi les lauréats du concours organisé par l’Académie des Beaux-Arts, ce qui lui donne l’occasion d’approcher ses idoles, à commencer par Franquin. Dès 16 ans, il publie dans le journal Tintin quelques grandes épopées historiques. Féru de travail, il crayonne, gomme, esquisse, progresse, recommence, et apprend. Les cours de Saint-Luc en Architecture ne l’inspirent guère. Il fréquente par contre régulièrement les cours d’Eddy Paape à l’Académie de Saint-Gilles. Puis, au hasard d’un projet avorté, il rencontre Stephen Desberg qui va naturellement devenir son scénariste fétiche. Ils créeront ensemble une dizaine d’histoires courtes ou de nouvelles pour le magazine À Suivre…, puis une saga romantique intitulée Le Sang Noir (Lombard), avant d’imaginer I.R.$. pour la collection Troisième Vague Lombard., après avoir collaboré sur la célèbre série à succès I.R.$, nous offrent ce one-shot particulièrement soigné édité chez Daniel Maghen. Un récit qui entremêle avec intelligence deux périodes, la première guerre judéo-romaine et le second conflit mondial au Moyen-Orient, afin de nous interroger sur l’écriture de l’histoire et sur la « vérité » historique. Le scenario alliant aventure, romance et espionnage ainsi que les somptueux dessins sont dignes des plus grands classiques du cinéma hollywoodien !

Le synopsis

Alexandre est un brillant archéologue qui, à la demande de Monseigneur Tertullio, mène des fouilles dans la capitale italienne. Alexandre perd sa femme en 1936, tuée par un sergent de l’OVRA, la police politique du régime fasciste de Mussolini. Il jure haut et fort de venger cette mort. Recherché et inquiété par l’OVRA, il est protégé au Vatican par Monseigneur Tertullio qui décide finalement de l’éloigner en lui confiant une mission. En s’appuyant sur la lecture des écrits de l’historien Flavius Josèphe, il demande à l’archéologue d’éclaircir le mystère du ralliement du peuple juif à l’empire romain après les guerres juives du Ier siècle après J-C.

La quête débute alors en Egypte, sur le site de Siwa en proie aux affrontements, où Alexandre découvre des manuscrits de Juste de Tibériade, un contemporain de Flavius Josèphe. Pour Alexandre, commence alors un long périple à travers le bassin méditerranéen qui le mènera jusqu’à Jérusalem, en 1942, au moment où naît l’idée d’un état juif débarrassé de la tutelle britannique. Au fil du voyage, il croise Esther, une musicienne allemande juive qui a dû fuir son pays et travailler pour le NKVD, Bilal, un palestinien au service du Grand Mufti de Jérusalem ou encore le Major Everett qui est nommé administrateur en Palestine après des années passées en Inde.

L’Histoire comme toile de fond

Le récit confronte et entremêle donc deux époques de l’histoire.

La première époque est celle de l’Antiquité romaine où les visions politiques de Flavius Josèphe et de Juste de Tibériade, deux historiens juifs, s’affrontent lors de la première guerre judéo-romaine de 66 à 73 après J-C. Cette Grande Révolte des Juifs de la province de Judée contre l’Empire romain nous a été relatée par Flavius Josèphe, commandant militaire de Galilée, qui se placera au service de l’Empereur Vespasien. Cette campagne  s’achève lorsque les légions romaines de Titus assiègent, pillent et détruisent Jérusalem et son temple. Le butin tiré du pillage fut présenté au peuple romain à l’occasion du triomphe de Vespasien et Titus et représenté sur l’arc de triomphe de ce dernier.

Détail de l’arc de l’arc de Titus – Rome

La bande dessinée développe l’idée que pour Flavius Josèphe, toutes les croyances peuvent être tolérées à condition de se rallier à l’autorité supérieure de l’empereur et de la puissance romaine. Si le judaïsme est une religion et une culture, il n’a pas vocation à fonder une nation. Tout désir de révolte et d’indépendance sont donc à rejeter. Juste de Tibériade continue lui à se battre pour un Etat juif libéré de Rome. Les écrits de ce dernier auraient disparu parce que Flavius Josèphe voulait réduire au silence ce contradicteur qui l’accusait de s’être vendu aux Romains. En redevenant une nation en 1948, le peuple juif réalise le rêve de cet historien antique méconnu !

La seconde période dans laquelle nous sommes plongés est celle de la Seconde Guerre mondiale et ses nombreuses luttes d’influence. En Afrique du Nord, l’armée britannique lutte avec acharnement contre l’Afrika Korps de Rommel alliée à une armée italienne bien faible et en pleine déroute. Au Proche Orient, les services secrets nazis et soviétiques tentent de déstabiliser les autorités britanniques en Palestine. Les partisans du Grand Mufti de Jérusalem, exilé en Allemagne, espèrent triompher du rêve sioniste afin que la Palestine redevienne un Etat arabe. Dans une guerre qui est aussi raciale, l’Ahnenerbe, l’ordre pseudo-scientifique nazi, entreprend des fouilles archéologiques doivant permettre de prouver la supériorité de la race aryenne. Au milieu de tout ça, Alexandre tente de percer le mystère des écrits de Juste de Tibériade …

 

Au final, cette bande dessinée est une très belle réussite de l’année 2023. Le scenario, les dessins et les couleurs nous plongent dans des ambiances à la fois singulières et envoûtantes. Un beau voyage qui mènera le lecteur de Rome à Jérusalem en passant par le désert nord-africain mais aussi de l’Antiquité romaine à la Seconde Guerre mondiale. 

Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX