Marie-Claude Angot, agrégée d’Histoire, a retrouvé le courrier – 577 lettres et cartes – que ses parents s’échangeaient durant la drôle de guerre et la captivité de son père pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a réussi le tour de force de mettre magnifiquement en valeur ces archives inédites : les lettres sont largement citées, expliquées grâce à des recherches et des lectures très précises, agrémentées de photographies et confrontées au point de vue de son père, de sa mère, d’elle-même ou de la famille (y compris les petits-enfants) après la guerre, parce que la captivité n’a pas laissé sa marque uniquement sur le prisonnier de guerre ou sur le couple, mais sur la famille toute entière.
« Dans ma famille, ce sont les femmes qui m’ont souvent raconté des souvenirs de guerre. Ce furent d’abord les récits qu’elles tenaient des témoignages familiaux sur la Grande guerre, puis leurs témoignages liés à leurs expériences personnelles lors de la Seconde Guerre mondiale. (…) En revanche, je remarquai le lourd silence de mon grand-père sur son expérience de la guerre. Pourtant, à force de patience, j’arrachai peu à peu des fragments de son histoire, qui mis bout à bout, finirent par former la trame de cette bataille du au juin 1940. (…) ». (p. 83-84)
Le plan adopté est chronologique. D’abord une présentation de Pierre, de Lucienne et de leurs familles. Pierre est instituteur, il effectue son service militaire en 1936 et choisit la formation de Saint-Maixent pour être officier. C’est durant l’été 1936 qu’il rencontre Lucienne, et le mariage est célébré à l’automne 1938. Mais dès le mois de mars 1939, il est rappelé sous les drapeaux. Madame Angot éclaire constamment son texte de précisions historiques : « Le rappel de cette classe d’âge (la classe 35) est dû à la situation internationale, lorsqu’Hitler après l’invasion des Sudètes, continue le dépeçage de la Tchécoslovaquie et viole ainsi les accords de Munich ».(…) (p. 23).
le chapitre II nous fournit une description très précise et précieuse de la drôle de guerre : Pierre n proteste pas, reste très optimiste car il est pacifiste (comme une très grande partie de l’opinion publique ainsi que le rappelle très précisément Marie-Claude Angot). Il n’envisage pas de rester longtemps loin de son épouse, qui est enceinte, demande les résultats de ses élèves au certificat d’étude et envisage sa mutation pour la rentrée prochaine. Madame Angot rappelle, qu’à deux mois de la déclaration de guerre, les signes inquiétants ne manquent pas et que l’attitude de son père, qu’elle qualifie de résignée, est étonnante. Dès la drôle de guerre, Pierre, comme beaucoup de mobilisés, se préoccupe des aspects financiers pour que sa femme et ses parents vivent correctement : il assume – et le fait durant toute la guerre – sa position de chef de famille. En effet, la petite Claudette est née à la fin de l’année 1939. Ce n’est pas par Lucienne, qui lui écrit régulièrement pour lui décrire sa vie, mais de son beau père qu’il l’apprend. A partir de là, il adresse se lettre à « Ma Lu chérie. Ma chère Claudette » (par exemple p. 49). Il ne parle pas des combats dans ses lettres, mais y participe évidemment et est capturé à Longjumeau en juin 1940 pour ne pas tirer sur des civils utilisés comme boucliers humains.
Pierre prisonnier fréquente sept camps durant sa captivité, certains plus « agréables » que d’autres, avec un état d’esprit qui évolue : ainsi tantôt il estime que le changement est « une ouverture, un bol d’air, une découverte » (p. 144) et tantôt il le déplore : « Cela est ennuyeux de partir car il faut refaire les bagages ». (p. 152). Madame Angot précise que les conditions de détention en Oflag sont très variables. Pierre prend conscience que la guerre sera longue fin 1940-début 1941 et il décide de reprendre ses études. Il demande des livres à son épouse, ainsi que des vêtements et reçoit plusieurs attestations et certificats de scolarité notamment signés, à l’Oflag XII B, par le Lieutenant Fernand Braudel. Ici encore, la description des études organisées dans les camps est très précisément faite par Madame Angot. Pierre mène la vie ordinaire des prisonniers de guerre, se préoccupe énormément de sa famille, donne des conseils d’éducation pour sa fille : « (…) Envoie -moi d’ici un mois la taille et le poids de notre fillette. Elle doit avoir au moins 1m. Je t’avais parlé d’une méthode globale de lecture. La voici : tu montres à Clau des images représentant un animal ou un objet. Dessous et écrit en gros, le nom. Ex : une gravure représentant un chat. Dessous, écrit « le chat ». Ainsi l’enfant apprend le nom en entier. (…) ». (p. 210). « Chère Lucienne, j’aimerai que tu fasses chanter Claudette. Rien de bien compliqué mais des chansonnettes simples ; par exemple, « Trois jeunes tambours », « Auprès de ma blonde » etc. Et ceci dans le but de lui donner le goût du chant. » (p. 212).Les lettres montrent bien l’extrême souci de ce prisonnier de voir son enfant grandir loin de lui, d’apprendre les difficultés de sa femme, et les moyens pour y pallier. Malheureusement, la petite Claudette décède à cinq ans, victime d’une invagination. « Sans doute faute de calmant et d’analgésiques, son cœur s’est arrêté » (p. 219). Marie-Claude Angot, qui a dédicacé ce livre à sa sœur qu’elle n’a pas connue, montre bien la dureté des conditions de vie et compare avec la situation actuelle : « C’est la maman de Pierre qui apprend à son fils la terrible nouvelle le 24 octobre(…) . Pierre ne répond à cette nouvelle que le 14 novembre. Cet énorme retard dans la correspondance est bien sûr lié à la guerre et à la libération de la France (…). Ce retard est d’autant plus terrible que Pierre, lui, écrit toujours. Or, il continue d’écrire comme à son habitude, questionnant toujours sur sa fille, évoquant sa rentrée à l’école où elle devait commencer l’apprentissage de la lecture. (…) Pour nous qui vivons avec téléphone mobile et internet, en communication quasi quotidienne avec enfants, famille et amis, comment pouvons- nous comprendre de si longues périodes de silences ? Saurions-nous les accepter aujourd’hui en cas de conflit ? » (p. 219). C’est grâce à la religion, vers laquelle Pierre s’est tourné en captivité, qui ce malheur va être tant bien que mal surmonté. : « Chère Lucienne, dis toi que nous avons un ange qui, là-haut, veille sur nous. » (p. 222).
Les difficultés de vie en France transparaissent dans ce livre grâce aux lettres de Lucienne : « Je t’annonce que papa a acheté un petit jardin (…) il nous rendra de grands services ».(p. 198) et grâce aux compléments de Madame Angot qui explique par exemple à la suite de cette lettre de mai 1942, le froid, la faim que sa famille éprouve.
A partir de mai 1942, Pierre écrit que les Alliés vont gagner. La fin de la captivité est très difficile, Pierre subit une longue marche de 500 km, à pied, à travers l’Allemagne. Il est libéré par les Américains et revient en avion. Il retrouve sa femme le 24 avril 1945.Marie-Claude Angot raconte bien le travail de mémoire de sa famille. Pierre raconte sa captivité à Lucienne et c’est elle qui transmet. C’est à son premier petit-fils qu’il parle de sa captivité directement, comme un grand nombre de captifs. Madame Angot ne s’y intéresse vraiment qu’à la mort de ses parents, comme un grand nombre d’enfants de captifs. Elle liste les manques de ces lettres : « c’est un sentiment de résignation qui plane sur cette correspondance. Aussi, aucune découverte surprenante, aucun scoop non plus, simplement un long récit d’une vie de couple malmenée par la guerre. »(p.11). Or comme dans beaucoup d’échanges de correspondances familiales, outre la censure que Pierre et Lucienne parviennent à contourner, on observe surtout la volonté, pour le prisonnier de s’évader en pensant à sa famille, en donnant des conseils, en aidant matériellement. Ne pas s’appesantir sur le quotidien si difficile et sans fin. C’est une des richesses de ce livre. L’autre richesse, c’est l’apport fondamental de Madame Angot, parce qu’elle est professeure d’histoire assurément, mais aussi et surtout parce que, ce sont ses propres parents les acteurs . Aucune explication ne manque pour remettre les lettres dans leur contexte, expliquer des propos qui pourraient étonner, apporter un éclairage fondamental à ces années de guerre sans rien éluder. Pierre est pétainiste, tout comme une grande partie des officiers, issue de la bourgeoisie et imprégnés de valeurs patriotiques. Mais Madame Angot précise ensuite : « A partir de l’année 1943, Pierre ne fait pratiquement plus d’allusion au Maréchal. (…) Par contre, il interroge sa femme et sa mère sur les événements qui se produisent en France notamment depuis l’invasion de la zone Sud par les Allemands ». (p. 185).
Ce livre enfin est chaudement recommandable pour l’étude avec des élèves de collège et de lycée de thèmes de la Seconde Guerre mondiale bien plus larges que la captivité : on y trouve à la fois des textes originaux et les explications précises.