En 2014, année du 70e anniversaire du D-Day, Jean-Baptiste Pattier, journaliste à France Télévisions et titulaire d’un Master de recherche en histoire contemporaine, réalisait au Canada un documentaire sur le parcours et l’œuvre de Marcel Ouimet, correspondant de guerre pour Radio-Canada durant la Seconde Guerre mondiale. Une fille de Marcelle Ouimet l’accueillit, et lui présenta une sacoche rangée dans son sous-sol qui contenait près de 250 lettres dactylographiées ou manuscrites rédigées par Marcel Ouimet, et adressées depuis le front européen presque quotidiennement à son épouse au Canada. Considérant « leur valeur et leur portée historique », il proposa de les éditer, ce que les trois filles de Marcel Ouimet acceptèrent volontiers. Jean-Baptiste Pattier précise dans un avant-propos que « l’édition de ces lettres a pour ambition d’offrir au lecteur un point de vue passionnant et nouveau sur la Seconde Guerre mondiale (…) et pour objectif de mettre en lumière un destin hors du commun ancré au cœur de l’histoire ».

Le livre est dédié à Marcel Ouimet dont on peut s’étonner et regretter que le nom ne figure pas sur la couverture du livre dont il est aussi l’auteur.

Marcel Ouimet (1915-1985)

Marcel Ouimet est âgé de 29 ans quand il débarque le 6 juin 1944 à Bernières-sur-Mer (Juno Beach), quelque temps après la première vague d’assaut. Francophone et francophile, il a passé une année d’étude (1937-1938) à Paris, où il a suivi des cours de journalisme et de politique internationale. L’année suivante il a fait un séjour en Allemagne, et depuis ce moment, « il entretient une méfiance absolue et une profonde détestation envers le national-socialisme ». Il a débuté sa carrière de correspondant de guerre pour Radio-Canada et la CBC (Canadian Broadcasting Corporation) en couvrant la campagne d’Italie. Natif de Montréal, il est bilingue et enregistre ses reportages en français et en anglais. « Du débarquement en Normandie à la chancellerie d’Hitler à Berlin, en passant par Paris, la Belgique et les Pays-Bas, il réalise près de 200 reportages. Dans ses sujets, il relate le Jour J et la bataille de Normandie, les combats acharnés entre les Alliés et les forces armées du IIIe Reich. Il s’émeut du sort des populations civiles, décrit les villes en ruine et revient sur ses rencontres avec de simples habitants ou des personnalités. Il est ainsi le grand témoin de la chute du régime nazi, de la joie émanant de la liberté retrouvée mais aussi de la violence des affrontements et des bombardements. » Au cours de l’été 1945, il est l’envoyé spécial de Radio-Canada pour couvrir le procès du maréchal Pétain, du 23 juillet eu 15 août 1945. Il se spécialise ensuite dans la diplomatie internationale, assiste à New-York à la première session du Conseil de sécurité et à la première assemblée générale des Nations unies. Par la suite il s’engage dans la promotion et la diffusion de la langue française et devient, en 1960, directeur général de la radiodiffusion française.

Correspondant de guerre

Du 6 juin 1944 au 8 mai 1945, 1500 correspondants de guerre couvrent les événements de la libération de l’Europe sur les divers fronts. Côté canadien, de 1939 à 1945, sur les 120 correspondants de guerre, seule une dizaine est francophone. Dans l’armée canadienne, les correspondants de guerre ont le statut d’officier avec le rang de capitaine. Marcel Ouimet doit porter l’uniforme. A la veille du Débarquement, 530 reporters correspondants de guerre et photographes sont accrédités pour l’opération Overlord, dont 255 Américains, 215 Britanniques et 26 Canadiens (les Français ne sont que 9). Pour accompagner les soldats canadiens, ils ne sont que neuf, et Marcel Ouimet est le seul de langue française.

Tous les contenus sont contrôlés par la censure : il ne faut pas dévoiler certaines informations, ne pas démoraliser les populations civiles ni les troupes. Marcel Ouimet est donc surveillé par un officier accompagnateur, qui veille à sa protection… ainsi qu’au contenu de ses reportages et de ses lettres personnelles (mais la censure est plus souple en ce qui concerne son courrier). Les textes de ses reportages sont d’abord tapés à la machine, puis enregistrés dans des conditions variables et souvent difficiles. Les reportages sont ensuite gravés sur un disque acétate (support analogique à la physionomie similaire au vinyle). Les disques sont expédiés à Londres en courrier spécial, d’où se font les émissions. En moyenne, le délai entre l’enregistrement et la diffusion d’un sujet sur l’antenne de Radio-Canada est de 24 heures.

Structure de l’ouvrage

La matière principale de l’ouvrage est constituée par des extraits des lettres personnelles adressées par Marcel  Ouimet à son épouse Jacqueline, qu’il adore et qui vit au Canada avec leur petite fille. Les lettres sont presque quotidiennes. Quelques thèmes privés ont été conservés, mais les développements sont principalement consacrés à la vie quotidienne à proximité du front, aux difficultés techniques de réalisation des reportages, et à des commentaires de la situation militaire, diplomatique et politique. Il peut s’exprimer plus librement et plus franchement que dans ses reportages car, en ce qui concerne ces derniers, il se fait un principe absolu de rester le plus objectif et impartial qu’il le peut (c’est très net en ce qui concerne la vie politique française, anglaise et canadienne). L’ouvrage propose aussi des extraits nombreux des reportages diffusés. Le croisement des deux contenus (lettres et reportages) est particulièrement intéressant. Le grand nombre de faits et de personnages cités ou parfois seulement évoqués, a nécessité l’ajout d’une trentaine de hors-texte explicatifs qui enrichissent considérablement l’ouvrage par leur clarté et leur précision. S’y ajoutent plus d’une trentaine de photographies en noir et blanc et une carte des déplacements de Marcel Ouimet.

Cinq parties composent chronologiquement l’ouvrage : L’attente à Londres (avril-juin 1944) ; Des plages du Débarquement et de la bataille de Normandie à la libération de Paris (juin-septembre 1944) ; De Paris à Bruxelles. La Bataille de l’Escaut (septembre-novembre 1944) ; La victoire finale et l’entrée à Berlin (mars-juillet 1945) ; Le procès Pétain (juillet-août 1945). Chacune de ces parties est ouverte par une analyse qui met en évidence les thèmes majeurs des contenus des correspondances et des reportages.

L’ouvrage est intéressant, vivant, souvent original. Le périple de Marcel Ouimet est exceptionnel et l’homme est attachant. L’ensemble aurait sans doute gagné à ce que certains extraits soient plus courts, en particulier pour tout ce qui se rapproche de la sphère privée du reporter.

© Joël Drogland pour les Clionautes