Deux ouvrages de Romain Huret ont déjà été présentés sur le site de Clionautes mais il faut reconnaître que cette analyse du cas de Richard Nixon en qui vient à peine d’être publiée et certainement la plus aboutie. Ce livre n’est pas une biographie de plus consacrée à celui que l’on a longtemps rappelé Richard le tricheur. Il s’agit ici d’une analyse des ressorts de la politique aux États-Unis dans les années 70 et qui devient particulièrement éclairante si on la compare avec la situation actuelle et pas seulement outre atlantique.
Car cette étude du « cas Nixon », peut apparaître comme dérangeante à la lumière de l’analyse pénétrante de Romain Huret. Elle amène à relativiser l’image de ce personnage mais aussi de ceux que l’on qualifie de conservateurs.

Fils de petit commerçant californien, Richard Nixon est est un élève travailleur à défaut d’être brillant, qui doit à son milieu d’origine, les Quakers, le goût de l’effort. Mais c’est la guerre, l’ouverture qu’elle lui apporte qui contribue à faire de ce diplômé de droit un animal politique. Six ans seulement après avoir rejoint le parti républicain, il se retrouve vice président des États-Unis, aux côtés du président Eisenhower. Parcours fulgurant qui ne peut s’expliquer que par un flair politique redoutable et par une connaissance intime des ressorts de la société américaine.

Romain Huret étudie bien entendu les circonstances particulières de cette ascension et notamment le poids de la longue période de domination des démocrates, depuis l’élection de Roosevelt en 1932. Il faut attendre 1953 pour que le parti de l’éléphant retrouve la Maison-Blanche qu’il avait dû quitter avec la crise de 1929 et la débacle du président Hoover.

Les débuts de Richard Nixon ont tout d’une success story. Homme de terrain, fin connaisseur des subtilités du système électoral, présenté comme un espoir du parti républicain, Richard Nixon aurait dû rentrer à la Maison-Blanche dès 1960. Cela est d’autant plus vrai que ce républicain n’est pas un pur conservateur au contraire. Issu d’une famille modeste, ce jeune juriste sait parfaitement que le bilan du New Deal et du Fair Deal à l’époque de Truman, est loin d’être négatif. Il est davantage libéral que conservateur. Encore une fois, on démontre ici que les étiquettes apposées sur les hommes politiques sont loin d’être suffisantes pour les caractériser.
En même temps, il faut unir compte du contexte de la guerre froide, de l’anticommunisme ambiant, et bien entendu du maccarthysme. Il est évident que les républicains ne peuvent pas passer à côté de l’occasion d’utiliser la peur du rouge contre l’administration démocrate. De ce point de vue Richard Nixon n’a aucun scrupule. Il dénonce la permissivité morale, la complaisance à l’égard de la Russie soviétique et l’interventionnisme de l’État, privatif de liberté.
Mais dans le même temps, il est très clair que Richard Nixon n’y croit pas lui-même. Il reste attaché à la défense de droits sociaux et de règles. Cela lui vaut d’ailleurs les réserves de l’aile la plus conservatrice du parti républicain.

Premiers succès et première défaite

C’est sans doute cette position assez moyenne qui ne lui permet pas de se différencier suffisamment de son jeune adversaire démocrate en 1959 et qui lui vaut sa première défaite politique contre John Kennedy. On appréciera notamment dans cet ouvrage l’analyse très fine de la posture médiatique des deux adversaires lors de ce fameux débat télévisé où John Kennedy aurait fait la différence.
La capacité d’un homme politique est certainement d’apprendre plus de ses défaites que de ses victoires et à cet égard l’attitude de Richard Nixon est exemplaire. Pour les élections de 1967, après avoir assisté à la débâcle des conservateurs en 1964, Richard Nixon va conduire sa campagne en étant très à l’écoute des préoccupations de l’électorat traditionnel des républicains, tout en étant capable de toucher des électeurs démocrates, blancs, issus des classes populaires et de la partie inférieure des classes moyennes, susceptible de basculer de son côté.
C’est pour cela que l’auteur parle de la captation Nixonienne. Une capacité à reprendre à son compte des arguments, des postures de ses adversaires, pour les faire siennes. On ne peut pas s’empêcher de penser à un exemple hexagonal.
En France, Richard Nixon est surtout connu comme un très grand président des États-Unis du point de vue de sa politique étrangère. Il le doit surtout à son secrétaire d’État, Henri Kissinger. Pourtant, d’après l’auteur, cette surestimation du rôle du secrétaire d’État par rapport au président, apparaît comme injuste. Richard Nixon est bien l’inspirateur de la politique étrangère des États-Unis pendant ses deux mandats, associant fermeté face à l’URSS et sens du compromis, assumant, contre son propre camp, la réintégration de la Chine populaire dans le concert des nations.
Certes, pour les générations des années 60 et 70, Richard Nixon est aussi celui qui a intensifié la guerre en Asie du Sud-Est, en mettant dans les hostilités au Laos et au Cambodge avec les conséquences que l’on connaît. Il est aussi celui qui a fait preuve de fermeté face à la contestation intérieure, notamment sur les campus américains.

Mais Nixon c’est d’abord et surtout l’homme du Watergate.
Cette affaire d’État s’inscrit dans la logique du secret que les administrations successives avaient développé avant et pendant la seconde guerre mondiale et qui s’était renforcée pendant la guerre froide. Richard Nixon s’inscrit totalement dans cette démarche. Depuis son élection perdue face à Kennedy il a développé une phobie à l’égard des médias, allant jusqu’à nommer comme attacher de presse à la Maison-Blanche un jeune homme de 29 ans, totalement inexpérimenté, et n’ayant pour toute référence professionnelle qu’un stage à Disneyland. Nixon donne l’image, parfaitement justifiée, d’un homme qui prend ses décisions dans un cercle restreint, limité à ses conseillers les plus proches. Il se méfie aussi de la forte représentation des juifs dans l’administration, ce qui est à relier aussi à ses origines familiales et au «quakérisme».

L’erreur d’appréciation

Dans le même temps, ce que l’affaire du Watergate révèle, c’est cette organisation fédérale ou le secret d’État est destiné en tout premier lieu à protéger le pouvoir exécutif. Du point de vue moral, le cambriolage de 1972 du siège du parti démocrate, ne semble pas poser de problème particulier aux cercles dirigeants et à la garde rapprochée du président.
Ce culte du secret, ce cotrôle des agences fédérales semble avoir été la règle de fonctionnemen de l’administration Nixon. Le Watergate était donc « inévitable ». Mais c’est aussi dans la société américaine que les ressorts de l’affaire du Watergate trouvent leur source. La guerre du Vietnam, la proximité de certains grands médias avec le pouvoir, l’arrivée d’une nouvelle génération de journalistes plus enclins à la contestation, les flottements de l’enquête à propos de l’assassinat du président Kennedy, favorisent les questionnements sur le fonctionnement du pouvoir. De ce point de vue, Richard Nixon qui analyse la situation avec les lunettes d’un homme des années 50, commet une monumentale erreur d’appréciation qui le contraint à la démission.
Plus qu’une histoire des États-Unis à travers la trajectoire d’un homme des années 1950 à 1970, cette étude du cas Richard Nixon est éclairante sur la construction d’une trajectoire politique. Les caractéristiques individuelles du personnage jouent bien évidemment leur rôle, mais ce qui est important ici se trouve ailleurs: comment construire une image capable de séduire ? Comment réaliser une captation d’idées ? Comment finalement parvenir au sommet en consacrant toute sa vie à ce projet ?
Dans un précédent ouvrage, Romain Huret traitant des conservateurs dans la société américaine, avait déjà ouvert des pistes de réflexion permettant de comprendre ces mécanismes. Il le refait ici et, n’ayons pas peur des mots, de façon magistrale. Les évolutions récentes dans l’hexagone montrent que ces ressorts fonctionnent toujours. Et lorsque l’on parle d’américanisation de la société française, de judiciarisation des relations sociales, il ne faut pas hésiter à aller voir outre atlantique les racines de ces évolutions. Il ne faut pas non plus hésiter à introduire dans la perception que l’on peut avoir du politique une certaine nuance. La dénonciation abrupte, le jugement à l’emporte-pièce, la caractérisation sans nuance peuvent se révéler trompeurs.
Et c’est pour toutes ces raisons que cet ouvrage, précieux pour étudier l’histoire des États-Unis, peut se révéler aussi éclairant pour comprendre les évolutions actuelles du politique de notre côté de l’Atlantique.

© Bruno Modica