Cette « Catherine de Médicis », n’est pas une biographie de plus d’un personnage qui a été très largement controversé et qui est porteur d’une légende noire. L’auteur se livre à un véritable portrait politique, qui élèves de cette reine de France au rang des grands hommes d’État que le pays a pu connaître sous l’ancien régime et même jusqu’à une période assez récente.
Catherine de Médicis fait partie, comme Isabeau de Bavière, des reines maudites. Jugée nuisible à l’instar de Marie-Antoinette, mais privée de la compassion qu’inspire parfois l’épouse de Louis XVI devant ses juges.
Le procès de Catherine de Médicis a duré quatre siècles et n’est que réquisitoire et condamnation. Au lieu de preuves, les arguments toujours hostiles sont puisés dans les pamphlets de jadis ou dans les fantasmagories de l’âge romantique. Ici, le Discours merveilleux de la vie, action et débordements de Catherine de Médicis (1575), libelle sans doute protestant. Là, La Dame du Louvre (drame, 1832) ou L’Escadron volant de la reine (roman, 1836). Même des écrivains renommés ont contribué au dénigrement de Catherine : Michelet, Alexandre Dumas. Le premier est historien, auteur souvent passionné, acceptant volontiers de juger plutôt que de comprendre. Le second, Alexandre Dumas, maître du roman historique, ne cesse de marquer nos sensibilités : redoutable le Richelieu des Trois Mousquetaires ; bien inquiétante, la Catherine de La Dame de Monsoreau ou de La Reine Margot. Il faut dire que, au XIXe siècle, le succès des romans-feuilletons exigeait à coup sûr un héros noir et redoutable, subtil et haïssable. Une figure repoussoir écrit l’auteur dans une remarquable introduction. Balzac a pourtant reconnu en elle un grand roi doublé d’une femme exceptionnelle mais le romantisme l’a définitivement érigée au statut de tarentule même si elle n’était pas napolitaine.
De la tarentule…
Pourtant, les historiens ont souhaité corriger l’image de la personne et de l’action de Catherine mais il est difficile d’ inverser la tendance. Le crime abominable qui lui est attribué, la Saint Barthélémy, le 24 août 1572, dont la reine aurait été le monstrueux commanditaire a définitivement marqué la reine au fer rouge. Pour l’opinion commune, elle cristallise tous ses vices et résume quarante années de gouvernement. Car c’est bien de cette durée qu’il s’agit. La recherche historique a permis de battre en brèche ce jugement erroné. Cette biographie de Jean-François Solnon, permet de nuancer ce portrait et surtout d’établir une sorte de bilan de cette période particulièrement troublée.
La reine mère n’a pas gouverné le royaume de France en un temps de paix intérieure, de prospérité et de consensus. La présence aux affaires se confond exactement avec les guerres de Religion – une guerre civile, la pire -, en un temps où l’autorité de l’État, dont elle était garante, se voyait contestée et bafouée, tandis que l’unité de la France volait en éclats.
La reine mère devait assurer la continuité de l’État et en même temps maintenir son indépendance faces à une puissance espagnole qui apparaissait alors comme une irrésistible menace contre ce que l’on peut déjà qualifier d’identité nationale. Les passions religieuses remettaient en cause cette patiente construction politique commencée par les Capétiens et que les Valois essayaient de poursuivre. On pourrait d’ailleurs trouver quelques similitudes entre la fin des Capétiens et celle de la dynastie des Valois, avec cette succession de Rois, trois à chaque fois, qu’ils n’ont pas été en mesure de transmettre la couronne a un héritier mâle par filiation directe. Heureusement, chaque fois une branche cousine a pu se substituer au tronc originel.
Ce qui fait de Catherine de Médicis un véritable homme d’État, c’est cette capacité à comprendre les possibles et a chercher à chaque fois un compromis acceptable permettant d’attendre des jours meilleurs sans s’oublier le but final, celui de maintenir l’unité du royaume.
Si l’on se base sur la lecture de cet ouvrage, mais aussi sur les histoires générales traitant des guerres de religion au XVIe siècle, le camp protestant avait la même démarche que les factions catholiques conduites par les ducs de Lorraine. L’unité du royaume n’était pas leur priorité première, mais bien la défense de leur camp contre un ennemi qui leur apparaissait comme irréconciliable. C’est là que Catherine de Médicis à jouer son rôle : accompagnant les règnes de ses trois fils, capable de peser sur leurs décisions, elle a multiplié les démarches permettant d’éviter l’implosion du royaume.
… À l’homme d’État reconnu
Catherine de Médicis est restée farouchement attachée à la paix civile. Inlassablement elle a cherché – tant était grand son souci de réunification religieuse – une voie moyenne entre les confessions catholique et protestante. Avec une admirable persévérance, elle a travaillé, toute sa vie, à préserver l’unité du royaume et l’union des Français, à force de trêves, de négociations, d’édits de pacification. Derrière ce portrait politique flatteur, on oublie un peu cette femme, fidèle à son mari dans la vie et dans la mort. Ses seules faiblesses on les devine lorsqu’elle est confrontée à Montmorency, le tueur accidentel de Henri II, passé du côté de la réforme. Elle aurait bien aimé que les hasards de la guerre ne mettent un terme à la vie de celui qu’elle considérait comme un meurtrier. Faiblesse de femme blessée, vite compensée par une détermination sans faille, permettant de maintenir ce qui pouvait encore l’être.
Il y a pourtant eu des échecs largement évoqués par l’auteur, et notamment ses projets matrimoniaux, avec des princesses d’Espagne ou d’Angleterre, châteaux illusoires qui se sont vite effondrés devant la réalité des temps. Jean-François Solmon affirme à la fin de son introduction que Catherine de Médicisaurait sans nul doute reçu le prix Nobel de la paix. On serait tenté de le suivre même si cela n’a pas une grande importance. On l’a vu à propos de cette distinction que des hommes qui ont dû assumer des conflits ont fini par en devenir lauréats car ils avaient pu trouver une voie moyenne. Ce n’est certainement pas Catherine de Médicis qui y est parvenue mais bien le premier des Bourbons, qui monte sur le trône en abjurant la foi réformée.
Pourtant, la reine mère avait ouvert la voie. Et même ce mariage du jeune roi de Navarre et de Marguerite sa fille qui a été lamentable échec conjugal a pu montrer qu’au-delà des passions religieuses il existait une priorité qui était le maintien de l’État. C’est sans doute là l’enseignement essentiel de cette biographie qui n’évoque que très peu les tourments personnels de cette femme qui consacre le meilleur d’elle-même à la défense du royaume qui était devenu le sien, plus peut-être encore que celui de ses propres fils.
© Bruno Modica
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