À propos de l’auteur.

Karim Fertikh est maître de conférences en science politique à Sciences Po Strasbourg depuis 2016 et membre junior de l’Institut universitaire de France depuis 2019.  Directeur adjoint du Centre interdisciplinaire d’études et de recherches sur l’Allemagne (CIERA) à Paris, il est également référent scientifique du pôle Espaces germanophones de la Maison interdisciplinaire de sciences de l’Homme – Alsace (MISHA) à Strasbourg). Spécialiste d’histoire sociale des idées politiques, il est titulaire d’un doctorat de sciences sociales mention sociologie de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). L’ouvrage du compte rendu est la thèse que l’auteur a effectué sous la direction de Michel Offerlé à l’Ecole Normale Supérieure de Paris. Elle a pour objet les programmes politiques sociaux-démocrates et à été soutenue en 2012. Elle a été primée deux fois et a reçu le prix Michael Werner ainsi que le prix Dalloz.

Karim Frertikh été intégré dans le cadre d’un post-doctorat au sein du Centre Georg Simmel dans le cadre du programme de recherche franco-allemand « Saisir l’Europe/Europa als Herausforderung » (MESRI / BMBF) en 2013. Il y a dirigé avec Heike Wieters (Humboldt Universität zu Berlin) l’axe de recherche « Etat social ».  Membre du laboratoire Sociétés, Acteurs et Gouvernement en Europe a l’Universite de Strasbourg, il appartient aussi au conseil d’administration de Sciences Po Strasbourg et y dirige le master Politiques européennes et affaires publiques (PEAP). Les recherches actuelles et Karim Fertikh portent sur l’internationalisation du droit social après 1945. Il a écrit des livres qui sont tous en lien avec l’Histoire politique allemande dans le contexte de la Guerre froide.

Parmi ses publications les plus récentes, il faut mentionner son article rédigé en collaboration avec Julien Louis «Du droit international au droit européen: une sociologie du droit social comme entreprise de cause», paru dans la Revue française de science politique, en 2019, en direction commune avec Mathieu Hochecorne et Nivolas Bué, Les programmes politiques. Genèses et usages, paru aux Presses Universitaires de Rennes, 2016 ou encore si. Article rédigé en 2019 avec Émilien Julliard, « La drôle de Guerre froide de Robert Michels », dans Genèse. Sciences sociales et Histoire. 

La structure de l’ouvrage.

En introduction, l’auteur divise son propos en 4 paragraphes intitulés respectivement : la fin de la sociale démocratie, une histoire sociale du réformisme, un grain de sable dans les rouages de l’Histoire des idées politiques et une contribution sociologique à l’étude des programmes politiques. Le déclin significatif des partis socialistes et sociaux démocrates récent est le marqueur de la fin de la sociale démocratie en Europe. L’auteur présente la sociale démocratie allemande comme l’archétype du modèle transnational pour les organisations qui se réclament du socialisme démocratique et le programme de Bad Godesberg comme le point pivot du programme politique socialiste qui accepte l’économie social de marché.

Ainsi l’auteur souhaite analyser les « ressorts sociaux des doctrines politiques et des révolutions doctrinales ». Le livre se veut une histoire sociale des idées. Karim Ketikh explique vouloir positionner son travail en opposition avec l’historiographie classique et remet en cause la vision du Congrès de Bad Godesberg explique comme un revirement doctrinal fondamental au-delà de la sociale démocratie. 

En revenant sur une lettre de Fritz Sänger du 29 septembre 1974, l’auteur met en avant deux usages opposés qui ressortent de ce document. Fritz Sänger écrit même que les changements du parti a Bad Gadesberg sont tout à fait secondaires dans l’esprit des participants. Il ne s’agissait pas non plus de s’aligner sur la fange conservatrice. Karim Fertikh présente son travail sur Bad Godesberg comme novateur, pionnier et une expérience. Il propose ainsi une sociologie portant sur un texte, sa genèse et ses interprétations. Ainsi, l’exploitation des archives fait naître une nouvelle vision de ce programme politique. 

Aux origines : le SPD

Le premier chapitre est intitulé « Les milieux du Parti Social-Democrate ». Il se subdivise en deux ensembles dont le premier analyse le nouveau régime intellectuel du SPD au travers des commissions comme observatoires du fonctionnement de l’organisation partisane, des théoriciens-dirigeants des années 1920 et les relations entre le savant et le politique dans la répartition du travail après 1945. Le deuxième ensemble décrit les mutations des viviers de recrutement des commissions programmatiques. 

Les commissions programmatiques sont analysées comme des observatoires du fonctionnement de l’organisation partisane. L’auteur montre ici avec subtilité qu’à partir de 1945, la figure du « théoricien dirigeant » du parti s’efface progressivement au profit des intellectuels universitaires pour une bonne part. Le fonctionnement de ces commissions est décrit comme des réunions chargées d’élaborer un projet sur le comité directeur du SPD diffusé au sein des instances locales et de la presse du Parti avant d’être ensuite à l’occasion du Congrès suivant. L’étude de la composition des commissions programmatiques montre que la mutation du personnel partisan est avant tout visible au niveau du recrutement professionnel. Elle est également révélatrice des rapports de force à l’intérieur du parti et des tensions internes. 

Après 1945, les membres du comité directeur ne détiennent pas un capital universitaire comparable aux commissions et leur légitimité est surtout politique et élective. 

Les archives du SPD montrent clairement que les ouvriers sont considérés comme comme la cible électorale privilégiée du parti dans des années 1950. 

L’importance de la presse partisane du SPD est mise en rétrospective jusque dans les années 1920 de la République de Weimar. Cette importance s’érode dans les années 1950 sous les effets combinés d’une baisse significative de lectorat de la presse partisane et d’une volonté de concentration des entreprises par le parti. 

Le Kulturpartei

Le chapitre 2 est intitulé « La vieille idée socialiste selon laquelle le savoir est un pouvoir » se divise en deux parties : « Intellectuels et savoirs de parti dans les années 1920 » et «le recrutement universitaire de spécialistes de la démocratie après 1945 ». La première partie du chapitre analyse le projet du SPD dans les années 1920 comme un projet de civilisation. De la même manière, les programmes proposés sont vus comme des vitrines scientifiques. La comparaison entre le SPD des années 1920 et celui des années 1950 montre une importante perte d’autonomie intellectuelle et une augmentation significative de sa dépendance au monde universitaire sur la question de la production idéologique. Les changements de programme sont présentés comme des modifications directement en lien avec les évolutions des sciences sociales partisanes. 

Dans les années 1920, les dirigeants et intellectuels sociaux – démocrates conçoivent leurs entreprises comme un mouvement culturel avant tout et un des aspects de la lutte des classes. De la même manière les théoriciens du socialisme considèrent leur production comme une contribution scientifique. Dans les années 1920, les références au marxisme sont nombreuses et prennent la forme d’une revendication de scientificité. Effectivement, pour Crispien, le marxisme est en soi une science et tous les auteurs s’accordent pour parler de recherche marxiste qui contribue à faire évoluer la vision de la société. 

Après 1945, les cadres du SPD essayent de remettre en place les principes du Kulturpartei de Weimar.

Les milieux universitaires apportent des concepts et vocabulaires spécifiques. Les nouveaux experts y sont recrutés. Beaucoup d’économistes hétérodoxes participent à la réflexion autour d’une économie collective libre c’est-à-dire à travers «des formes d’entreprises coopératives et publiques distinctes du bureaucratisme autoritaire soviétique et respectueuse du développement de la personnalité du travailleur ». 

Le programme de Bad Godesberg apparaît comme un texte sans diagnostic social et la suppression de ce dernier engendre l’incompréhension des intellectuels du parti, membres de la commission. La liberté de ton utilisée étonne. 

Sociologie programmatique

Le chapitre 3 est intitulé : « produire un texte programmatique : une sociologie politique du travail en commission » décrit la politique scientifique de la commission du SPD en se penchant d’abord sur les fondements scientifiques du politique. L’objectif est ici de comprendre la fabrication du programme comme le produit d’individus divers qui interagissent. Le projet soumis en 1958 est produit par une commission de scientifiques. Ils cherchent à trouver un compromis défendable devant un public de spécialistes partisans. Il ne s’agit pas d’un texte de propagande . Il doit servir de lignes directrices et de réserve d’arguments pour orienter le travail pratique des militants spécialisés.

Le programme a une large audience il est nécessaire d’agir en intellectuel professionnel et d’user d’outils distinctif scientifique. Le programme analyse un ensemble de contradictions socio-économiques qu’il entend dépasser pour construire un nouvel ordre social permettant le libre développement de l’individu. À l’étude de ce texte, la vision classique de la social-démocratie subit des modifications pour s’adapter aux années 1950 tout en visant l’introduction d’un ordre socio-économique différent du capitalisme libéral. L’ensemble des discussions est ici analysé afin de mieux comprendre les débats parfois vifs à l’intérieur du SPD autour du projet. 

La période entre 1958 et 1969 est marqué par une reprise en main des comités permanent du SPD qui se saisissent de la question du programme fondamental avec pour ambition de simplifier et préciser le texte du projet de Stuttgart. L’objectif est ici de s’adresser à un public plus large et de faire ressortir la fonction politique du programme. Le projet de 1959 les démocrates-sociaux défendent l’idée d’une société qui respecte pour l’individu la possibilité de vivre en liberté. 

Bad Godesberg et sa postérité

Le chapitre 4 est intitulé «Par la volonté du parti » est divisé en deux parties : le manifeste d’un parti démocratique et fabriquer une majorité pour fabriquer un texte. L’auteur met en avant le fait que le Congrès de Bad Godesberg produit le texte du programme autant qu’il le consacre en faisant figurer en bas du document la signature collective du SPD. D’autre part Karim Fertikh insiste sur l’importance des modifications apportées par les délégués du Congrès qui atteint 35% du texte confié. 

A l’occasion du Congrès, la démonstration de force et de délibération met en relief une « démocratie en acte ». Il marque une redéfinition de la situation du programme et l’éviction partielle du travail scientifique mené en amont. Le congrès est montrés dans ce chapitre comme l’expression des sociabilités locales ce qui montre leur poids dans l’organisation du congrès. 

Le dernier chapitre est intitulé « Postérités de Bad Godesberg». L’auteur explique en trois parties : la fabrique d’un monde politique, fil rouge et la bataille des idées la manière dont un document à audience confidentielle devient peu à un mythe et un symbole marquant de la modernisation du parti et de son re positionnement entre la tradition marxiste socialiste et le monde capitaliste dans le contexte des années 1950-60.

L’avis du lecteur.

Produit d’un long et pointilleux travail de recherche sur l’histoire politique de l’Allemagne, cette thèse explique avec précision les coulisses de la sociale démocratie. Mené en prenant pour base des sources archivistiques diverses et la littérature grise du parti, cet ouvrage est réellement intéressant. A l’image des projets des commissions programmatiques du SPD, il s’adresse cependant à un public averti et connaisseur de la politique allemande. Je recommande cet ouvrage pour approfondir des connaissances plus que pour découvrir l’histoire de la sociale démocratie en Allemagne. 

Dans ce livre 200 pages d’analyses fines et renouvelées d’un congrès qui a marqué l’histoire de la sociale démocratie non seulement en Allemagne mais en Europe occidentale : celui de Bad Godesberg.